Sixième anniversaire de la guerre contre l'Afghanistan

La militarisation tranquille

Contrats fédéraux - F-35 - rejet du Québec



Le 7 octobre 2001 débutait la guerre contre l'Afghanistan, cible désignée par la Maison-Blanche en guise de riposte militaire à l'attaque aérienne du 11-Septembre. Le gouvernement du Canada a tout de suite emboîté le pas, ordonnant le déploiement de navires de guerre et d'environ 2000 marins en appui à l'invasion, suivis bientôt par 800 fantassins dans le sud de l'Afghanistan.
En l'espace de quelques semaines, on comptait plus de victimes civiles en Afghanistan qu'en cette journée du 11-Septembre, sans oublier les milliers de prisonniers talibans ou présumés tels exécutés sommairement ou morts d'asphyxie dans des conteneurs, et les centaines de milliers de personnes fuyant leur domicile par peur des bombardements et des combats. Cette guerre n'a pas enrayé le terrorisme et l'activisme militaire islamique, elle leur a insufflé, au contraire, un nouveau dynamisme. L'invasion a de plus permis aux chefs de guerre de l'Alliance du Nord de reprendre le pouvoir. Les militaires occidentaux protègent ces despotes qui sont tous ou presque des criminels de guerre et des misogynes notoires, porteurs d'une conception orthodoxe et autoritaire de l'islam et dénoncés en conséquence par des féministes afghanes.
Militarisation du Canada
Au Canada, la guerre a justifié une militarisation tranquille. Des milliards de dollars puisés des fonds publics ont été investis dans l'armement. On nous répète depuis les années 1980 que notre société n'a plus les moyens d'entretenir le wellfare state et qu'il faut sabrer dans les dépenses publiques, mais le warfare state se porte très bien, merci. Les politiciens ont annoncé l'achat d'avions et d'hélicoptères de guerre, de véhicules blindés et de chars d'assaut. C'est près de 30 milliards de dollars consentis par le gouvernement en assistance sociale aux compagnies privées d'armement. Le chef d'état-major Rick Hillier, enthousiaste, déclarait devant le Forum national des gestionnaires que «nous nous rééquipons comme nous ne l'avons probablement jamais fait en 30 ou 35 ans».
La présence militaire se fait de plus en plus visible dans la société. Les militaires en tenue de combat paradent dans les rues de Québec, assistent à un match des Alouettes et assurent une présence au Grand Prix Champ Car, au Marathon international de Montréal et même à la Fête des neiges. L'armée a aussi installé, dans le parc La Fontaine de Montréal, des Jeeps et des chars d'assaut que les enfants pouvaient escalader joyeusement, pendant que des militaires encourageaient les passants à s'enrôler. Le chef d'état-major s'enthousiasme une fois de plus en expliquant que la coupe Grey a été transportée dans un hélicoptère de l'armée et il admet avec candeur profiter de «chaque occasion pour mettre les Forces canadiennes en évidence».
Bien des civils participent à la militarisation tranquille de la société. Dans les universités où je circule, de plus en plus de militaires en uniforme sont invités à prendre la parole lors de conférences du midi ou de grands colloques à vocation scientifique. L'Agence canadienne de développement international (ACDI) dépêche quant à elle ses porte-parole pour mousser la guerre en Afghanistan sur diverses tribunes, au point où on ne sait plus très bien si c'est la guerre qui est «humanitaire» ou l'humanitaire qui est guerrier.
La militarisation est à l'oeuvre aussi dans les médias, saturés de reportages complaisants sur «nos» soldats. On y a droit à ces «portraits» de soldats, ou du chef d'état-major lui-même, qui toujours aiment rire, s'adonnent aux sports de plein air, adorent leurs enfants et considèrent que de participer à la guerre en Afghanistan, «c'est palpitant». De tels portraits n'ont d'autre signification politique que d'encourager la bienveillance envers une armée en apparence sympathique. Cette complaisance des médias n'est pas surprenante.
Le premier ministre Stephen Harper a lui-même déclaré que les journalistes ne devaient pas hésiter à exprimer leur appui à la guerre. Les comités éditoriaux des journaux privés semblent pour leur part composés uniquement de partisans de la guerre. Je n'ai trouvé jusqu'à présent dans les grands quotidiens du Québec qu'un seul éditorial, signé par Jean-Robert Sansfaçon dans Le Devoir, proposant clairement un retrait des troupes canadiennes des zones de combat. Tous les autres éditoriaux sur le sujet justifient la guerre (ou critiquent le mouvement contre la guerre).
Militarisation schizophrène
Cette militarisation est paradoxale. On admet parfois que «nos» militaires souriants et sportifs pratiquent la guerre, soit pour venger 25 victimes canadiennes des attaques du 11 septembre 2001, pour écraser al-Qaïda ou les talibans, ou encore pour sauver les femmes et protéger la démocratie. Le plus souvent, on prétend toutefois que la guerre, c'est la paix.
«Nos» soldats sont là pour reconstruire des écoles, paver des routes, planter des arbres, installer des guichets bancaires automatiques, éventuellement acheter la récolte de pavot à des fins thérapeutiques, respecter l'esprit de l'Évangile (comme l'affirmait dernièrement un curé), faire plaisir à nos alliés et préserver l'image «responsable» du Canada, toujours au nom de la paix. Les militaristes sont à ce point schizophrènes que le ministre fédéral Michael Fortier a pu lancer, candidement, que «ce n'est pas une guerre» qui a lieu en Afghanistan.
Qui sont les talibans, six ans plus tard?
Et pourtant... Plusieurs organismes de défense des droits de la personne, des groupes de recherche indépendants (Senlis Council, Center for Strategic and International Studies) et des rapports internes du gouvernement canadien lui-même arrivent tous à la même conclusion: la guerre prend d'année en année de plus en plus d'ampleur en Afghanistan.
Les études indiquent aussi que la résistance n'est pas que l'affaire des talibans, soit ce mouvement religieux orthodoxe expulsé du pouvoir en 2001. La résistance est maintenant composée d'un ensemble de groupes qui luttent pour diverses raisons: se venger contre des exactions de l'armée ou de la police afghane, riposter aux bombardements meurtriers des troupes occidentales, préserver l'autonomie d'un village, contrôler le marché de l'opium.
Très nombreux sont ceux, enfin, qui s'enrôlent pour la solde, car ils ne trouvent plus de travail. Les soldats canadiens assassinent donc le plus souvent des Afghans poussés vers la guerre par la misère économique. Ce n'est alors pas une guerre, mais plusieurs guerres qui déchirent présentement l'Afghanistan et débordent au Pakistan: une guerre religieuse, un conflit économique, de multiples vendettas pour l'honneur, un soulèvement contre un régime autoritaire et brutal et une lutte anti-impérialiste contre des forces étrangères. À ce titre, la présence des militaires canadiens ne participe pas de la solution mais du problème. Elle encourage la militarisation de la société afghane, envenime la guerre civile et justifie un mouvement de résistance contre l'envahisseur étranger.
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Francis Dupuis-Déri, Professeur de science politique à l'UQAM et auteur d'un essai à paraître sur la guerre en Afghanistan et en Irak, L'Éthique du vampire (éditions Lux)


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