Vote des jeunes

De la rue à l’isoloir: pourquoi la discipline?

Élection Québec 2012 et le Conflit étudiant

Si les étudiants cessent la grève, JJC vante l’efficacité de sa loi 78. Si les étudiants persistent dans la grève, JJC insiste sur la nécessité de sa Loi 78. Dans les deux cas, JJC se présente comme "sauveur de la paix sociale". Cruel dilemme ! Mais si les étudiants prennent en charge quelques dossiers majeurs accusant le PLQ de corruption, de trahison identitaire, etc., leur mouvement, associant agitation et accusation, a de grandes chances de s’insérer dans un courant plus large s’exprimant à la fois dans la Rue et dans les Urnes et, ainsi, de couper l’herbe sous les pieds d’une droite croyant avoir réussi la quadrature du cercle : s’assurer un 4e mandat, un mandat présumé dévastateur pour la nation et l’intérêt public, conséquence qui exige de réussir la compatibilité du jeu électoral et du mouvement social. Absolument, dans les circonstances du Québec actuel. Autrement dit, le Québec français et social-démocrate survivrait-il à un 4e mandat libéral, sans que la colère ne vienne briser la fausse paix sociale annoncée par cette petite oligarchie québécoise aussi stupide que méprisable, servilement aplatie devant les voleurs de grand chemin - Vigile
----

Alors que le mouvement étudiant était encore à ses débuts, des intellectuels respectables mais plutôt à droite l’interpellaient pour lui recommander avec paternalisme de cesser toute turbulence et d’attendre les élections pour que la question de la hausse des droits de scolarité soit tranchée par les urnes. Avec l’imminence d’élections cet automne et au regard de différents sondages, cette attitude déborde la droite et semble devenir un véritable dogme.
Depuis environ deux semaines, le journal Le Devoir, pourtant sympathique au mouvement étudiant, a publié plusieurs textes reprenant ce discours. Ainsi, un éditorial de Marie-Andrée Chouinard (« Le tout pour le tout », 6 juillet 2012) invite « la jeunesse à pousser l’exercice de la démocratie jusqu’à sa fonction la plus concrète : voter ». D’autres textes d’opinion affichent un ton plus disciplinaire : « Rentrez en classe à la mi-août et étudiez. Enlevez à M. Charest son principal argument pour la campagne électorale » (« Le panneau tendu aux étudiants », 14-15 juillet 2012).
Bref, toute autre option que les urnes, toute autre stratégie que celle des partis ne seraient que l’expression d’une dérive radicale et d’un infantilisme politique qui permettraient « au gouvernement Charest de marquer des points dans l’opinion publique en augmentant ses chances de se faire réélire » (« Carré rouge : maintenant, on fait quoi ? », 11 juillet 2012). Poursuivre la grève à la reprise des cours en août transformerait le mouvement étudiant en « principal allié du gouvernement en place afin que ce dernier se fasse réélire » (« Mouvement étudiant : le défi électoral », 6 juillet 2012). Bref, la rue serait l’alliée objective de Jean Charest. Par conséquent, une éclipse de la grève servirait la cause étudiante.

Faire le jeu de l’adversaire ?
Pourquoi les alliés du mouvement étudiant décident-ils à leur tour d’adopter ce discours paternaliste et disciplinaire, alors qu’ils ont l’embarras du choix en matière de sujets qui permettraient d’affaiblir le Parti libéral du Québec (PLQ) : expliquer à nouveau en quoi la hausse des droits de scolarité est un mauvais choix économique et en profiter pour mettre à nu la rhétorique (néo)libérale du gouvernement (« la juste part », « 50¢ par jour », etc.) ; s’attaquer à la « révolution culturelle » du ministre Raymond Bachand qui vise à naturaliser le principe de l’utilisateur-payeur (qu’on pense à la tarification régressive de l’assurance médicale) ; dénoncer la façon dont le gouvernement libéral prétend faire du pillage des ressources naturelles du Québec une stratégie de développement aux dépens de l’environnement et du bien commun ; publiciser les cas de corruption déjà documentés qui mettent en cause le PLQ ; etc.
Or, ces alliés du mouvement étudiant proposent plutôt de reprendre le discours de la droite et du gouvernement : taisez-vous pour qu’on puisse voter dans le calme ! Pourquoi ajouter sa voix à la chorale (néo)libérale, qui compte déjà tant de choristes qui ont pignon sur rue dans les médias ?
La diversité du mouvement
Cet appel à l’ordre et aux urnes est d’autant plus étonnant que depuis des mois, la FECQ et la FEUQ expliquent qu’elles entendent se mobiliser dans la prochaine campagne électorale, surtout dans des circonscriptions où les candidatures libérales ne sont pas assurées d’une victoire facile (ce que rappelait Marie-Andrée Chouinard dans son éditorial). C’est sans compter les étudiants qui militent dans des partis politiques, surtout du côté du Parti québécois et de Québec solidaire.
Enfin, les analyses des comportements électoraux suggèrent que les étudiants les plus engagés dans leur association, leur assemblée et leur grève, auront sans doute plus tendance à voter que leurs collègues qui n’ont pas participé à la grève. Le pouvoir de la rue ne se construit pas contre la démocratie ; il en est à la fois l’incarnation et le fondement. Le mouvement étudiant l’avait compris avant qu’on lui fasse la leçon.
Mouvements sociaux et démocratie
Enfin, il est possible de considérer non seulement que la démocratie ne se réduit pas aux élections, mais aussi que celles-ci n’incarnent pas la souveraineté du peuple. Parmi les critiques du régime électoral, rappelons que le PLQ gouverne depuis quatre ans avec l’appui de seulement 24 % des suffrages, que rien n’oblige le parti au pouvoir à respecter ses promesses électorales et son programme, qu’aucun parti n’a de programme satisfaisant dans tous les domaines, que les élections font particulièrement bon ménage avec l’argent et la corruption, que voter signifie, entre autres, se donner soi-même des maîtres.
Depuis des siècles, les mouvements sociaux proposent une autre façon de penser et de vivre la démocratie, soit de manière directe en comités, en assemblées et dans la rue. C’est de cette tradition que le mouvement étudiant québécois est l’héritier. Sous le couvert de la sagesse, on lui dira qu’il faut savoir marier les deux conceptions de la démocratie, celle des urnes et celle de la rue. Mais il est possible que pour plusieurs du mouvement étudiant, la mobilisation doive continuer pour que vive vraiment la démocratie étudiante et, par extension, la démocratie politique.
Se souvenir de Mai 68
Quelques voix ont tenu à rappeler une leçon de Mai 68 : quelques semaines après la révolte étudiante, c’est la droite du général de Gaulle qui a remporté les élections. À ce sujet, le philosophe Herbert Marcuse citait le journal communiste français L’Humanité : « Chaque barricade, chaque voiture incendiée, a fourni au parti gaulliste des dizaines de milliers de voix. » « Cet énoncé est parfaitement exact », admettait alors Marcuse.
Du coup, est-ce faire le jeu de Charest et de son parti que de poursuivre la grève étudiante avant les élections ? Si le mouvement étudiant reste calme, met fin à la grève et s’investit exclusivement dans la lutte électorale, le premier ministre ne pourra-t-il pas vanter les bienfaits de sa loi spéciale en montrant du doigt des rues vides et des classes pleines ? La logique politique d’un mouvement social n’est pas toujours compatible avec celle du jeu électoral, et mettre un terme à la stratégie de la rue ne sert pas forcément la stratégie des urnes.
D’ailleurs, Marcuse précisait au sujet de Mai 68 que « sans les barricades, sans les voitures incendiées, le pouvoir n’aurait rien perdu de son assurance ni de sa force. […] L’opposition radicale se heurte inévitablement à la défaite de son action directe et extraparlementaire, de sa désobéissance civile ; mais, dans certaines situations, elle doit prendre le risque de cette défaite, si cela doit consolider sa force et démontrer la nature destructrice de l’obéissance civile à un régime réactionnaire » (Vers la libération, p. 93).
Prendre le risque d’une défaite ? C’est le pari désespérant que font tous les matins en se levant beaucoup de militants, car les victoires, grandes et petites, des mouvements sociaux et leurs effets ne se réduisent pas au nombre de députés élus. La démocratie est un vain mot si les politiciens en ont le monopole.
***
Marcos Ancelovici - Professeur de sociologie à l’Université McGill / Francis Dupuis-Déri, Professeur de science politique à l'Université du Québec à Montréal (UQAM)


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->