Big Brother est parmi nous et il soutient le PLQ

La Liste

De bien drôles de sondages

Au royaume de la manipulation

En écoutant la radio, vers minuit trente, le 23 novembre, j’étais certain que le Père Noël venait de donner un cadeau au Parti libéral du Québec (PLQ). Un peu plus d’un mois avant sa grande tournée du 25 décembre, le célèbre barbu de l’Arctique avait sorti de son sac un beau sondage qui plaçait le Parti québécois (PQ) au troisième rang. La formation de Jean-François Lisé était passée, en quelques jours, de 30 % à 24 % dans les intentions de vote, deux points derrières la Coalition avenir Québec (CAQ), qui obtenait 26 %, alors que le PLQ allait chercher 36 % de la faveur populaire. Je me suis mis alors à penser à la LISTE. La bonne. La vraie. Celle qui permet au Père Noël de décider qui mérite vraiment un cadeau.

Connaissez-vous la LISTE? Elle regroupe des informations personnelles névralgiques livrées par les commentaires, transactions, lectures et visionnements que nous faisons lors de nos navigations sur la Toile informatique. Elle est aussi la raison pour laquelle nous pouvons être sollicités par une agence de voyages après avoir consulté des images de Rome et Paris, par des entreprises voulant nous vendre une assurance étude pour faire suite à la naissance d’un enfant ou des services médicaux si nous sommes sur une liste d’attente pour une opération dans le système public.

La LISTE renferme aussi des données qui intéressent les formations politiques. Selon Un acte de foi de Josée Legaut publié dans le journal Voir du 13 mars 2008, l’Action démocratique du Québec (ADQ), parti fondé par Mario Dumont en 1994 ayant fusionné avec la CAQ en 2012, a «embauché la firme torontoise Responsive Marketing Group» (RMG). Il s’agissait de «la plus grosse firme canadienne de marketing et de réseautage servant les organisations à la droite du centre» dont la stratégie consistait à «utiliser les technologies les plus sophistiquées pour lever des fonds, identifier les électeurs et leurs priorités, le tout servant ensuite de base à une plateforme électorale».

Plus récemment, L’arme électorale d’Obama arrive au Canada publié dans Le Devoir du 6 janvier 2014, nous informait que le Parti libéral du Canada (PLC) s’intéresse aussi à la LISTE. Son auteur Marco Fortier écrivait qu’un «outil de marketing ultraperformant, conçu par d’ex-programmeurs d’Apple, Facebook et Google, se fraie discrètement une place dans le paysage politique canadien». Il s’agit d’une «base de données sophistiquée» du PLC, baptisée «Liberalist», qui «vise à connaître les 24 millions d’électeurs au Canada, leur adresse, pour qui ils votent, quels sont leurs intérêts, leur origine ethnique, et ainsi de suite [...]

Le but: connaître en détail les intérêts des électeurs, leur promettre exactement ce qu’ils veulent et leur demander de financer le parti en retour». Dans le même texte, on apprenait que les partis politiques «achètent aussi des données de fournisseurs de services comme des cartes de crédit, ou encore des listes d’abonnés de magazines spécialisés qui leur permettent de mieux connaître leurs électeurs potentiels».

Nous pourrions ajouter la carte OPUS, la carte Inspire et quelques mouchards onéreux à ces données. Avec la carte OPUS utilisée depuis 2007 pour emprunter le transport en commun des grandes régions du Québec, il est possible de connaître les déplacements de l’usager et de les associer à son nom et son adresse.

Depuis novembre 2015, la carte Inspire de la Société des alcools du Québec (SAQ) permet de créer un profil de consommation d’alcool qui pourrait représenter une mine d’or, si on s’attardait à lier la fructification de la consommation à la météo, les saisons et à des suggestions d’achats lors d’émissions de grandes écoutes ou via les courriels de la SAQ.

Mais encore, dans Des hôpitaux infestés de mouchards de Fabien Deglise publié dans Le Devoir du 5 mai 2015, nous apprenions que «les principaux sites Web des hôpitaux du Québec, dont celui du CHUM et du CUSM, transmettent des données personnelles sensibles sur leurs visiteurs». Quelqu’un, quelque part, peut ainsi connaître l’heure à laquelle notre radio-réveil sonne, quand nous démarrons la cafetière, enclenchons le grille-pain et ouvrons le robinet d’eau chaude grâce au compteur numérique d’Hydro-Québec qui permet, à la seconde précise, de reconnaître l’usage d’appareils électriques par leurs signatures de consommation.

Parallèlement, la LISTE nous laisse l’impression que l’État aurait choisi de faire le trafic de données loin du regard des citoyens. Selon le texte de Fabien Deglise cité plus haut, les mouchards en santé alimentent les données «d’entreprises privées spécialisées dans l’analyse et le profilage des internautes […] des entreprises, souvent américaines comme Google, AOL, Datalogix, BlueKai, DoubleClick, Addthis».

Pour les compteurs numériques d’Hydro-Québec, en plus d’avoir été entreposés dans un édifice du clan Rizzuto prétendument lié à la mafia, selon le texte de Mario Dufour Hydro-Québec, vos bobettes et Condoleeza Rice publié en juin 2014, «les données des fameux compteurs numériques de Langis+Gyr sont traités par C3 Energy» où siégeait «Condoleeza Rice», alors que la «sécurité des données de compteurs» est «assurée par la solution Gridstream RF», utilisateur des «algorithmes cryptographiques développés par la firme de cybersécurité RSA […] complice, sinon infiltrée par la NSA» (National Security Agency).

Mais encore, le fabriquant de la carte OPUS est Affiliated Computer Service (ACS), une multinationale texane, qui selon le Dallas Observer du 25 août 2007, fut au centre d’une enquête du Département de la justice et de la Securities and Exchange Commission (SEC) pour une histoire de fraude autour de l’achat d’options de titres, alors que d’autres mêlent l’entreprise au projet Groundbreaker de la NSA, sous l’autorité de Micheal Hayden, père du programme d’écoute des citoyens. Enfin, depuis 2009, ACS est sous le contrôle de Xerox, le concepteur de cet autre mouchard: les appareils de radars photo implantés sur les routes québécoises.

Ajoutons que les élus semblent exploiter une vieille méthode employée par la totalité des services de renseignements qui consiste à lancer des rumeurs (ballons). Un de ces ballons fut envoyé à quelques milliers de personnes lors des élections canadiennes de 2011, lorsque la firme RMG a utilisé des appels téléphoniques robotisés pour demander à des opposants au Parti conservateur canadien (PCC) de voter à de fausses adresses, ce qui fut la cause de 1728 plaintes devant la Justice.

Un autre de ces ballons fut lancé en avril 2014 par le PLQ, quelques jours après son élection. Comment? Le premier ministre Philippe Couillard avouait ne pas écarter l'éventualité de privatiser en partie Hydro-Québec et la SAQ pour sortir l'État du bourbier budgétaire. Cette annonce fut suivie par de nombreuses réactions qui ont nourri la LISTE.

En mai 2014, la LISTE est encore alimentée par les échos de citoyens lorsque le représentant du Conseil du trésor du PLQ, Martin Coiteux, préconisait la privatisation d’Hydro-Québec pour améliorer l'état des finances publiques. Enfin, le 28 mai 2014, Philippe Couillard décide de lancer le ballon dans le sens inverse en affirmant qu’il n’avait pas l'intention de privatiser Hydro-Québec et la SAQ. Pour conséquence, il fut possible de joindre à la LISTE d’autres informations sur les citoyens afin d’avoir un aperçu de leurs rhétoriques, réseau d’amis et associations ainsi que celles et ceux qui pourraient contribuer à la promotion de la privatisation des sociétés d’État.

Terminons avec la LISTE en ajoutant que de nombreux commentaires de spécialistes des spécialités spéciales sont diffusés dans les grands médias, accompagnés de questions sur la question qui nous questionne par des intervenants qui interviennent par leurs interventions. Est-ce que des médias participent à la joute de ballon? Connaître les données de la LISTE peut inciter certains à mettre en place des stratégies pour changer des tendances.

Comment? Selon le texte Ce que tout bon militant conservateur doit dire publié dans Le Devoir du 26 mars 2008, «certaines interventions pro-conservatrices entendues en tribune libre, à la radio, pourraient bien ne pas être aussi spontanées qu'elles le paraissent». La raison? Elles étaient «orchestrées d'avance au quartier général du Parti conservateur».

Pour y arriver, le PCC «a produit une série de sujets d'interventions publiques à l'intention de simples militants sur tout un éventail de sujets allant des changements climatiques aux garderies, en passant par les impôts» et fournissait «les coordonnées des émissions de radio locales où appeler, ainsi qu'une liste commode de positions toutes prêtes favorables aux conservateurs et moins favorables à l'égard de leurs adversaires». Si vous aimez mieux, dès 2008, un parti politique a décidé d’intervenir dans les médias en espérant créer un effet d’entraînement chez les indécis.

Revenons à la nuit du 23 novembre. Le Père Noël avait aussi apporté une boîte avec son sondage. À l’intérieure, il y avait une dame volubile qui a profité des ondes pour communiquer son amour pour le PLQ, son dédain du PQ, tout en dénonçant les journalistes et médias qui ne cessaient de s’attaquer au PLQ.

Bref, on croyait presque entendre la fée des étoiles pratiquer le discours de Philippe Couillard tenu le 6 décembre dernier, dans lequel il se présentait comme le «sauveur» du Québec. Moi qui tentais de connaître le sondeur, c’est seulement dans l’après-midi du 23 novembre que j’ai su qu’il s’agissait de CROP-La Presse et qu’il était arrivé à ses résultats en questionnant 1000 internautes entre le 16 et le 21 novembre.

Pour expliquer le résultat, Alain Giguère, le président de CROP, a attribué le recul du PQ à des électeurs déçus du chef Jean-François Lisée, dont la majorité avait quitté pour Québec solidaire (QS), faisant ainsi passer les intentions de vote de QS de 13 % à 19 %. Traduction, Jean-François Lisée, celui qu’on croyait être le choix le plus judicieux pour faire tomber le PLQ, s’avérait plutôt un soutien à sa victoire, alors que l’idée d’une coalition entre le PQ et QS semblait nuire au PQ.

Personne n’a tenté de revenir sur le sondage CROP, alors que les résultats des quatre élections partielles du 5 décembre indiquaient que la vérité se dévoilait dans ce qu’il n’avait pas dit. Le PLQ a perdu de nombreux électeurs et s’il y avait eu une coalition dans Verdun entre le PQ et QS, le compté aurait sans doute été ravi au PLQ. Pour ce qui est de CROP, la maison de sondage récidivait en répétant le même message lors de l’analyse des résultats d’un autre sondage tenu entre le 7 et 12 décembre qui donnait 38 % des intentions de vote au PLQ, après une répartition des indécis.

Les récents sondages de CROP ont-ils reposé sur une liste de noms provenant de métadonnées qui garantissaient un tel résultat dans l’intention de faire croire aux 20 % à 30 % des électeurs que le PLQ était le choix le plus judicieux? Si ce n’est pas le cas, combien de temps pouvons-nous résister à la volonté d’utiliser la LISTE pour tenter de modifier les tendances? En attendant une réponse, je constate que la vérité se retrouve de plus en plus dans ce qui ne se dit pas. Dans ses entrevues à La Presse, Alain Giguère n’a pas dit un seul mot sur la LISTE. Et encore, ce n’est plus à la mode d’affirmer que nous sommes envahis par des mouchards financés par les fonds publics et gérés par des firmes étrangères.

Ce silence profite assurément à la multiplication de candidats menteurs. Un mythomane qui pourrait tenter de me courtiser en me parlant de Klô Pelgag, de Fred Fortin et des Dales Hawerchuk, alors que son cerveau fume et que ses oreilles saignent lorsqu’il entend un artiste chanter en français. Des gens inertes comme du ciment, lorsque Philippe Couillard s’autoproclame «sauveur» du Québec, alors que des bâillons imposent des lois telle la 106 sur les hydrocarbures, en nous rapprochant dangereusement d’une société totalitaire.

Croire cela improbable serait démontrer une certaine naïveté, en constatant la multiplication des mouchards, les journalistes sous écoutes et cette impression de plus en plus tenace que la Justice est au service du PLQ. Mais encore, cette tendance à se couper de la morale et de l’éthique rappelle que le PLQ est un genre de secte qui rassemble ses partisans autour de faiblesses idéologiques nationales héritées de la Conquête qui s’accompagnent d’un conformisme qui se traduit par l’art de donner plus de liberté aux crapules et à exercer une meilleure surveillance des autres.

Pour ces gens, la LISTE devient une arme de conviction qui compense le manque d’argument. La peur de débattre sérieusement et de défendre ses racines, sa culture et ses acquis. Et lorsqu’ils décident de nourrir cette LISTE, c’est pour entretenir le sentiment de puissance qu’elle abrite. Un sentiment qui provoquera inévitablement un désir de se débarrasser de ces obstacles qui nuisent à l’épanouissement de la secte: l’identité, les droits des citoyens et la démocratie.

La LISTE démontre certainement qu’une partie croissante de la population québécoise est prête à abandonner ces derniers en échange de quelques gigaoctets supplémentaires de téléchargements gratuits. Parallèlement, elle dévoile que la servitude et le conformisme des uns déclenchent la grogne des autres. La rencontre entre la soumission et un écœurement qui pourrait effectivement aboutir à cette «guerre civile» citée dans le discours du candidat Bernard Gauthier, si le Père Noël arrêtait de donner des cadeaux.


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4 commentaires

  • Marc Huber Répondre

    25 décembre 2016

    Lors de la publication du texte, je n'avais pas encore lu Le Devoir du 17 décembre. Dans Troublantes contradictions, de Michel David on apprend que «CROP» utilise les données de «Research Now», un «fournisseur de Toronto». Research Now est né en 1999 sous le nom de E-Rewards et a pour fondateurs Morton Meyerson et de Hal Brierly. Meyerson a aussi siégé dans Perot Systems de Ross Perot, un indépendant à la présidence étasunienne de 1992.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 décembre 2016

    Le profilage d'une population ne date pas d'aujourd'hui, mais de l'OSS. Le but est généralement de contrôler l'opinion d'une population, et de fabriquer son consentement.
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    _ Vous trouverez sur Cryptome un large éventail d'articles (originaux dactylographiés par l'OSS, et ensuite produits par la CIA), décrivant en details comment on profile une population, on l'influence, et on obtient un consensus base sur comment cette population réagit, ce qu'elle aime, n'aime pas, ce qui la fait réagir vivement. Bref le but est de connaître ses points faibles.
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    _ Aujourd'hui ce sont les medias qui le font :''Dites-nous ce vous pensez'', ''On veut connaître votre opinion'', Téléphonez-nous'', ''Suivez-nous sur Facebook et donnez-vous votre avis''.
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    _ Pensez aux phrases-types de tous ces pauvres medias poubelles....
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    _ En terminant, voice un excellent blog sur le rôle tradionnellement joué par les mass-medias (CIA), et aujourd'hui FB, agents gouvernementaux, Google, afin d'asservir la population à quelques banques et leurs corporations. Cette description s'applique parfaitement au Canada (même si on parle ici des É-U.) qui fait partie des Five Eyes et est donc assujetti à la NSA.
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    _ http://barbarahartwellvscia.blogspot.com

    Life, Liberty, the Pursuit of Privacy & Honest Journalism: Is There Intelligent Life on the Internet?
    Thursday, December 15, 2016

    A Nation of Snoops, Snitches & Busybodies: Tyrannical Government & Monstrous Invasions of Privacy
    _
    _ Monday, June 24, 2013
    _ _
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  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    20 décembre 2016


    Collusion Gesca CROP SOM
    http://vigile.quebec/Le-PQ-et-Bernard-Landry-se-sont-68715
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2016

    Joyeuses fêtes
    L'aventure, c'est l'aventure.
    Spécialiste(s) de la clarté dans la confusion
    https://www.youtube.com/watch?v=iK8e6xRH7fI