Qui se plaindra de son départ soudain?

Les souvenirs d'un copain

Benoît Perron (1958-2015) nous a quittés le 22 décembre dernier

Chronique de Marc Huber

Début janvier. Il neige enfin. Si ce blanc du ciel était tombé une semaine plus tôt, je n’aurais pas eu l’impression que l’austérité a dévoré Noël. Trop chaud. Un Québec grec sous les 14 degrés, sans les sourires, la résistance à la bêtise et la Méditerranée. Un 25 décembre en octobre, ce mois qui me rappelle la crise de 1970 qui accoucha du premier régime totalitaire au nord de San Diego, par le soutien de la Loi sur les mesures de guerre du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau. L’hiver... Je peux enfin pelleter l’eau du printemps prochain, en me laissant transporter par la voix chaude de Kamel Nasir qui résonne dans mes écouteurs.

Nasir, un personnage du roman Les arcanes du chaos de Maxime Chattam, me fait penser à un copain que je n’ai pas vu depuis longtemps. Comme lui, il traite des dossiers que nous préférons éviter pour ne pas sombrer dans la paranoïa collective et surtout, nuire à la cote de popularité des dirigeants et de leurs amis. Des sujets tels le 11-Septembre, l’assassinat de JFK par le conglomérat militaro-industriel étasunien et ce foutu groupe Carlyle, la «banque de la CIA», comme il dit, qui si je me souviens bien, est toujours lié à Bombardier, l’enfant chérie du gouvernement grec du Québec qui a reçu un soutient de 1,3 G$ en 2015 et qui recevra aussi une aide substantielle de la Caisse de dépôt, si ce n’est pas déjà le cas.

J’avance, je m’arrête et je repars. Ma pelle avale la neige au rythme de ma respiration. Devant moi, une voiture blanche, qui n’a pas bougé d’un centimètre depuis quatre jours, me ramène à mon copain. Je ne me rappelle plus quand. C’était avant l’an 2009. Je l’accompagnais dans un bar de la rue Ontario à Montréal, avec une demi-douzaine de personnes, après une conférence de près de 4 heures qu'il venait de donner à l’Université du Québec à Montréal. La soirée s’était bien déroulée. Vers 3 heures du matin, après avoir bu et parlé, nous planifions notre retour à la maison.

Dehors, alors que des gens se dirigeaient vers l’est, de mon côté, je partais avec mon copain vers l’ouest, pour rejoindre sa voiture. Presque en face de la porte du bar, il y avait une automobile stationnée, dont la couleur blanche contrastait avec la nuit. Rien à voir avec une opération camouflage. Sur son toit, au moins trois antennes, pendant qu’à l’intérieur, un homme occupait le siège du conducteur. En nous observant, il semblait se dire «merde, ils m’ont vu», alors qu’il retirait ses écouteurs, avant de lever, à sa droite, un panneau horizontal où reposait un appareil électronique volumineux, pour l’entrer dans un large coffre à gant. Venait-il d’écouter nos conversations? Si oui, il aurait dû cacher ses instruments, avant que nous sortions du bar. À moins que ce geste fût planifié, dans l’intention de cueillir les réactions du copain dans ses courriels et appels téléphoniques, comme un chasseur épiant le comportement de sa proie.

Mais encore, qui était ce type? Un détective, l’agent d’un organisme gouvernemental ou d’une entreprise privée qui craignait d’être éclaboussée par son travail! Pourquoi? Peu importe. Mon copain avait ri de cette mascarade. En fait, je crois que plusieurs rencontres fortuites l’avaient immunisé contre ce genre de manipulations psychologiques. Un autre jour, dans le même bar, après une autre conférence, cette fois sur le Front de libération du Québec (FLQ) et ses ramifications avec la Central Intelligence Agency (CIA), un homme qui s’était joint au groupe lui avait montré son badge de la CIA. C’était plus drôle qu’inquiétant. Et s’il était vraiment ce qu’il affirmait, cela voulait simplement dire qu’un agent des services de renseignements étasuniens pouvait, contrairement au gouvernement grec du Québec, fréquenter un endroit où la vente de bières de microbrasseurs québécois profite à l’économie locale.

Mon copain n’a jamais fait écho publiquement de ces évènements. Par contre, il m’avait parlé d’une rencontre dont je n’avais pas été témoin. Elle s’était déroulée avant une de ses conférences. Une personne menaçante l’aurait accusé d’avoir prononcé les mots «mafia juive» à la radio. C’est vrai. Il avait commis ce crime grave, soit lors de son émission l’Éconoxydable diffusée à CIBL FM ou à Zone de résistance de CISM FM, comme il l’avait fait pour la mafia italienne, la mafia russe, la mafia française et j’en passe. La personne aurait-elle souhaité qu’à la place d’affirmer que notre société est sous le joug d’autorités malveillantes et criminelles, que mon copain fasse un topo sur les ailes de poulet avant le Super Bowl? Livrer les secrets de la grande cuisine du con gelé, sinon... le bras de la Justice.

Parlons de Uber et planifions des séances de photos au nom des migrants syriens, pendant que des vautours dévorent les restes de la Commission Charbonneau en rotant. Ou encore, publions l’image d’un harfang des neiges partagée par un ministre, faute de questionner sa compétence et ses affiliations. Le mentor de Kamel Nasir est trop intègre pour se prêter à de telles banalités. Mais encore, il est plutôt accaparé par ses activités. En plus de son travail d’animateur radiophonique, il occupe le poste de président d’Énergie solaire Québec, s’offre des enquêtes fouillées, enseigne à l’Université du Québec à Montréal et fait aussi quelques apparitions au canal Historia dans Le signe secret, en laissant derrière lui quelques chroniques inoubliables dans le journal Le Couac traitant des firmes de relations publiques.

Et moi... J’aime pelleter, même le premier janvier. En fait, il n’y a pas de moment idéal pour se souvenir d'un copain. Par contre, si j’osais espérer lui serrer la main et échanger quelques mots, je pourrais passer pour une personne dérangée. Vous savez, cet individu qui après avoir abdiqué à l’idée que le gouvernement grec du Québec puisse s’attaquer aux plus faibles, au nom de l’économie, ou dire aux travailleurs de la vigne qu’ils sont des indésirables, évoluerait vers la pratique de la nécromancie. L’art de faire parler les morts, pour connaître l’avenir de la médiocratie.

Le 2 janvier 2016, vers 20 heures, j’ai appris que mon copain était décédé. Benoît Perron (1958-2015) nous a quittés le 22 décembre dernier, le jour de la nuit la plus longue, lui qui gerbait sur la Grande Noirceur du gouvernement de Maurice Duplessis. Un cadeau de Noël pour les crapules, lui qui les dénonçait. Benoît était le maillon fort d’une chaîne d’information qu’on ne pourra jamais remplacer. Seulement imiter. Le Jacques Parizeau de la radio, si je peux me permettre. Un grand homme, qui malgré son importance, reste un illustre inconnu pour près de 99 % de la population québécoise. Celui, par qui passaient de grands personnages qui nous informent. Ces autres inconnus du 99 % qui luttent pour nous éclairer sur l’actualité; de ses enjeux sur nos droits, notre économie, notre liberté, notre identité et notre démocratie. Qui se plaindra de son départ soudain? Certainement pas le gouvernement grec du Québec et ses petits amis.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 janvier 2016

    Moi je me plains!
    Allumé,pertinant,efficace,à l'écoute et donnant à la radio-diffusion sa pleine valeur utile pour les auditeurs,faisant de lui un des rares et précieux cerveaux audible au québec.
    Je l'ai manqué tout ce temps et maintenant c'est lui qui me manque.
    Le Jacques Parizeau de la radio effectivement par son esprit de synthèse et sa générosité,rendant les gens mieux renseignés et plus intelligents car c'est bien ce qui passe quand on écoute Benoît Perron.
    Une seule entrevue suffit pour le constater.
    Merci à sa famille et ses proches!
    Son patrimoine radiophonique intégral devrait être accessible à tous:où peut-on le trouver?

  • Pierre Cloutier Répondre

    12 janvier 2016

    J'ai bien connue Benoit avec qui j'ai fait quelques émissions de radio, dont une avec Yves Michaud et Bernard Landry. Benoit était fasciné par la crise d'octobre 1970 et une fois, où il est venu me rendre visite à la maison en Estrie, je lui ai montré l'ancienne ferme du Petit Québec libre, à Saint-Anne-de-la-Rochelle, où les gars du FLQ avait leur quartier général. J'ai été très surpris de son décès, car il était relativement jeune et me paraissant être en bonne forme physique. Je lui rends hommage.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 janvier 2016

    Merci pour ce généreux partage, ca me touche beaucoup.
    Je vais aller l'écouter: http://cism893.ca/recherche/?s=benoit%20perron