Méditation sur la charte des valeurs

Chronique de Marc Huber

Le projet de loi sur la Charte des valeurs québécois est enfin déposé par le Parti québécois (PQ). Pour beaucoup d’intervenants, c’est une nouvelle chance pour commenter le dossier. J’aimerais vous dire que je suis las d’entendre, depuis bientôt deux mois, les mêmes propos et accusations, comme si le retrait des symboles religieux de la fonction publique devait alimenter un moulin à parole, mais au contraire, j’en veux encore. Mes raisons sont simples. Ces gens nourrissent mes méditations et élèvent mes exigences par rapport aux débats. Sans eux, l’occasion me manquerait pour vous dire qu’avant la Charte, j’avais l’impression d’une fuite collective loin des polémiques, comme si nous nous contentions de reformuler les propos véhiculés par les grands médias. J’étais même à croire que cette réaction était le fruit d’une résignation à l’idée d’être un éternel valet, faute de ne pouvoir conclure la Révolution tranquille en devenant maître chez soi, plutôt qu’une peur de la confrontation. Après tout, on nous le répète: les Québécois n’aiment pas la chicane.
Heureusement, le dépôt de la Charte a opéré un changement radical. Mais attention, je ne dis pas qu’on argumente dans le respect de l’autre. La fuite s’est simplement transformée en des promesses de contester la Charte devant la justice canadienne et de placer dans notre mire celles et ceux qui ne pensent pas comme nous. La chasse est donc ouverte. D’un côté, les proies à abattre, de l’autre les chasseurs.

Proie ou chasseur

Qui suis-je? J’ai trop le tempérament d’un vieux grizzli qu’on aurait réveillé en janvier, pour être une proie idéale. Le genre à bondir sur les personnes impudentes. Celles qui se servent de la Charte pour tirer les plombs du racisme et de la xénophobie. Celles qui commettent des actes haineux contre les gens qui affichent des symboles religieux, passés de 117 en un mois contre 25 entre le 1er janvier et le 31 juillet 2013, selon le Collectif québécois contre l’islamophobie et le Conseil musulman de Montréal. Enfin, je ne peux flairer les personnes qui pèsent les vertus et la morale en fonction de leur individualité, comme si l’autre était sans importance. Ces gens, qui parfois, me laissent l’impression que l’égoïsme marche avec l’opportunisme, lorsqu’ils affirment que la Charte du PQ serait la cause de la multiplication de dérapages.
Je veux bien que les gens puissent se défouler sur le PQ, à la condition qu’ils aient le courage de rappeler que les actes haineux existaient bien avant la Charte. Certains pourraient ajouter qu’ils ont débuté lors de la conquête britannique de 1760 et qu’ils se perpétuent sous l’étendard du fédéralisme canadien. Je n’entrerais pas dans le sujet, bien que je sache que le mépris, dont j’ai été la victime dans des commerces de Kirkland et Cartierville pour avoir exigé d’être servi en français, est le fruit de cette conquête. Que les propos indignant de Jean Charest et des ministres Bolduc, Dutil et St-Pierre, lors de la grève étudiante du printemps érable, furent presque un calque des commentaires formulés par les soldats britanniques pour attaquer les droits des colons français et dénigrer leur origine. Ainsi que les menaces de mort sur la personne de Gabriel Nadeau-Dubois, alors porte-parole de la CLASSE, et les milliers d’arrestations d’étudiants, sans accusations. Et de mémoire, je me désole de constater qu’aujourd’hui, comme hier, les souffre-douleur n’ont pas été soutenus comme ils le méritaient. Que ces gens, de plus en plus nombreux, qui associent la défense des droits et de l’identité des Québécois à des attaques contre la démocratie ou à un fanatisme qui aurait des liens congénitaux avec Adolf Hitler, sont rarement invectivés sur la scène publique.
La haine, dont sont victimes les Québécois, serait-elle légère, volatile, sans importance, alors que celle qui toucherait les persécutés de la Charte serait lourde comme une montagne tombée du ciel, encore plus pesante quand elle frappe des gens dont le vote devrait aller à des fédéralistes restés fidèles aux idéologies raciales britanniques du XVIIIe siècle.
Je veux bien tirer sur le PQ, à la condition que les autres partis politiques aient le courage de mettre autant d’effort pour dénigrer les partisans de la Charte que pour répéter qu’au Canada, les droits des Québécois ne sont pas une jurisprudence, mais des privilèges accordés à une tribu de francophones. Qu’ils disent la vérité, à savoir que pour se délivrer du mépris, de l’arrogance et du racisme, les Québécois doivent, dans leur propre pays, se taire et bouger sans faire du bruit. Ce n’est pas le cas. Ils utilisent le moulin à parole pour radoter pendant que se multiplient les émissions de télévision ressemblant parfois à un théâtre de marionnettes et les manifestations d’amour fallacieuses, faisant penser au Quebec Lover du référendum de 1995. Le tout accompagné de Thomas Mulcair, Stephen Harper et Denis Coderre transformés en chasseurs usant de projectiles chercheurs conçus pour atteindre uniquement les partisans de la Charte de toutes origines et de poursuites judiciaires contre Djemila Benhabib, candidate péquiste de Trois Rivières osant montrer l’envers de la médaille qu’on préfère éviter.
Devant cette force de frappe, l’idée de placer une proie dans ma mire, de presser la gâchette et de tweeter mon geste courageux, hante mon esprit. Malheureusement, même avec la meilleure arme, le vêtement idéal et ma bonne volonté, je ne réussis pas à retirer de ma tête l’impression que nous sommes tous des proies.
Bien avant d’être soumise à des critères économiques, la vraie chasse de notre siècle consiste à bombarder les gens de slogans à travers des réseaux d’influences pour nous préparer à des changements, nous dicter des idées et des positions, ou disons; attendrir notre viande avant la grande saignée. Et lorsque nous traitons d’actes haineux ou de dérapages, bien sage serait celui qui pourrait faire la différence entre la spontanéité d’un citoyen insultant une usagère du métro de Montréal affichant un signe religieux et une tentative pour manipuler l’opinion publique.
Qu’on le veuille ou non, nous sommes encerclés par des centaines de groupes qui tentent d’imposer leurs visions de la société et de la démocratie, en usant de stratégies souvent machiavéliques par le soutien de personnes qui abandonnent leur sens moral pour se plier à des exercices de manipulations. Qui? Une confrérie d’opposants à la Charte est sur la liste. Il s’agit du Parti conservateur. Dans le texte Ce que tout bon militant conservateur doit dire publié dans Le devoir du 26 mars 2008, Alexandre Panetta traite d’endoctrinements positifs et d’une transparence améliorée selon les mots de Ryan Sparrow du Parti conservateur. Une technique de manipulation de l’opinion publique qui consiste à orchestrer les interventions en fournissant les coordonnées des émissions de radio locales où appeler, ainsi qu’une liste commode de positions toutes prêtes favorables aux conservateurs et moins favorables à l’égard de leurs adversaires. Et pour ceux, comme moi, qui s’alimentent des courriers des lecteurs, des tactiques similaires se font pour ceux qui souhaitent écrire des lettres aux journaux.
Est-ce que cinq ans plus tard, ces interventions s’étendent sur la Toile, voire dans l’espace public, pour soutenir d’autres positions à travers d’autres partis politiques, associations ou groupes? Je ne sais pas si les manipulateurs de pensées ont traversé les frontières de la Charte. Je dois par contre souligner que les éternelles formules qui orchestrent les offensives et nuisent aux débats sont omniprésentes autour de la Charte. Elles sont ajustées au dossier comme un gant, par l’utilisation, à outrance, de l’arme d’un relativisme douteux qui érige les opposants à la Charte sur un nuage céleste de droits individuels et de libertés immuables, tout en tirant les plombs de l’intolérance, du racisme, de la xénophobie et de poursuites judiciaires sur les partisans.

Chasser les chasseurs

Devant le spectacle, je sens monter en moi le besoin de chasser les chasseurs. En s’empressant de juger et dénigrer la Charte, avant même sa publication pour certains, ces derniers ont démontré un manque de prudence et de sérieux. Et ce qui devait arriver s’est produit. Ils sont tombés dans un trou, un piège si vous préférez, en s’approchant de la Charte sans l’identifier. Et depuis, la brèche ne cesse de se remplir.
À l’intérieur, plusieurs politiciens et candidats à des postes de gouvernances, dont un pourcentage impressionnant de gens qui haïssent l’idée de terminer la Révolution tranquille en devenant maître chez soi. C’est tellement ancré en eux, qu’ils craignent une proximité avec le PQ et le mouvement souverainiste. En fait, c’est comme si la chasse à la Charte se déroulait pour nous ramener à la bonne époque de John Charest, cette ère bénite qui a transformé le Québec en une province canadienne empruntant les mêmes ponts idéologiques et économiques que les conservateurs de Stephen Harper. Pour conséquence, le Québec est plus que jamais une région du Canada et le fossé idéologique imaginaire que nous avons dressé entre le Québec et l’Alberta se rétrécit comme les banquises de l’Arctique. Un pays qui décuple le nombre de politiciens douteux, pendant que les tentatives pour museler les journalistes, les (vrais) intellectuels et les fonctionnaires se multiplient.
Je me permets d’ajouter que si nous offrions à des chasseurs la possibilité de sortir du trou à la condition qu’ils acceptent de choisir entre Richard Henry Bain et Gilles Duceppe pour les accompagner lors d’un repas médiatisé pré-électoral, plusieurs candidats du grand Montréal opteraient pour le célèbre assassin plutôt que le séparatiste et ancien chef du Bloc québécois pour ne pas nuire à leur élection et parce qu’ils préfèrent les tueurs liés au conquérant que les souverainistes québécois condamnés à perdre, s’ils restent dans le Canada. Enfin, parce qu’ils ont l’âme d’un lâche qui, à la place de critiquer les méfaits de son maître, les reproduit.
J’ajoute qu’ils font preuve d’inconséquences lorsque, pour les mêmes raisons électorales, ils transforment Montréal en un pauvre animal blessé par la Charte, en oubliant de préciser qu’ils sont les principaux responsables des plaies de la cité, eux qui demeurent de marbre devant les problèmes linguistiques du grand Montréal et la sainte toponymie des rues qui honore des assassins tels Jeffrey Amherst (1717-1797). Et eux qui profitent des moindres incidents pour tirer sur les Québécois, plus particulièrement les gens qui refusent d’êtres des valets, ils se mettent à trembler lorsque vient le temps de critiquer les propos de gens qui auraient préféré que l’arme de Richard Henry Bain atteigne Pauline Marois ou pour accuser des stations de radios anglophones montréalaises d’avoir alimenté la haine du meurtrier.
Enfin, les chasseurs de la Charte sont déphasés. Ainsi, pendant qu’ils regardent le passé pour débattre de droits acquis de groupes religieux, le présent pour exposer la bonhomie des uns et la xénophobie et le racisme des autres, ils sont incapables d’anticiper l’avenir. Je trouve cette tendance plutôt dérangeante, car la Charte est un projet social pour éviter qu’on puisse, à l’avenir, associer l’État aux actes contestables de fanatiques religieux, ou pire, à cibler des employés de ce même État qui afficheraient des symboles qui les lieraient à ces radicaux.
Meurtres et poésie
Ce n’est pas de la faute des partisans de la Charte si la religion tue quotidiennement ou du Québec si demain, plus qu’hier, des gens seront indisposés par la présence de signes religieux autour d’assassinats et d’actes violents. Et pendant que l’argument d’un manque d’ouverture sur le monde des Québécois est répété comme un mantra alimentant le moulin à parole, on évite de préciser que c’est en s’ouvrant sur le monde pour répondre aux critères économiques mondiaux et comprendre les nombreuses transformations géopolitiques, qu’on augmente nos chances d’observer des dérapages religieux. Et pour ceux qui refusent cette réalité en affirmant que le Québec serait un genre de Disney Land imperméable à cette violence, un lieu où les rats seraient des Mickey Mouse, je dois rappeler qu’avant le 4 septembre 2012, le jour de l’élection du PQ, personne n’aurait cru possible qu’un individu qui fréquente une église baptiste puisse amalgamer sa foi en Dieu avec sa haine des Québécois, au point d’excuser son attentat contre Pauline Marois. Ce fut pourtant le cas de Richard Henry Bain. Selon Le Journal de la SRC et l’Hebdo régional du Mont-Tremblant du 7 décembre 2012, Bain aurait affirmé en cour qu’il était un soldat chrétien dont la mission est de combattre les séparatistes et de lutter pour la démocratie, la justice et la liberté. Il aurait ajouté que les Canadiens n’arrêteront jamais de se battre contre les séparatistes diaboliques et que les combattants chrétiens ne commettaient pas de meurtre, si vous aimez mieux, tuer Pauline Marois ou un autre séparatiste n’est pas un assassinat.
Mais encore, personne ne pouvait prévoir qu’on éviterait de traiter de cette alliance entre des idéologies raciales et la religion, comme s’il fallait continuer de croire que le Québec est imperméable aux méfaits du fondamentalisme religieux, qu’ici, ce n’est pas comme ailleurs.
J’écoute depuis plus de deux mois des commentaires qui traitent de la Charte. Je ne sais pas si le peu de temps que je consacre aux médias me rendrait ignorant, mais il me semble que ce que j’ai vu honore la partisanerie politique au point de m’inciter à chasser les pleutres de plus en plus nombreux et puissants, ces personnes qui ferment leurs yeux devant la dépossession du Québec, l’anglicisation et la corruption et qui, lorsqu’elles sont dans la cible des enquêtes de l’UPAC, laissent tomber leur costume de chasseur arrogant pour porter celui du lièvre blanc disparu dans la forêt enchantée. Sans cette chasse, nous serons toujours confrontés à des gens dont le réflexe est de trouver une proie à abattre, vous, eux, moi, nous; celle qui provoque en eux un malaise en leur demandant ce qu’ils n’ont pas et n’auront jamais: du courage et de l’intégrité.
Une fois ce ménage terminé, il y aura encore des personnes qui tireront sur la Charte et d’autres, comme moi, qui croiront que le PQ est courageux d’avancer sur ce terrain de chasse. Et après, devrions-nous alimenter le moulin à parole pour nous invectiver publiquement ou prendre une petite pause pour atténuer nos ardeurs, afin que nous puissions enfin débattre?
Parfois, la poésie permet de réfléchir. Au moment d’écrire, je pense à Bertrand Cantat, un poète français engagé qui a lancé le 10 novembre 2013 son premier disque solo depuis Des images des figures de Noir Désir, œuvre présentée le 11 septembre 2001 qui marqua la mémoire d’étranges souvenirs, puisque la pièce Le Grand incendie jouait pendant que les images des tours jumelles avalées par les flammes étaient projetées en directe à la télévision de Paris. J’aime Cantat au point qu’à l’époque j’aurais pu m’imaginer porter un T-Shirt de Noir Désir dans la fonction publique. Qui aurait été contre ce geste, en considérant que ce groupe était, à mon avis, de loin supérieur à U2, une icône du Rock anglo-saxon.
En juillet 2003, Cantat a tué Marie Trintignant. Aurais-je pu utiliser les mêmes arguments que les détracteurs de la Charte pour refuser de retirer mon vêtement? Explorer le relativisme sur toutes ses facettes au nom de mon identité culturelle, de ma passion et de mon amour pour la poésie, pour enfin transformer Cantat en victime en étalant les menaces téléphoniques auprès de ses proches et sa maison, où devaient résider ses deux enfants, avalée par les flammes d’un incendie criminel, toujours le 11 septembre, mais cette fois en 2003. Ou encore, j’aurais pu menacer la société de quémander de l’assistance sociale si je devais retirer l’image du poète de mon espace de travail. Mais vous savez, je ne me donne pas le droit d’indisposer les citoyens qui ont fait de Cantat un «batteur de femme» et un «assassin», de lier l’État à la bêtise de ce dernier, car même si j’aime Cantat, je reconnais que les droits collectifs priment sur mes droits individuels.
La vie nous fait souvent voir des nuages noirs, que nous soyons des amateurs de poésie ou de signes religieux. Et lorsque la pluie tombe, pouvons-nous l’accuser d’arroser les mauvaises herbes, sans questionner les semeurs d’ivraie, ceux et celles dont les actions provoquent des réactions haineuses contre les symboles religieux? Je le disais, notre globe est gangrené par des crimes religieux. Pour les Québécois qui les connaissent ou les ont connus, ces symboles agressent. Et si on choisit de taire les ressentiments de ces gens, on devrait faire de même avec ceux qui se font injurier pour afficher ces signes. Sans cette objectivité, on ferme la porte au débat en laissant l’impression que ce qu’on craint le plus n’est pas la Charte, mais sa capacité à dévoiler le visage de l’imposture et de la lâcheté chez plusieurs de nos politiciens. Découvrir, par la Charte, que nous sommes encerclés de personnes qui n’ont pas les qualités requises pour occuper des postes de direction qui feront de nous les maîtres de notre destin.
Et par-dessus cette incompétence, un point que nous n’osons traiter. Le Québec dessiné entre 2003 et 2012 par Jean Charest, le plus fédéraliste des politiciens, est une bénédiction pour les intégristes de toutes origines puisqu’il laisse pour héritage des signes évidents de corruption, de crimes devant la Justice et de vols des ressources. Des exemples pour démontrer que notre démocratie est la source d’un mal que seul Dieu peut combattre par le soutien d’une théocratie.
Est-ce que la rogne des intégristes contre le PQ voudrait dire que notre démocratie irait mieux ou serait pire qu’avant? Débat? Le moulin à parole ne répond pas à cette question. Il préfère répéter que la Charte divise les Québécois, pendant qu’en réalité elle unit plus que jamais ses opposants autour du sang de proies, si je me permets l’image. Les nombreux politiciens tombés dans le trou se regroupent autour des mêmes critères raciaux qui font honneur à Bain et Amherst, pour dire aux partisans de la Charte que s’ils ne reculent pas, ils seront saignés devant la Justice canadienne. Pour les aider, un recours juridique contre Djemila Benhabib, la perle rare qui a montré l’envers de la médaille.
Cette folie me rappelle George III (1738-1820). Ce roi anglais qui a régné lors de la conquête britannique est devenu dément à la fin de son règne. Aujourd’hui, on croit que la cause de cette aliénation mentale serait une maladie du sang appelée porphyrie, l’explication moderne la plus plausible d’un irrésistible besoin de boire du sang qui a donné vie au mythe du vampirisme. Bref, si le crucifix devait disparaître du Parlement, il serait prudent de le remplacer par des tresses d’ails.


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