La guerre en Palestine et au Liban, prélude à une attaque américaine contre l'Iran ?

Géopolitique — Proche-Orient

L'aut'courriel n° 196, 29 juillet 2006
Dans deux articles parus dans le New Yorker (24 janvier et [10 avril 2006->843]), le réputé journaliste Seymour M. [Hersh->900] écrivait, au terme d'une série d'entrevues réalisées auprès de hauts dirigeants de l'administration Bush et de membres de l'État-major américain, que l'obsession véritable de l'entourage du président était non pas l'Irak mais l'Iran ! «C'est une guerre contre le terrorisme, résumait l'un d'eux, dans laquelle l'Irak ne constitue qu'une campagne. L'administration Bush l'envisage comme une vaste zone de guerre. La prochaine campagne sera l'Iran. »
Selon Seymour M. Hersh, le président Bush croit qu'un futur président, qu'il soit démocrate ou républicain, ne pourrait, lors d'un premier mandat, attaquer l'Iran et que lui seul a les mains libres pour le faire. Le but avoué est d'empêcher Téhéran d'acquérir l'arme nucléaire. Washington planifierait des bombardements pour détruire les installations nucléaires iraniennes, ce qui représenterait plus de 400 cibles. Mais les interlocuteurs de Hersh affirment qu'une fois l'action entreprise, elle ne se limiterait pas à ces seuls objectifs. Les usines chimiques, les rampes de lancement de missiles, les aéroports et différentes autres cibles militaires seraient également dans le collimateur de l'armée américaine.
Plus inquiétant encore, Washington envisagerait l'utilisation d'armes nucléaires tactiques, les seules capables de détruire les installations enfouies à de grandes profondeurs. Cependant, selon Hersh, l'utilisation d'armes nucléaires provoque une forte opposition au sein de l'État-major américain et plusieurs membres du Joint Chiefs of Staff auraient laissé planer la menace de leur démission dans une telle éventualité.
De façon plus générale, comme le déclarait à Seymour M. Hersh, Patrick Clawson un expert sur la question iranienne qui est directeur de la recherche au Washington Institute for Near East Policy et un ardent supporteur du président Bush : «This is not like planning to invade Quebec» (Ce n'est pas comme planifier une invasion du Québec) !!! (Drôle de comparaison, n'est-ce pas !? Les États-Unis ont-ils des plans d'invasion du Québec?)
Première étape : annihiler le Hezbollah
Une des conséquences d'une attaque contre l'Irak qui faisait hésiter certains hauts dirigeants américains cités par Hersh était la riposte inévitable du Hezbollah au Liban contre Israël. L'offensive israélienne en cours contre le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine n'a-t-elle pas pour but de «régler» ce problème et préparer le terrain pour une attaque américaine contre l'Iran? Il faut sérieusement se poser la question. Qui croit encore qu'elle n'est qu'une «réaction mesurée» à l'enlèvement de trois soldats israéliens ?
De toute évidence, le plan américain consiste à tenter de détacher la Syrie de l'Iran. Les pressions américaines pour forcer l'armée syrienne à évacuer le Liban après la mort du premier ministre Hariri n'avaient-elles pas pour but de faire en sorte que la Syrie ne se retrouve pas directement et automatiquement impliquée lors d'une attaque d'Israël contre le Hezbollah?
Il faut savoir que la Syrie ne campe pas sur les mêmes positions que l'Iran face aux États-Unis. Le gouvernement syrien a collaboré avec les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme en donnant des informations sur al-Qaeda, en prévenant la Maison Blanche d'une attaque majeure contre ses intérêts dans la région du Golfe et en permettant aux agents de la CIA d'interroger Mohammad Zammer, le présumé agent recruteur de ceux qui ont perpétré les attentats contre le World Trade Center. D'ailleurs, l'affaire Maher Arar a confirmé que les États-Unis sous-traitaient la torture de prisonniers à la Syrie.
Si Israël réussit à annihiler le Hezbollah du sud Liban, la question iranienne reviendra immédiatement dans l'actualité. Selon Seymour M. Hersh, l'administration Bush croit que les bombardements intensifs de l'armée américaine humilieront les dirigeants iraniens et que le peuple en profitera pour se soulever et renverser le régime des Mollahs et installer avec l'aide des États-Unis un système démocratique. Mais plusieurs analystes, interrogés par Hersh, croient que cela aura plutôt l'effet inverse d'unir le peuple iranien autour de ses dirigeants pour faire face à l'agression.
L'implication du Canada dans la «guerre contre le terrorisme»
Le Canada de Stephen Harper est maintenant impliqué jusqu'au cou dans la stratégie américaine. Lorsqu'il fut interrogé par des journalistes sur une éventuelle participation du Canada à une attaque «préventive» américaine contre l'Iran, le premier ministre Harper a refusé de nier une telle possibilité. Quelle forme prendrait cette participation ? Possiblement par le biais du contingent canadien en Afghanistan.
Seymour M. Hersh souligne qu'au Pentagone on planche sur des plans d'invasion de l'Iran à partir de l'Irak et de l'Afghanistan, deux pays limitrophes. Les bases militaires que les États-Unis ont installées dans les ex-républiques soviétiques seraient également mises à contribution.
Une participation canadienne active à la «grande guerre contre le terrorisme» n'est pas une vue de l'esprit. Elle est déjà en cours. Le gouvernement Harper a été le premier gouvernement à couper les vivres à l'Autorité palestinienne après l'élection du Hamas, il a prolongé de deux ans la mission canadienne en Afghanistan et donne aujourd'hui un appui sans réserve à l'offensive israélienne dans la bande de Gaza et au Liban.
Le gouvernement Harper est en partie issu de la droite religieuse canadienne-anglaise et dans The Pilgrimage of Stephen Harper (ECW Press), l'auteur Lloyd Mackey rapporte qu'au lendemain de son élection à la tête de l'Alliance canadienne Stephen Harper avait donné mandat à Stockwell Day de tisser une alliance entre la droite chrétienne et le lobby pro-Israël, sur le modèle de celle intervenue aux États-Unis au sein du Parti républicain. Stockwell Day aurait alors, selon Lloyd Mackey, contacté Charles McVety, président du Canada Christian College, une école de Toronto qui travaille en étroites relations avec plusieurs grandes congrégations charismatiques, et Frank Diamant, vice-président du B'nai B'rith juif.
Plusieurs se sont étonnés que le gouvernement Harper fasse si peu de cas de la minorité libanaise de Montréal, mais la chroniqueure Lysiane Gagnon de La Presse - et porte-parole «officieuse» du lobby israélien - écrivait dans [le Globe and Mail du 24 juillet->1388] que Stephen Harper ne craignait pas de perdre l'appui des quelque 80 000 membres de la communauté libanaise de Montréal parce que son objectif était, «au point de vue électoral, de faire des percées auprès des 100 000 membres de la communauté juive de Montréal qui ont constitué jusqu'ici un des châteaux-forts du Parti libéral». D'ailleurs, La Presse du 29 juillet nous apprend que le Parti conservateur a déjà commencé à solliciter l'appui financier des membres de la communauté juive en invoquant son soutien indéfectible à l'État d'Israël.
Vers un gouvernement de coalition conservateur-libéral?
La politique internationale du gouvernement Harper est de plus en plus impopulaire au Québec et au Canada, selon les derniers sondages, mais il ne faudrait pas parier sur un changement de cap. Depuis le vote à la Chambre des Communes sur le prolongement de la mission en Afghanistan, Stephen Harper sait qu'il peut envisager un plan « B » sous la forme d'un gouvernement de coalition avec un certain nombre de libéraux.
Rappelons-nous qu'après avoir divisé les libéraux lors de ce vote sur l'Afghanistan, le premier ministre Harper a traversé la Chambre des Communes pour aller serrer la main au chef de l'Opposition Billy Graham et à Michael Ignatieff, le candidat qui se retrouve en tête dans la course à la chefferie du Parti libéral.
Un tel scénario de gouvernement de coalition ne serait pas une première dans l'histoire du Canada. En 1917, le premier ministre conservateur Robert Borden avait fractionné, lors du vote sur la conscription, le Parti libéral de Sir Wilfrid Laurier en deux ailes, les «loyaux» et les «déloyaux», pour éventuellement former un gouvernement de coalition avec les libéraux favorables à la conscription.
Aujourd'hui, la situation ressemble à plusieurs égards à celle qui prévalait à la veille du déclenchement de la Première guerre mondiale. L'enjeu est le même : le partage ou plutôt le repartage du monde entre les grandes puissances. Les États-Unis veulent absolument contrer la montée de la Chine en l'empêchant d'avoir libre accès aux ressources pétrolières de l'Iran et du Moyen-Orient. Comme le résumait à Seymour M. Hersh un de ses interlocuteurs : «Le véritable enjeu est de savoir qui va contrôler le Moyen-Orient et son pétrole au cours des dix prochaines années».
Nous savons que le président Bush, le vice-président Dick Cheney et la secrétaire d'État Condoleeza Rice sont tous issus des milieux pétroliers. Il en va de même du premier ministre Stephen Harper, un ancien employé de l'Imperial Oil. Ne l'oublions pas.
* Pierre Dubuc est directeur de l'aut'journal. Il est l'auteur du livre Le Vrai Visage de Stephen Harper, paru aux Éditions Trois-Pistoles.


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