PROCHE-ORIENT

Face à l’Iran, les pays sunnites se rapprochent d’Israël grâce à Donald Trump

1a358a2b3cec855405f8210b6d8e24b8

Israël a gagné sur toute la ligne

Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦ Alors que les médias français se moquaient une fois de plus de Donald Trump en fustigeant un plan de paix prétendument irréaliste pour le Proche-Orient, voilà que le président des États-Unis a réussi un coup de maître en réussissant à normaliser les relations entre Israël et deux pays arabes du Golfe : la fédération des Émirats arabes unis et le royaume de Bahreïn. Notre chroniqueur spécialisé en géopolitique décrypte cette réussite diplomatique qui doit autant à l’entremise de Donald Trump qu’à la peur de l’Iran.

Polémia


La peur de l’Iran chiite comme moteur



Le mouvement a été initié par l’Arabie saoudite, qui n’a pas encore été au bout de sa logique. Il y a eu un moment cependant où, pour les régimes sunnites et notamment les monarchies du Golfe, la peur de l’Iran chiite a été plus forte que la haine de « l’entité sioniste ». La cause palestinienne, qui a longtemps été partagée par le monde arabe, est devenue pour les pouvoirs en place quasiment marginale. Les Israéliens apparaissent ainsi comme les grands gagnants des actuelles évolutions et les Palestiniens les grands perdants. Certes Trump ne sera jamais, comme Obama, prix Nobel de la paix et pourtant avec lui une certaine paix a progressé, quoi qu’on en pense par ailleurs.


Le président américain et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou signent avec les représentants des Affaires étrangères des Emirats et de Bahreïn des accords établissant officiellement des relations diplomatiques entre l’Etat hébreu et les deux pays du Golfe. De nombreux États arabes pétroliers cultivaient déjà discrètement des liens avec l’Etat hébreu depuis des années, mais la normalisation permet à ces relations de se développer au grand jour, et offre des opportunités à ces pays qui tentent de réparer les ravages de la crise du coronavirus. C’est aussi, bien sûr, le cas d’Israël, obligé de se confiner pendant trois semaines pour passer la période dangereuse d’une série de fêtes religieuses.


La fin de la condition palestinienne ?



Depuis 2002, le consensus régnait dans le monde arabe sur le fait que la résolution du conflit israélo-palestinien était une condition sine qua non pour une normalisation des relations avec Israël, qui occupe le Golan, Cisjordanie et Jérusalem-Est depuis 1967. L’Égypte et la Jordanie ont signé des accords de paix avec Tel Aviv respectivement en 1979 et 1994.Ce consensus s’était donc fragilisé ; il vient d’exploser.


Cela étant, la prudence s’impose. Les monarchies du Golfe tentent d’ailleurs de faire croire que cet accord va arrêter la colonisation juive en Cisjordanie et que c’est donc favorable pour les Palestiniens. Ces derniers cependant ne sont pas dupes. Ils ont du reste appelé à des manifestations pour dénoncer des accords “honteux”. La pression démographique doit être prise en compte.

Le royaume de Bahreïn, pays à majorité chiite mais gouverné par une dynastie sunnite, devait « établir une sorte de lien formel avec Israël » pour s’assurer du parapluie américain, car il s’agit d’abord d’une question sécuritaire. C’est le pays qui ressent le plus la menace iranienne, extérieure mais aussi intérieure.

Oman pourrait aussi emboîter le pas aux Émirats. Après avoir annoncé son « soutien » à l’accord, le ministre des Affaires étrangères du sultanat s’est entretenu au téléphone avec son homologue israélien. Mascate joue déjà le rôle de médiateur dans les conflits de la région et Benyamin Netanyahou s’y était déjà rendu en octobre 2018, malgré l’absence de relations diplomatiques entre les deux pays.


Des pays encore discrets



Les autres pays réunis au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont restés muets après l’annonce de la normalisation. Comme le Qatar, brouillé avec ses voisins depuis 2017. L’Arabie saoudite, quant à elle, devrait attendre plus longtemps avant de franchir cette étape, surtout que dans les faits, c’est déjà la normalisation. Un ministre saoudien a d’ailleurs déclaré qu’il n’y aurait « pas de normalisation avec Israël sans paix avec les Palestiniens ».


Mais ce n’est qu’une déclaration de principe. Le poids de l’opinion publique sensible à la cause palestinienne peut expliquer cette réticence, mais ce poids de l’opinion publique n’est jamais décisif, sinon l’Égypte et la Jordanie n’auraient jamais signé la paix. Le soir de l’annonce cependant, le hashtag « La normalisation est une trahison » était au top des tendances sur Twitter dans ce pays qui compte plus de 30 millions d’habitants. Rien ne semble pourtant pouvoir arrêter le processus pour les pays qui veulent s’assurer de la protection américaine par peur de Téhéran malgré leur détestation d’Israël et leur empathie — en tout cas celles de leurs sujets — pour les Palestiniens.