À la veille du Sommet de Bucarest

La Francophonie vue des Balkans

XIème Sommet de la Francophonie à Bucarest


Douze pays d'Europe centrale et orientale sont membres, à un titre ou l'autre, de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). La Bulgarie, la Roumanie et la Moldavie sont membres de plein droit; l'Albanie et la Macédoine sont membres associés; la Pologne, la Lituanie, la Slovénie, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Croatie ont statut d'observateurs au Sommet.


Le Club politique des Balkans, une ONG présidée par l'ancien président de Bulgarie (1990-1997), Jeliou Jelev, qui regroupe des politiques, anciens et actuels, de cette région, organisait au début du mois de septembre à Sofia, dans la perspective du prochain Sommet qui se tiendra les 28 et 29 septembre en Roumanie, un colloque sur le thème des «nouveaux espaces de coopération politique internationale pour la Francophonie en Europe».
Invitée par le Club pour apporter un point de vue nord-américain sur la Francophonie dans cette région, j'en ai profité pour tenter de mieux comprendre les raisons de l'adhésion de ces pays à l'OIF, ayant été de ceux et de celles qui, au cours des ans, se sont beaucoup interrogés sur la pertinence de l'élargissement sans fin de cette organisation internationale. La Francophonie qui compte maintenant 63 membres, ne risque-t-elle pas de se diluer et de perdre de vue sa mission fondamentale qui est de s'assurer que la langue française demeure une grande langue internationale tout en défendant sur la scène mondiale la diversité linguistique et culturelle ? Ou au contraire en permettant un plus grand rayonnement de la langue française, cet élargissement sert-il mieux les intérêts globaux de l'institution et de tous les francophones et francophiles dans le monde ?
Rompre l'isolement

Les pays d'Europe centrale et orientale ont entrepris depuis 15 ans d'importantes réformes économiques et sociales s'engageant ainsi, après la chute du mur de Berlin, dans un processus visant leur intégration dans le monde occidental, en passant progressivement d'une économie planifiée à une économie de marché et en instaurant un système parlementaire démocratique.
La priorité des priorités pour ces pays était et demeure leur intégration dans l'Union européenne et leur adhésion à l'OTAN. Tout ce qui y concourt, tout ce qui les rapproche de ces deux objectifs est bienvenu. La Francophonie européenne est ainsi perçue comme un pôle supplémentaire d'ouverture au monde qui rompt leur isolement passé, un nouvel ancrage dans un patrimoine culturel qui est le leur et dont le rideau de fer les avait exclus.
Nous sommes bien loin de préoccupations relatives à l'avenir de la langue française ! Bien loin des intérêts des Québécois pour qui l'avenir du français chez eux est lié à l'avenir du français ailleurs. Le Québec où la situation de la langue française, forte et fragile à la fois, ressemble à celle du français dans le monde. Le français qui dans ces pays européens occupe une position souvent marginale, ce qui du reste les a conduits à choisir l'anglais comme langue de communication dans leurs négociations avec Bruxelles.
Rassurée malgré tout
Malgré tout, je suis revenue de Bulgarie partiellement rassurée. D'abord, parce que la Francophonie, en collaboration avec la France, le Luxembourg et la Communauté Wallonie Bruxelles, a mis sur pied, pour renverser cette tendance, un fructueux programme de francisation des actuels et futurs fonctionnaires européens en provenance de cette région.
Ensuite, parce que des engagements ont été pris, pendant cette conférence, en faveur du français, de la part notamment du ministre bulgare des Affaires étrangères. J'y ai aussi entendu des plaidoyers convaincants, particulièrement celui de l'ancien ministre des Affaires étrangères de Pologne, le célèbre dissident et actuel député européen Bronislaw Geremek pour qui le français demeure la langue de la Révolution de 1789 et celle de la Commune de Paris de 1871, c'est-à-dire la langue de la liberté et de la solidarité, qui porte les valeurs républicaines et celles de la Déclaration des droits de l'homme. Une langue qui a donc, selon lui, un bel avenir dans ces pays pour qui l'adhésion à l'Europe constitue un rempart contre toute régression démocratique.
Chaque membre de la Francophonie entretient ainsi son propre rapport avec la langue française, avec la France et la Francophonie. Si la Roumanie a été choisie pour accueillir ce Sommet c'est que ce pays de langue latine conserve une tradition francophone vivace, notamment dans l'enseignement. On peut ainsi y suivre en français des études de génie, de médecine, d'architecture, de droit, etc., non seulement dans la capitale, mais aussi dans plusieurs autres villes.
Le enjeux du Sommet
La thématique du Sommet devrait inspirer le gouvernement du Québec ainsi que les universités québécoises, en particulier l'Université du Québec à Montréal à laquelle est rattachée la Télé-Université, puisqu'il s'agit «des technologies de l'information dans l'éducation».
À Sofia, Christian Preda, secrétaire d'État roumain et responsable de l'organisation du Sommet, nous a présenté son projet d'université francophone pour les Balkans que la Roumanie souhaite voir adopter par les chefs d'État et de gouvernements.
Projet sans doute intéressant, mais il me semble que la Francophonie, qui a peu de moyens, devrait d'abord renforcer son propre Institut pour l'administration et la gestion (IFAG), installé à Sofia. Cet Institut, dirigé par un Canadien (un ancien professeur de l'Université d'Ottawa, Georges Hénault) forme depuis 10 ans, en français, des centaines de jeunes cadres de la région intégrant, après avoir obtenu leur diplôme de maîtrise, des entreprises publiques ou privées. La construction d'une francophonie économique, maillon faible du dispositif actuel, nécessite le développement sur une grande échelle d'une institution du type de l'IFAG.
Le Sommet ne pourra, par ailleurs, éviter de discuter du Liban. Malheureusement, cet été, pendant la guerre, à cause de la position sans nuance aucune du Canada en faveur d'Israël, la Francophonie n'a pu jouer son rôle. Maintenant qu'il est question de reconstruction du Liban, membre ancien et actif, plus rien ne s'oppose à ce que des projets concrets comme celui de la remise en état des Centres de lecture et d'action culturelle créés par la Francophonie et détruits dans le sud du pays soient adoptés. D'autant que l'administrateur de l'OIF, le Québécois Clément Duhaime, reviendra tout juste d'une mission au Liban et sera en mesure de présenter une évaluation précise des besoins.
Stephen Harper devra changer de politique par rapport à la Francophonie et faire oublier tous ses refus : refus de toute compassion par rapport au Liban; refus de rencontrer le président d'Haïti, René Préval; double refus de rencontrer le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, à Ottawa et à Paris; refus, tel qu'il l'avait pourtant promis noir sur blanc dans son programme électoral, d'accorder au Québec à l'UNESCO le même statut dont celui-ci jouit, depuis 1985, en Francophonie.
M. Harper vivra concrètement, côte à côte avec Jean Charest, l'expérience d'un Québec membre de plein droit d'une organisation internationale multilatérale, siégeant d'égal à égal avec des États souverains, par rapport, [comme l'écrivait Gérard Bouchard dans Le Devoir du 18 juin dernier->www.vigile.net/06-6/17.html#3], au «coin de chaise à l'UNESCO, sans véritable droit de parole» obtenu après des «génuflexions» par le gouvernement du Québec qui s'en est malheureusement contenté.
Louise Beaudoin
_ Ancienne ministre des Relations internationales, responsable de la Francophonie et professeure associée au département de Science politique de l'Université du Québec à Montréal


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