La fondation de la République du Québec

Chronique de Marc Labelle

Le présent article complète le précédent, intitulé « Le peuple québécois face à son destin ».
Le processus idéal
La souveraineté populaire est la seule source d’autorité légitime au Québec. En vertu du pouvoir constituant originaire du peuple québécois, une assemblée constituante fondera la République du Québec, une et indivisible. La Constitution québécoise rédigée par cette assemblée établira les institutions républicaines du nouvel État.
Dès qu’il sera élu, un gouvernement souverainiste lancera une invitation à tous les citoyens ou groupes de citoyens intéressés à participer à la réalisation de cet objectif, qui exclurait naturellement tout autre projet constitutionnel. Entérinée par référendum, la Constitution de la République du Québec sera proclamée par l’Assemblée nationale. À mon avis, une année suffit amplement pour accomplir cela.
Ce processus, auquel participe le peuple avant le référendum, est essentiellement celui proposé par Option nationale. Ce parti prévoit de plus une loi fondamentale transitoire pour remplacer les éléments de la Constitution canadienne à la pièce entre l’élection d’un gouvernement souverainiste et l’adoption de la Constitution québécoise — cela suppose qu’il aura le courage de commettre des gestes de rupture.
Puisque la langue française constitue le principal référent identitaire du peuple québécois, j’examinerai aussi dans le cadre de ce texte la position des partis politiques concernant les deux mesures linguistiques les plus structurantes pour l’avenir du français : l’extension de l’application de la Charte de la langue française aux cégeps et aux petites entreprises.
Option nationale prévoit que la protection de la langue française — la seule langue officielle et commune — sera un principe reconnu par la Constitution du Québec. L’application de la CLF sera étendue au réseau collégial et toutes les entreprises sises au Québec devront respecter le droit de travailler en français.
Les autres partis
Québec solidaire, qui se dit souverainiste ou indépendantiste, offre une démarche constitutionnelle qui ressemble à celle d’ON à première vue, mais l’assemblée constituante déboucherait sur un référendum portant simplement sur le « statut politique du Québec », ouvrant ainsi la porte à d’autres types de projets constitutionnels. Curieusement, ce parti se garde de préciser que la consultation de la « population du Québec » (plutôt que « peuple du Québec ») doit aboutir logiquement à l’indépendance. Selon la position absurde de QS, le peuple québécois pourrait volontairement décider de renoncer à la pleine liberté de disposer de lui-même. S’il préconise le français « langue commune » et l’application de la Charte de la langue française aux entreprises de 50 employés et moins, QS refuse de l’étendre aux cégeps.
Contrairement à QS, la Coalition avenir Québec est sortie de son ambiguïté initiale, celle du « ni-ni », c’est-à-dire ni souverainiste ni fédéraliste, pour prêcher l’autonomie dans le cadre du régime fédéral — sans doute par nostalgie de l’époque de Maurice Duplessis. Elle ne peut donc que revendiquer un « renforcement des pouvoirs » du Québec en matière de langue. Ce qui la place dans une nouvelle position équivoque : la CAQ reformulerait d’anciennes demandes québécoises de changement constitutionnel qu’elle sait destinées à une fin de non-recevoir depuis Trudeau père.
Contrairement à la CAQ, le Parti libéral du Québec a renvoyé aux calendes grecques toute réforme constitutionnelle au sein du régime fédéral, en conséquence de l’importation unilatérale de la Constitution canadienne (1982). Au surplus, la documentation du PLQ ignore le statut de la langue française ; il se satisfait d’évoquer le « caractère français » de la société québécoise : pitoyable !
Quant au Parti québécois, il reporte l’accession à l’indépendance après 2022. S’il est élu en 2018, le PQ adoptera dans le premier mandat une « Constitution interne », c’est-à-dire provinciale, dans l’espoir de protéger les acquis. Certes, la constitutionnalisation de lois fondamentales comme les chartes — dont la Charte de la langue française — devrait en principe accroître leur influence. Remarquons que l’on trouve finalement le statut du français « langue commune » dans la Proposition principale vers le XVIIe Congrès national du Parti québécois (2017) ; on attend la consécration juridique de cette notion depuis longtemps, c’est-à-dire la parution du rapport de la commission Gendron (1972), dont l’objectif associait langue commune et langue officielle unique. Rappelons néanmoins que le programme du PQ (2011) prône surtout la « prédominance » du français. Or, cette notion de prédominance figure toujours dans la proposition principale en ce qui concerne la langue d’affichage. Cela nous ramène encore au français « langue dominante » du PLQ de l’époque Claude Ryan.
Semblablement à QS, le Parti québécois préconise dans sa proposition principale d’étendre l’application de la Charte de la langue française aux entreprises de 25 à 50 employés, mais pas aux cégeps. Il s’agit donc d’un grave recul : le programme de 2011 du PQ prévoit de l’étendre aux cégeps, de même qu’aux entreprises de 11 employés et plus. Or, Charles Castonguay a récemment démontré l’urgence d’étendre la CLF au réseau collégial.
Par ailleurs, dans le cadre provincial actuel, même la restauration et la bonification de la Charte de la langue française pour contrer son édulcoration au fil des jugements de la Cour suprême du Canada feraient sans aucun doute l’objet d’une nouvelle dissolution progressive. Inversement, la Charte de la laïcité subirait probablement une attaque frontale avec l’arme de destruction massive de la culture fondatrice du Canada qu’est le principe de promotion du multiculturalisme inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le PQ osera-t-il alors poser et répéter des gestes de rupture en recourant notamment à la disposition de dérogation — qui se trouve dans la Constitution canadienne elle-même ? Ou maintiendra-t-il ce recours sous le boisseau comme Lucien Bouchard en 1996 dans le cas de la langue d’affichage et le soumettra-t-il à l’anathème « radioactif » prononcé par Philippe Couillard ?

Finalement, la stratégie du PQ suppose qu’il gagnera deux élections de suite. Est-ce que ce parti, qui récalcitre à affirmer et protéger l’identité linguistique et les valeurs québécoises avec résolution, cohérence, clarté et constance, s’imagine qu’il recevra un second mandat pour réaliser la séparation, c’est-à-dire la rupture par excellence qu’est l’accession d’un pays à l’indépendance ? Je crains que le parti fondé par René Lévesque ne disparaisse dans cet abîme de l’étapisme embrouillé, qui ne cesse de repousser à plus tard les actions d’affranchissement efficaces qui conduiraient à la liberté collective. Le style labyrinthique du PQ semble conjuguer l’aveuglement volontaire de QS, la confusion de la CAQ, la capitulation du PLQ.
Approfondissement de la légitimité

Le « pouvoir constituant originaire » du peuple québécois est consubstantiel à son existence même. Il s’agit donc d’un droit naturel intrinsèque, inaliénable, irréfragable. Le « pouvoir constituant codifié » d’un Québec indépendant correspondra à sa future Constitution et sa formule d’amendement. Aucun pouvoir constituant codifié étranger au peuple québécois ne pourra lui être légitimement imposé. Pour une analyse exhaustive de ces concepts, voir l’article intéressant d’André Binette dans le numéro de mars 2017 de L’Action nationale.
Processus avec une Constitution provisoire
Plutôt que le processus préconisé en tête de cet article, M. Binette prévoit un référendum sur la souveraineté dont la question se référerait à une « Constitution initiale » ; celle-ci entrerait partiellement en vigueur après la victoire référendaire ; des négociations d’ordre économique avec le Canada se dérouleraient au cours d’une période d’un an ; une assemblée constituante rédigerait une « Constitution permanente », qui serait adoptée au plus tard deux ans après la Constitution initiale, donc après le référendum.
S’agit-il là d’un processus trop lourd, prêtant le flanc aux atermoiements du pouvoir fédéral ? Ou plutôt d’un processus susceptible d’adoucir la transition en comptant sur la bonne foi de l’État prédécesseur, qui saurait se montrer consensuel et coopératif ? Considérant le comportement antidémocratique et les coups de force du gouvernement fédéral dans le passé, je suis d’avis qu’il faut éviter le piège qui consiste à intégrer ce pouvoir dominateur dans la marche vers le jour de l’indépendance.
En effet, un tel déroulement nous éloignerait dans le temps du retentissement, de la portée et du prestige de l’expression de la volonté populaire, spécialement sur la scène internationale. Aussi, il offrirait maintes occasions aux manipulations fédérales cherchant à relativiser, affadir, anéantir la volonté populaire. Avec les médias « systémiques » qui vilipendent le peuple québécois, le passage à l’indépendance serait aisément « flouté ». Il faut que les souverainistes concentrent leurs efforts et gardent le cap sur un résultat rapide, soit le statut d’indépendance, plutôt que les moyens, qui peuvent nous en détourner. Le peuple québécois doit donc demeurer au centre du processus d’accession à l’indépendance. Les négociations accessoires avec le gouvernement canadien, qui relèvent de l’intendance, auront lieu après la décision du peuple québécois.
Autres leviers d’action

Quoi qu’il en soit, il demeurerait justifié en fonction des circonstances ou des contraintes de recourir à une élection générale portant sur l’indépendance (pas une « élection référendaire », terme impropre qui confond deux types de consultation alors que le but est l’indépendance, et non le « maudit » référendum).
Ou à un vote majoritaire des députés à l’Assemblée nationale sur l’indépendance, qui ne constituerait que la voie de sortie symétrique du Québec à son entrée dans la Confédération. Ce moyen, promu par le Parti indépendantiste, est expéditif parce qu’il ne fait pas appel à la participation directe des citoyens. Il serait toutefois légitime parce que les députés auraient reçu le mandat général de réaliser l’indépendance, confié par le peuple intrinsèquement souverain. Par ailleurs, notons que le PI préconise un réseau national d’éducation publique uniquement français des CPE à l’université ainsi que le français comme langue de travail dans un Québec indépendant.
La conjoncture

Est-ce que l’élection générale de 2018 sera l’occasion de chasser du pouvoir les libéraux, le seul parti fédéraliste « pur et dur », et de lancer le processus d’indépendance ? Le mode de scrutin actuel garantit la pérennité du PLQ au pouvoir à cause du vote de la minorité de blocage essentiellement non francophone. Cette mainmise aspire l’ensemble de la société québécoise dans une spirale descendante, qui semble maintenant illimitée.
Or, la différence idéologique entre les partis d’opposition actuels est trop grande pour concevoir leur fusion. En revanche, il est envisageable de créer une alliance provisoire entre eux, dont la priorité serait d’accéder au pouvoir afin de modifier le mode de scrutin. Ce but primordial devra être réalisé dès la prise du pouvoir. Les citoyens ont plus d’une année pour débattre de la nature de cette réforme et amener les partis à s’entendre avant l’élection de 2018 : le scrutin à deux tours, le vote préférentiel, la proportionnelle, etc. Il est impératif de casser définitivement le moule du maintien au pouvoir du parti de la trahison et de la corruption qu’est devenu le mode uninominal à un tour.

Malgré la critique draconienne méritée envers les partis énoncée plus haut, le scénario réaliste consiste à créer cette alliance entre le PQ et la CAQ — qui représentent environ la moitié des intentions de vote —, en encourageant les autres partis à s’y joindre. Après la réforme du mode de scrutin, la durée de l’exercice du pouvoir par cette alliance pourrait se prolonger dans la mesure où les partis s’entendraient sur un programme de réalisations communes majeures, notamment la restauration et l’extension de la Charte de la langue française, la suppression des heures d’attente dans les urgences des hôpitaux et l’établissement d’un dispositif anticorruption dans l’appareil gouvernemental. Les divers partis retrouveraient leur mission distincte lors de la prochaine élection générale, mais ils seraient déjà transformés par la puissance retrouvée du Québec, qui leur inspirera l’audace.
Ainsi, en 2022 ou avant, une majorité d’authentiques patriotes à l’Assemblée nationale, composée d’élus du PQ, de la CAQ, de QS, du PI et d’ON, pourrait réactiver le projet d’indépendance avec la création de l’assemblée constituante. Il faut surtout espérer l’élection de nombreux députés d’Option nationale, qui devrait être l’animateur naturel de la relance du processus d’indépendance grâce à la qualité de sa doctrine globale et de sa stratégie.
La fondation de la République du Québec est le seul projet commun durable à pouvoir cimenter efficacement l’ensemble des forces vives du peuple québécois. Il faut donc viser le résultat et faire preuve de souplesse concernant les moyens — c’est-à-dire les instruments que sont les partis. La libération du Québec avant tout !

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  Se voulant agent de transformation, Marc Labelle présente sur les valeurs et les enjeux fondamentaux du Québec des réflexions stratégiques, car une démarche critique efficace incite à l’action salutaire. Ses études supérieures en sciences des religions soutiennent son optique de penseur libre.





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1 commentaire

  • François Ricard Répondre

    19 mai 2017

    Tous nos chroniqueurs politiques, tous nos politticiens carriéristes de tous les partis ignorent ou feignent d'ignorer un aspect pourtant prévisible d'un oui pour l'indépendance: la grande incertitude de sa réalisation.
    Bien des indépendantistes, à tort, croient qu’un référendum gagnant nous mènera nécessairement à l’indépendance. De même, chez les fédéralistes, plusieurs croient qu’un référendum gagné par le Québec conduira ce dernier à l’indépendance. Ces personnes des deux camps sont dans l’erreur.
    Suite à un référendum gagnant, il y aura nécessairement des négociations entre le Canada et le Québec. C’est une étape exigée par les instances internationales.
    Le Canada est un état de droit qui occupe une place importante au sein des Nations Unies. Cet ordre mondial lui imposera la nécessité de négocier. Et la Cour suprême a statuté que le Canada aurait l’obligation de négocier. Si le Canada a l'obligation de négocier, le Québec a la même obligation.
    Donc négociations il y aura.
    Maintenant qui, des indépendantistes ou des fédéralistes, peut prédire ce qui ressortira de ces négociations ? Où se trouve l’oracle qui pourrait nous donner l’heure juste à ce sujet ?
    Qu’en ressortira-t-il ? Deux nouveaux pays : un Canada sans le Québec et un Québec totalement indépendant ? Un nouveau pays constitué de deux peuples : un anglophone et l’autre francophone ? Dix pays ?
    Il est pratiquement impossible de présumer du résultat de ces négociations. Chose certaine, les fédéralistes ne veulent pas que le Québec se dise "oui" car ils savent bien qu’ils auront l’obligation de négocier s’ils veulent continuer à avoir un état de droit.