La fin des certitudes

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Questions de société


Aujourd'hui, on choisit son camp selon l'enjeu ou l'individu mais on le fait rarement sans un certaine ambivalence. On imagine mal que Nicolas Sarkozy prenne plaisir à fréquenter Muammar Khadafi, mais ce dialogue permettre peut-être de faire évoluer les choses en Libye. (Photo AFP)

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L’époque où l’on pouvait facilement distinguer les bons des méchants semble bien révolue. Rien n’est plus noir ou blanc. Tout se décline dans une gamme infinie de gris. Aujourd’hui, on choisit son camp selon l’enjeu ou selon l’individu mais on le fait rarement sans une certaine ambivalence. Ceux qui voient dans Poutine l’homme fort dont la Russie a besoin, ne se font généralement pas d’illusions sur la vraie nature de son régime. Ceux qui veulent voir dans Hugo Chavez un nouveau leader du Tiers-monde dressé contre l’impérialisme américain, ne sont pas sans réserve sur l’homme et sur l’ampleur de ses ambitions personnelles.


Les plus ardents défenseurs de la présence militaire canadienne en Afghanistan s’interrogent, comme tout le monde, sur les chances de succès de cette mission. Les plus chauds partisans d’une intervention au Darfour se demandent, eux aussi, comment on pourrait réussir là alors qu’on a failli ailleurs. Le camp de Nicolas Sarkozy ne compte pas que des inconditionnels, tant s’en faut, et ses plus féroces adversaires lui trouvent quelques qualités, ne serait-ce que son énergie et sa volonté affirmée de faire bouger les choses. Ceux qui annoncent l’inéluctable déclin de l’empire américain le souhaitent-ils toujours ? Et ceux qui annoncent l’irrésistible montée de la Chine, la souhaitent-ils davantage ?
Chez nous, encore une fois, les choses ne sont pas radicalement différentes. Y a-t-il encore beaucoup de souverainistes qui, dans l’intimité de leur conscience, ne se demandent pas s’il est opportun d’entretenir un rêve dont on commence à penser qu’il ne se réalisera jamais ? Y a-t-il beaucoup de fédéralistes qui ne se demandent pas, eux aussi dans l’intimité de leur conscience, s’ils ont raison de toujours proposer à leurs compatriotes le même beau risque ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe où il n’y a pas de vérité révélée et où ce qui est souhaitable et ce qui est faisable coïncident rarement. Il faut savoir gérer cette complexité et savoir gérer aussi les doutes qui nous assaillent. Pour avancer, il faut parfois traiter avec des interlocuteurs qu’on préférerait éviter. Il faut se réjouir que les deux Corées aient cessé de s’ignorer. On imagine mal que Nicolas Sarkozy prenne plaisir à fréquenter le colonel Kadhafi mais ce dialogue permettra peut-être de faire évoluer les choses en Libye. On n’imagine pas non plus George W. Bush ait accueilli avec le même bonheur tous les participants à la récente conférence d’Annapolis. Pourtant, la route des concessions et des compromis sera encore longue car on ne peut concevoir de solution en Irak ou de paix durable au Moyen-Orient sans l’implication de la Syrie et de l’Iran.
La vérité, c’est que plus personne, plus aucun pays n’a désormais les moyens d’imposer sa vision du monde. Ni la force militaire, ni la force économique ne suffisent. C’est bien ce qui fait dire au politicologue Pierre Hassner que le XXIe siècle sera celui de la puissance relative. Pour atteindre ses objectifs, quel qu’ils soient, il nous faudra tous apprendre à composer.
Dans cet univers un rien désespérant, reste-t-il encore des points de repère valables ? Des valeurs sûres ? Si on peut tout plaider et son contraire, à quoi peut-on encore se raccrocher ? Peut-être à trois choses simples : continuer à débattre, lutter contre l’indifférence et garder intact sa capacité d’indignation.
Sur combien de sujets a-t-on déjà renoncé à débattre pour sauvegarder la paix des ménages, pour ne pas gâcher les réunions de famille ou pour préserver un minimum d’harmonie dans son milieu de travail ? Enfermé dans ses propres certitudes, souvent toutes relatives, chacun préfère ne pas s’exposer, ne pas risquer l’affrontement. Comme si la lumière ne jaillissait plus du choc des idées.
Elie Wiesel disait : « Je ne combats pas le mal, je combats l’indifférence au mal. » L’intérêt de cette formule est de nous faire prendre conscience du fait qu’on ne peut pas s’absoudre de son inaction en prétextant que le mal est indéracinable. Pour ceux qui considèrent que le Darfour est trop loin, il est tout à fait possible de mesurer son indifférence au mal en allant voir le dernier film de Richard Desjardins sur le peuple invisible.
Le corollaire de la non-indifférence au mal, c’est l’indignation face à l’injustice. Tant qu’on n’aura pas perdu notre capacité d’indignation, on n’aura pas tout perdu. Il faut continuer à opposer l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison. Persister à croire qu’on peut changer la vie tout en sachant qu’il ne sert à rien de s’emporter contre les faits puisque cela les laisse parfaitement indifférents.
Ce ne sont peut-être que de beaux sentiments... mais n’est-ce pas la saison des beaux sentiments ?
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Marie Bernard-Meunier
Diplomate de carrière, l’auteure a été ambassadrice du Canada à l’UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d’administration du CERIUM.
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