Par un soir d'été, un jeune Latino-Américain tombe sous les balles d'un policier cherchant, semble-t-il, à protéger son coéquipier. Le quartier sensible s'embrase aussitôt, et des groupes de jeunes mettent le feu aux voitures des policiers et des pompiers. L'événement survenu cet été à Montréal-Nord a fait le tour du monde. Presque partout, la presse étrangère a relaté ces incidents, même si c'est la plupart du temps par de simples entrefilets perdus au milieu d'autres nouvelles.
Constatons néanmoins que ces émeutes ont été accueillies à l'étranger avec une certaine indifférence. Pour la presse étrangère, Montréal-Nord n'avait ni le glamour de Los Angeles ni l'exotisme de Clichy-sous-Bois. En d'autres mots, l'incident montréalais ne laissait voir ni la violence exacerbée des ghettos américains ni la colère sourde des émeutes qui avaient déchiré la France pendant trois semaines en 1995. Pour tout dire, une certaine apathie s'est tranquillement installée à l'égard de ce genre de nouvelles dont l'actualité internationale n'a cessé de nous abreuver depuis quelques années.
Entre le meurtre de Theo van Gogh à Amsterdam en 2004, la mort de deux adolescents frappés par une voiture de police à Villiers-le-Bel, près de Paris, et les échauffourées du quartier sud-américain d'Alcorcon au sud de Madrid au début de l'année, Montréal-Nord est apparu comme une banale affaire sans trop de conséquence. Une de plus.
Force est pourtant de constater que, vu de l'étranger, ce qui s'est passé à Montréal-Nord semble signer la fin d'une certaine exception canadienne.
Partout dans le monde, le Canada était jusqu'à tout récemment considéré comme une exception en matière d'immigration. Là-bas, dans ces vastes contrées nordiques, l'immigration, pourtant massive, ne semblait produire ni les mêmes effets ni les mêmes réactions que dans les banlieues de Londres, de Lyon ou de Los Angeles. Était-ce l'effet des larges horizons, de la température glaciale ou de la bonne humeur proverbiale de la population locale? Peu importait au fond puisque, dans ce beau et grand pays multiculturel, les nouveaux arrivants semblaient s'intégrer sans problème et les antagonismes disparaître comme par enchantement. N'est-ce pas ce qu'a toujours dit la propagande multiculturelle d'Ottawa et de Québec relayée à satiété par les grands magazines européens en mal de reportages lénifiants et de contre-exemples. Combien de fois les correspondants québécois à l'étranger ont-ils dû répondre aux questions de leurs collègues français, britanniques ou américains dans l'attente d'une phrase qui leur révélerait quelques-uns des ingrédients de la recette de ce miracle canadien.
Aujourd'hui, le miracle a du plomb dans l'aile! D'ailleurs, y en a-t-il jamais eu un? Au printemps, le démographe français François Héran, rencontré à Paris, expliquait au Devoir que la relative paix sociale au Canada en matière d'immigration n'était probablement pas due aux belles politiques multiculturelles canadiennes. Le démographe l'attribuait plutôt à cette immense zone tampon que représentent les États-Unis et qui empêche les immigrants illégaux mexicains de s'installer chez nous. Héran se demandait combien de temps cet avantage géographique durerait et ce que diraient les Canadiens le jour où ils accueilleraient autant d'immigrants illégaux que les États-Unis ou la France. Seraient-ils alors si différents des Français et des Néerlandais?
Si exception canadienne il y a, elle réside peut-être dans une certaine naïveté à l'égard de ce qu'il faut bien appeler les maux de l'immigration. Je veux parler de cet angélisme qui caractérise toujours le débat canadien en la matière. À droite, circule le mythe selon lequel l'immigrant serait immédiatement synonyme de progrès économique. Ne lisait-on pas cet été dans la presse que le Québec avait besoin de 300 000 immigrants par année. S'est-on rendu compte que cela représenterait le doublement de la population québécoise en un peu plus de 20 ans? Une folie démographique sans nom. À gauche, on persiste trop souvent à peindre l'immigrant comme une éternelle victime susceptible d'effacer notre culpabilité occidentale. Ce ne serait pas la première fois que la pensée néolibérale ferait bon ménage avec la «bienpensance» de gauche.
La plupart des grandes démocraties sont pourtant revenues de ces mythologies. Même les théoriciens les plus progressistes, comme l'universitaire américain Robert Putnam, estiment aujourd'hui que si l'immigration recèle des avantages, elle provoque aussi une fragmentation sociale qui a des coûts sociaux importants. Cela est d'autant plus vrai pour une petite nation comme le Québec, dont l'avenir est loin d'être assuré en Amérique. La plupart des pays européens ainsi que les États-Unis ont réexaminé ou sont en train de revoir leur politique d'immigration et d'intégration, en prenant garde de ne pas tomber dans l'un ou l'autre travers.
Il n'y a pas si longtemps, dans certains milieux, le seul fait de poser des questions à ce propos suffisait à vous classer dans le camp des racistes et des réactionnaires (un mot que l'on croyait pourtant disparu depuis la belle époque marxiste!). Grâce à Montréal-Nord, nous voilà peut-être tout simplement en train de revenir sur terre.
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