La démocratie québécoise gangrenée par la corruption

C'est l'intégrité même de l'Etat et la confiance des Québécois envers leurs institutions qui, entre-temps, se délitent. Il y a urgence à tenir cette grande enquête publique.

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau

Des mallettes remplies de billets de banque circulent au Québec pour financer les partis politiques. Un système dénoncé par un rapport d'enquête remis début septembre au gouvernement. Celui-ci refuse pourtant de mettre en place une commission d'enquête, regrette "Le Devoir".

Le rapport de l'Unité anticollusion (UAC) [remis au gouvernement début septembre] confirme ce que tout le Québec sait. L'existence au sein du ministère québécois des Transports d'un système de collusion d'"une ampleur insoupçonnée" pour l'attribution des contrats de travaux publics. Un constat, qui, même venant d'une personnalité aussi crédible que Jacques Duchesneau* [qui dirige l'UAC], n'émeut d'aucune façon le gouvernement du Premier ministre Jean Charest. Ce dernier persiste dans un refus injustifiable de mettre sur pied une commission d'enquête. Ce rapport remis au ministre des Transports ne contient pas de noms. Son mérite est néanmoins de nous décrire ce système qui menace la démocratie en ce qu'il se substitue à l'Etat ou à tout le moins le pervertit.
Ce système, les médias l'avaient mis au jour il y a trois ou quatre ans. Le Devoir avait donné l'alarme en révélant les circonstances troublantes entourant l'attribution du contrat pour[ l'installation de compteurs d'eau à Montréal->rub936]. Des informations que l'équipe de Jacques Duchesneau a pu étayer et documenter. Ce que l'on soupçonnait jusqu'ici n'était que la pointe de l'iceberg puisque, selon Jacques Duchesneau, le système de collusion existant au ministère des Transports est implanté profondément.
Sont en cause de grandes entreprises de construction [de BTP] regroupées en cartel, d'importantes sociétés d'ingénieurs, des fonctionnaires, des politiciens et le crime organisé. Le trafic d'influence à la source de ce système entraîne un gonflement du coût assumé par l'ensemble des contribuables. Ce qui vaut pour le ministère des Transports vaut aussi pour tous les ministères et municipalités qui octroient des contrats de travaux publics et de services professionnels.
Que dire de ces révélations si ce n'est réitérer qu'il s'agit d'un vaste scandale qui nécessite une réaction à la mesure du système en cause ? Le scandale est autant dans ce système que dans l'absence d'une réaction vigoureuse de la part du gouvernement Charest, qui se contente d'enquêtes de police.
On est encore bien loin de voir des bandits en prison. Voilà deux ans que la police enquête sans résultats. Certains dossiers sont bouclés, mais sans [que soient engagées des] poursuites criminelles. Quant aux policiers, ils seront eux-mêmes prudents lorsqu'il apparaîtra dans leurs enquêtes des noms liés au monde politique. Car, oui, tout ce système de collusion conduit au monde politique, comme le signale on ne peut plus clairement le rapport Duchesneau, qui établit un lien direct entre la surfacturation en cours d'exécution de contrats et le financement des partis politiques.
Il était étrange d'entendre il y a quelques jours le nouveau ministre des Transports, Pierre Moreau, soutenir qu'il prenait au sérieux les constatations faites par l'équipe d'enquêteurs de l'UAC... sauf celle ayant trait à cette surfacturation. Cela ne relève que de l'administratif, a-t-il protesté, comme si cela pouvait empêcher le transit de contributions illégales vers les caisses électorales des partis politiques. Rappelons l'exemple du groupe Axor, qui l'an dernier a plaidé coupable à quelque 40 infractions pour avoir versé illégalement plus de 150 000 dollars [110 000 euros] au Parti libéral, au Parti québécois et à l'Action démocratique [les trois principaux partis politiques au Québec].
La réalité est que le gouvernement peut exercer un certain contrôle sur le travail policier, ce qu'il ne pourrait faire avec une commission d'enquête, dont le cheminement lui échapperait totalement. Ce ne sont pas trois ou quatre "bandits" qui seraient envoyés en prison, mais tout un système qui serait exposé dans ses ramifications qui plongent loin dans le monde politique, économique et criminel. Ce n'est pas sans raison que Jacques Duchesneau parle d'un système à "l'ampleur insoupçonnée".
Le résultat d'une enquête publique serait, n'en doutons pas, une véritable boîte à surprise. Seraient mis sur la sellette aussi bien des dirigeants d'entreprise que des politiciens de tout horizon et leurs liens avec un monde criminalisé. Le gouvernement Charest a visiblement peur de voir ce nœud de vipère décortiqué et exposé publiquement. Mais c'est à ce prix que peut être démantelé durablement ce système de collusion. Si on se contente d'un simple coup de balai, les quelques bandits qui iront en prison seront vite remplacés par d'autres. C'est l'intégrité même de l'Etat et la confiance des Québécois envers leurs institutions qui, entre-temps, se délitent. Il y a urgence à tenir cette grande enquête publique.
Note :* Jacques Duchesneau, ancien directeur de la police de Montréal


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