La commission Gomery a davantage servi à maintenir le secret qu'à faire connaitre la vérité

Selon les experts, les commissions d'enquête ne révèlent rien qui ne soit déjà connu

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau




Au moment où des sondages indiquent que près de 75 % des Québécois sont en faveur d'une enquête publique sur l'industrie de la construction, l'analyse des témoignages entendus à la commission Gomery tend à montrer que ce genre d'enquête ne contribue que très peu à faire la lumière sur un problème de corruption.
Selon les travaux de Carlo Morselli, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, et de ses étudiants Yanick Charette et Amélie-Maude Lemire, la commission Gomery n'aura pas réussi à percer le mur du secret derrière lequel se sont réfugiés les principaux acteurs de la malversation de plusieurs centaines de millions de dollars de fonds publics issus du Programme fédéral sur les commandites et les activités publicitaires. Entre 1996 et 2003, plus de 330 M$ provenant de ce programme ont été dépensés de façon douteuse, dont 162 M$ qui ont transité par les agences de publicité. Le rapport du juge Gomery, rendu public en novembre 2005, estime que 800 000 $ versés en commandites sont revenus dans les coffres du Parti libéral du Canada par un système frauduleux de financement électoral.
Coopérer pour ne rien dire
Les trois chercheurs ont d'abord voulu comprendre, à travers les 172 témoignages entendus durant la commission, de quelle façon le système de financement occulte avait été mis en place et quels en étaient les grands responsables. «Le titre du rapport est “Qui est responsable?”, mais le document ne nous apprend pas vraiment qui a instauré ce système et cette magouille alors que c'était là le but de la commission», affirme Carlo Morselli.
L'étude des témoignages a révélé qu'il n'y avait rien de nouveau au-delà de la désignation de deux ou trois personnages centraux qui ont, à son avis, servi de boucs émissaires.
Le professeur a donc modifié l'objet de sa recherche pour analyser la dynamique des témoignages et comprendre pourquoi la vérité ne ressortait pas de ce genre d'enquête. En parcourant les quelque 25 000 pages de transcription, les chercheurs ont relevé chacun des noms mentionnés par chacun des témoins afin d'établir «qui dénonce qui».
L'étude, qui fera l'objet d'un chapitre du volume La lutte contre la criminalité économique à paraitre sous peu, montre que seulement 40 % des 172 témoins convoqués ont fait l'objet d'une dénonciation directe de la part d'un autre témoin. Et 80 % de ces dénonciations portaient sur les mêmes 19 % de témoins. «Cela tend à démontrer que les dénonciations visent toujours les mêmes personnes», ce qui valide l'hypothèse voulant que les témoins «taisent l'information dont ils disposent», écrivent les chercheurs.
La corrélation entre le fait de dénoncer et celui d'être dénoncé est par ailleurs très élevée, ce qui montre qu'il y a réciprocité entre les deux et que ce rapport inciterait les acteurs à garder le silence.
En utilisant le «dilemme du prisonnier» comme grille d'analyse, les trois chercheurs arrivent à établir que seulement 6 % des témoins impliqués dans des dénonciations directes se sont mutuellement trahis alors que 71 % ont plutôt «coopéré» en ne dénonçant personne.
«Considérant le cout de la dénonciation, il est avantageux de ne pas dénoncer et la majorité a coopéré pour maintenir le secret», en conclut Carlo Morselli.
Selon le professeur, la tenue de cette commission a laissé croire que le cœur du problème avait été exposé, ce qui n'est pas le cas puisqu'on ignore toujours comment ce système a pu se mettre en place et sous l'autorité de qui.
Opération de validation
Au cours d'une discussion publique organisée à l'École de criminologie autour de cette étude, Jean-Paul Brodeur, directeur du Centre international de criminologie comparée, a soutenu que la tenue de commissions d'enquête publiques vise surtout à valider, auprès de la population, de l'information ayant auparavant circulé dans les médias.
«Il est très rare qu'on apprenne quelque chose de nouveau parce que ces commissions fonctionnent sans dénonciations antérieures et qu'il n'y a donc pas de listes de présumés suspects. Et, si une commission trouve de nouveaux faits, ils seront cachés au public parce que toute vérité n'est pas bonne à dire», a souligné le professeur, qui a travaillé sur les retombées d'enquêtes publiques portant sur la corruption policière.
Ces propos ainsi que l'étude de Carlo Morselli apportent de l'eau au moulin du premier ministre Jean Charest, qui refuse d'ouvrir une enquête publique sur la collusion entre les administrations publiques et l'industrie de la construction. Le professeur Morselli en convient, mais il ne cautionne pas pour autant l'immobilisme du gouvernement Charest.
«Si l'on pense qu'une commission va changer les choses, ça ne vaut pas la peine, déclare-t-il. Mais l'opération est nécessaire du point de vue de la transparence et de l'exercice démocratique.»
Toutefois, le gouvernement prend ainsi un grand risque; le scandale des commandites a conduit à la défaite du Parti libéral et le Canada est passé du 5e au 14e rang dans l'échelle des pays perçus comme étant les moins corrompus. Et la démocratie a aussi un cout; la commission Gomery aurait couté jusqu'à 80 M$ en dépenses publiques!
Daniel Baril

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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