Interculturalisme

L'interculturalisme y est pour peu dans l'intégration

Symposium sur l’interculturalisme


Peut-on penser que le port du hidjab, et la division des sexes qui vient avec lui, va faciliter l’intégration des musulmanes? Comment construire une société cohésive lorsque, pour une part importante de ses membres, c’est l’identité religieuse ou tribale qui prédomine en lieu et place d’identité nationale?

Photo : Agence Reuters Rebecca Cook


Le Symposium international sur l'interculturalisme, une initiative lancée par le sociologue Gérard Bouchard, se tient cette semaine à Montréal. L'événement vise à faire ressortir la spécificité de l'interculturalisme comme modèle d'intégration. Selon un texte de Gérard Bouchard publié en marge de ce symposium dans Le Devoir, l'interculturalisme est différent du multiculturalisme tel que pratiqué au Canada et en Europe. Mais le professeur éprouve beaucoup de difficulté à établir une distinction nette entre les deux notions.
La principale différence serait que le multiculturalisme canadien ne tient pas compte de l'existence d'une culture majoritaire au Canada alors que l'interculturalisme québécois cherche à protéger le fait français au Québec. [...]
La confusion existant entre les deux notions serait due à son avis au fait que les gouvernements successifs à Québec «n'ont pas suffisamment aligné leurs politiques sur le modèle interculturaliste». En quoi ont-ils erré et qu'auraient-ils donc dû faire? L'auteur ne nous le dit pas.
Approche républicaine
Si le propre de l'interculturalisme est l'affirmation d'une culture majoritaire, on pourrait donc croire que c'est ce qui se pratique dans les pays pluralistes qui accordent les mêmes droits à tous tout en se souciant de préserver la culture majoritaire, comme le font les pays démocratiques et républicains. Gérard Bouchard se demande d'ailleurs s'il n'y a pas, dans l'interculturalisme, une influence républicaine française. Mais il rejette l'approche républicaine. [...]
L'interculturalisme accepte la culture majoritaire, mais à condition qu'elle ne s'exprime pas trop fortement. Les cultures qui s'imposent commettent à son avis un «abus de pouvoir»! Son interculturalisme est à ce point aseptisé qu'il ne fait qu'«inviter à reconnaître certains éléments de préséance ad hoc (ou contextuelle) à la culture majoritaire».
Au Canada et ailleurs
Si l'interculturalisme québécois se distingue du multiculturalisme canadien, comment est-il perçu dans le reste du Canada? Tout montre que les multiculturalistes canadiens n'ont rien remarqué de particulier du côté de la «société distincte».
L'un des principaux théoriciens du multiculturalisme, Will Kymlicka, professeur à l'Université Queen's à Kingston en Ontario, a dirigé, pour le compte du ministère canadien de l'Immigration et de la Citoyenneté, une vaste étude sur l'État actuel du multiculturalisme au Canada, 2008-2010. L'un des six rapports du groupe d'étude concernait le Québec, mais on ne retrouve, dans le rapport synthèse, aucune trace du soi-disant caractère particulier de l'interculturalisme québécois; le mot n'y figure même pas!
Autrement dit, l'interculturalisme québécois est perçu, à l'extérieur du Québec, ni plus ni moins comme du multiculturalisme.
Plusieurs multiculturalistes canadiens soutiennent par ailleurs que l'approche canadienne est différente du multiculturalisme tel que pratiqué en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas, où le modèle a conduit à l'isolement culturel des communautés. Les pays européens seraient-ils donc plus généreux culturellement à l'endroit des minorités que l'est le Canada? Rien ne semble le démontrer.
Respect des droits de la personne
Dans une critique d'un ouvrage de Will Kymlicka (Multicultural Odysseys, 2007), l'ex-éditeur du magazine britannique d'actualité politique Prospect, David Goodhart, n'observe aucune différence entre la philosophie multiculturaliste canadienne et celle de l'Angleterre et reproche à toutes les deux de nier l'existence d'une culture politique dominante. De l'extérieur du Canada, le multiculturalisme canadien est perçu comme du multiculturalisme tout court.
Kymlicka lui-même reconnaît qu'il est impossible de démontrer que le multiculturalisme est une réussite dans les pays développés. L'un des problèmes est que cette approche, dans sa forme légère, se confond avec toute gestion démocratique du pluralisme. Pour démontrer l'amélioration du sort des immigrants au Canada, Kymlicka doit s'en remettre aux politiques de respect des droits de la personne, politiques qu'il semble voir comme un produit du multiculturalisme. Dans son rapport au ministère de l'Immigration, Kymlicka attribue tous les cas positifs d'intégration au multiculturalisme et tous les exemples négatifs sont présentés comme des faits isolés qu'il faut éviter de généraliser.
Or, souligne David Goodhart, aucun pays démocratique n'a attendu les réflexions postmodernistes des multiculturalistes pour accorder les mêmes droits à tous. Selon l'observateur britannique, la réussite du modèle canadien tient au fait que le Canada est plus sélectif dans sa politique d'immigration que le sont l'Angleterre et les Pays-Bas. Au Canada, les immigrants sont sélectionnés en fonction de leur capacité à intégrer le marché du travail, tandis que le flot migratoire en Europe est constitué d'une population plus désavantagée économiquement.
Le succès de l'intégration des immigrants aurait donc peu à voir avec la philosophie multiculturelle et aurait tout à voir avec les politiques d'immigration. L'inter et le multiculturalisme apparaissent comme des discours construits a posteriori de la définition d'objectifs sociopolitiques à mettre en oeuvre et visant à présenter ces objectifs dans un langage politiquement acceptable à la société ambiante.
Accommodements religieux
L'inter et le multiculturalisme ont encore ceci en commun: l'une ou l'autre appellation conduisent à rejeter la laïcité de l'État qui, aux yeux des multiculturalistes, est un obstacle à l'égalité des droits et à l'intégration des minorités. De cette idée tordue découle la notion de «laïcité ouverte» et son corollaire, qui est la pratique des accommodements religieux.
Dans cette notion, ce n'est pas la laïcité qui est «ouverte», mais l'État qui s'ouvre à l'introduction du religieux dans son domaine. La «laïcité ouverte» laisse donc passer ce qu'elle est censée tenir à l'écart de l'État; c'est une laïcité chimérique. Gérard Bouchard n'emploie pas l'expression, mais épouse le concept.
Le sociologue considère par ailleurs que la pratique des accommodements est différente au Québec de ce qu'elle est en contexte multiculturaliste. Il en donne comme exemple le port du hidjab en classe qui serait motivé, selon lui, par un souci d'intégration: en autorisant le hidjab, la jeune musulmane peut fréquenter l'école publique et ainsi «s'ouvrir plus aisément aux valeurs de la société québécoise».
Pourtant, un tel argument sociologique n'est jamais pris en compte par les tribunaux ni par la Commission des droits et libertés de la personne. La notion d'accommodement raisonnable est un concept purement juridique et les tribunaux refusent de discuter de cohésion sociale.
L'idée que l'intégration est favorisée par ce genre d'accommodement est très discutable. Peut-on croire que l'autorisation du port du kirpan à l'école, en dépit des règlements de sécurité, a favorisé l'intégration des sikhs? Peut-on croire que l'établissement d'un érouv à Outremont, en dépit des règles d'usage de l'espace public, a favorisé l'intégration des hassidim? Peut-on penser que le port du hidjab, et la division des sexes qui vient avec lui, va faciliter l'intégration des musulmanes? [...]
Comment construire une société cohésive lorsque, pour une part importante de ses membres, c'est l'identité religieuse ou tribale qui prédomine en lieu et place d'identité nationale? Dans ce contexte, tout accommodement religieux dérogeant aux règles communes ne peut que renforcer l'idée que la religion est au-dessus de tout et que cette appartenance est donc celle qui doit prédominer.
Le port de symboles religieux
Le port de signes religieux dans la fonction publique est une pratique particulièrement problématique de l'accommodement. Gérard Bouchard reconnaît que ces signes devraient être interdits aux «agents qui incarnent au premier chef la neutralité de l'État et son autonomie par rapport à la religion» et aux «agents dotés d'un pouvoir de coercition».
Pourquoi uniquement à ceux-là? Pourquoi aux juges et pas aux ministres? Pourquoi aux policiers et pas aux enseignants? La neutralité de l'État s'exprime par la neutralité de l'image donnée par ses représentants; c'est par eux que passe le message que tous les citoyens sont traités de la même façon quel que soit leur sexe, leur religion ou leur appartenance ethnique. Ceux qui choisissent d'être des agents de l'État choisissent d'accepter ce message et son exigence.
L'autorisation du port de signes religieux ostensibles pour certaines religions favorise la visibilité et le prosélytisme implicite de ceux qui s'imposent ce genre d'ostentation; il en résulte un effet d'entraînement conduisant les autres à afficher leurs convictions de façon tout aussi ostensible. C'est exactement ce qui se produit dans le cas de la prière municipale à Saguenay: le maire de la ville, Jean Tremblay, justifie la récitation de sa prière par le fait que des accommodements ostentatoires sont consentis aux autres religions que la sienne.

Intégration économique

À un niveau plus pratique, l'intégration réfère à la capacité de s'insérer sur le marché du travail. Pour les défenseurs de la «laïcité ouverte», le droit de porter des signes religieux est essentiel à cet objectif. Non seulement cette idée reçue n'a jamais été ni chiffrée ni démontrée, mais une étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations tend à l'infirmer.
L'étude montre que le taux de chômage est plus du double chez les immigrants du Québec que chez les natifs d'ici, alors qu'il n'est que de 1,8 % de plus en Ontario et de 0,7 % de plus en Colombie-Britannique. Le principal facteur explicatif, selon les auteurs, n'est ni la langue ni la diplomation. [...] L'explication serait dans des habitudes culturelles empreintes d'attentisme et de division traditionnelle des rôles chez une partie de l'immigration québécoise. [...]
Au nom même de l'interculturalisme, on peut donc arriver à une position opposée à celle de Gérard Bouchard en matière de laïcité et d'accommodements religieux. [...]
La séparation entre le religieux et l'État est l'un des grands acquis de la modernité qui doit être réaffirmé et consolidé face à ceux qui veulent subordonner l'État à la religion. La laïcité franche et sans compromis doit être un principe non négociable dans le processus d'intégration.
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Daniel Baril - Journaliste et anthropologue

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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