Le mythe du Québec interculturel

Symposium sur l’interculturalisme


Depuis vingt ans, nombreux sont les décideurs qui insistent pour dire qu'en matière de diversité, le Québec favorise une approche interculturelle contrairement à la politique et/ou au message multiculturel qui prévalent dans le reste du Canada.
On prétend que l'approche multiculturelle encourage les minorités ethniques à préserver leurs cultures d'origine tandis que l'interculturalisme priorise le dialogue entre divers groupes. Dans le cas particulier du Québec, on parle d'un modèle «bidirectionnel» — qui prône un dialogue entre la majorité qui s'identifie à la culture francophone et les membres des groupes minoritaires.
Toutefois, l'idée d'un Québec qui pratique actuellement l'interculturalisme relève plutôt du mythe que d'une quelconque réalité. Depuis de nombreuses années, ceux qui prétendent que le Québec est interculturel ont le luxe d'attaquer l'approche canadienne en matière de diversité sans offrir une véritable alternative sur le terrain.
Des observateurs européens participeront cette semaine à un Symposium international sur l'interculturalisme organisé par Gérard Bouchard [dont nous publions un texte ci-contre]; ils souhaitent connaître les pratiques interculturelles du Québec. Selon la coordinatrice du dialogue interculturel du conseil de l'Europe, Gabriella Battaini-Dragoni, «l'interculturalisme est une voie d'avenir qu'il presse d'explorer» et «sur ce sujet, le Québec a des choses importantes à dire».
Cette observation confirme que certains Québécois ont réussi à exporter ce mythe à l'étranger. Au-delà des beaux discours sur notre approche interculturelle, il faut bâtir le projet et non pas prétendre qu'il s'agit déjà d'une réalité actuelle. Il faut également reconnaître la complexité de mettre sur pied un tel modèle bidirectionnel du dialogue interculturel. Finalement, il faut arrêter de prétendre que ceux qui prônent une approche multiculturelle s'opposent au dialogue interculturel, car au contraire, ils y sont très majoritairement favorables. Selon un sondage Léger Marketing (4-6 mai 2011), une majorité des Québécois ne comprend pas la différence entre multiculturalisme et interculturalisme.
Les organisateurs du symposium déclarent que «l'interculturalisme vise à réaliser l'intégration dans un contexte de diversité en favorisant les interactions, les rapprochements, les échanges, les initiatives intercommunautaires. Ce modèle se caractérise, en particulier, par une recherche d'équilibres fondés sur la négociation et la réciprocité dans le but d'assurer une intégration équitable des individus et des groupes». Une des méthodes pour mesurer le degré d'interculturalisme sociétal consiste à examiner le niveau de contact entre différents groupes ainsi qu'à analyser d'autres enjeux connexes tels que la concentration résidentielle chez les minorités, la diversité culturelle en milieu de travail, le degré de représentation des minorités au sein d'institutions publiques.
Si le Québec était vraiment interculturel, l'on pourrait croire que les contacts entre communautés y seraient plus nombreux qu'ailleurs au Canada. Mais il appert que les multiculturelles Toronto et Vancouver semblent plus interculturelles que Montréal. Des enquêtes de Léger Marketing menées en 2008 et 2009 démontrent que les francophones de Montréal ont moins de contacts avec des personnes issues des minorités ethniques qu'en ont les anglophones de Toronto et Vancouver. En pourcentage, les francophones de Montréal ainsi que les Québécois allophones travaillent moins dans des milieux multiethniques, comparativement à ce qu'on observe à Toronto et Vancouver. Le géographe Brian Ray affirme qu'en mesurant le degré de distribution de la population, les minorités montréalaises sont plus concentrées sur le plan résidentiel que celles de Toronto.
Est-ce que les Québécois sont plus ouverts aux dialogues interculturels que d'autres? Pas vraiment. En 2008, une enquête de Léger Marketing montrait que 90 % des répondants francophones, anglophones et allophones sondés à travers le Canada s'accordaient pour dire que l'on devait encourager nos jeunes à prendre contact avec des personnes issues de cultures variées (toutefois, 32 % des francophones étaient fortement d'accord avec cette affirmation contre 60 % des non-francophones du Canada). Plus de 20 % des francophones étaient d'avis que les contacts avec des cultures variées risquent d'affaiblir leur propre culture, en comparaison de 10 % chez les non-francophones. [...]
Que Gérard Bouchard veuille donner un sens à la théorie de l'interculturalisme en amenant le gouvernement du Québec à la mettre en pratique est tout à fait louable. Pourtant, ceci ne devrait pas se faire en propageant le mythe selon lequel il s'agit d'une pratique qui s'inscrit dans la continuité des actions prises antérieurement par l'État. Élaborer un programme de dialogue interculturel équitable constitue un défi de taille pour les sociétés multiethniques. [...]
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Jack Jedwab - Directeur général de l'Association d'études canadiennes


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