L’orangisme est de retour

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La vraie nature du Canada

Cette fois, les gants de boxe sont sortis. Même s’il a reculé en partie depuis, Doug Ford a commis un geste grave en abolissant le Commissariat aux services en français et en reniant en même temps la promesse d’une université de langue française à Toronto. Et au Nouveau-Brunswick, les remises en question du bilinguisme qui se trament sont également sinistres.


La combativité des Franco-Canadiens et la solidarité québécoise sont belles à voir, mais il ne faut pas perdre de vue que la source du problème, la bonne vieille francophobie canadian, est de retour. Dans un autre contexte, j’avais fait l’historique de la francophobie du monde anglophone, mais la francophobie canadienne a deux particularités. D’abord parce que cette francophobie s’inscrit dans une doctrine très particulière, appelée l’orangisme. Et aussi parce que l’obstination franco-canadienne oblige le camp antifrançais à se réinventer en permanence.


L’orangisme est une confrérie protestante dont le nom s’inspire du prince néerlandais Guillaume d’Orange, qui a passé la dernière moitié du XVIIe siècle à combattre les catholiques et les Français. À partir de 1689, il a régné sur l’Angleterre sous le nom de William III d’Orange, après avoir usurpé la couronne au très catholique Jacques II. Depuis, la doctrine orangiste s’est toujours voulue anticatholique et antifrançaise (même si le nom d’Orange vient d’une commune du Vaucluse d’où émanait la maison du prince).


Les loyalistes qui ont débarqué en masse au Canada étaient des orangistes purs et durs. L’Ordre loyal d’Orange s’est profondément implanté dans les cercles protestants au Québec, en Ontario et au Manitoba, de même qu’au Nouveau-Brunswick. En 1895, le tiers de la population torontoise appartenait à l’une des 56 loges de la ville. Des journaux comme le Globe and Mail étaient ouvertement orangistes.


Ce résidu des guerres de religion européennes a fait des ravages au Canada. Les orangistes ont brûlé le parlement à Montréal et ils ont eu la tête de Louis Riel. Dans les provinces de l’Ouest, une branche particulièrement virulente a donné naissance au Ku Klux Klan, qui dynamitait les églises catholiques. Partout, les francophones ont été exclus du discours public, au point qu’ils étaient gênés de se dire bonjour en public. Évidemment, les orangistes se sont servis à plein de leur pouvoir législatif. En Ontario, le règlement 17 adopté en 1912 a interdit l’enseignement en français. Au Nouveau-Brunswick, les catholiques ont finalement pu obtenir le droit de vote, mais ils ont dû se battre bec et ongles pour avoir le droit de s’instruire dans leur langue.


De nos jours, la francophobie canadienne a évolué. Elle serait bête d’être encore ouvertement anticatholique et antifrançaise puisque les Franco-Canadiens ne sont plus particulièrement catholiques ni français. Leur intolérance s’exprime désormais à travers le rejet du bilinguisme officiel ou l’expression d’un multiculturalisme de façade. Quand un Doug Ford justifie son attitude vis-à-vis des 600 000 Franco-Ontariens par le fait qu’il y a aussi 600 000 Chinois et 600 000 Italiens, son multiculturalisme ne sert qu’à noyer le poisson. Dans le dossier d’Ambulance NB, le premier ministre, Blaine Higgs, dit que le critère d’embauche des ambulanciers doit être « la compétence avant le bilinguisme », comme si les deux étaient mutuellement exclusifs.


Ce serait mentir que de prétendre que tous les anglophones pensent ainsi. On a beaucoup critiqué la loi sur les Langues officielles et elle comporte ses limites très importantes. Mais son effet d’entraînement est certain. Si les provinces se sont dotées de loi sur les services en français, de conseils scolaires, c’est aussi parce que la majorité anglophone l’a voulu — ou accepté. Songeons aussi au fait que 10 % des écoliers anglophones fréquentent un programme d’immersion française offert dans des écoles des conseils scolaires anglophones. Malgré ce défaut, ce système produit des enfants très différents de leurs parents.


La politique canadienne entre actuellement dans une autre phase où l’intolérance antifrançaise a repris du poil de la bête dans les rangs conservateurs. Devant un programme qui vise à nier leur existence, les francophones — et leurs alliés — doivent donc se préparer à une lutte à outrance. Ils devront dire que le bilinguisme devrait être une compétence de base, comme savoir lire et compter, et qu’on ne saurait l’opposer à la compétence.


Que le vrai multiculturalisme devrait commencer par le bilinguisme.


> La suite sur Le Devoir.



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