Réforme du mode de scrutin et démocratie participative

L'Ontario et la Colombie-britannique dament le pion au Québec

Québec - prochaines élections 2007


Au Québec, le projet de réformer le mode de scrutin piétine depuis les années 1970 à cause des conflits d'intérêts partisans et du refus des élus de céder aux citoyens la moindre parcelle de leurs prérogatives dans ce domaine. Par contre, en Ontario, où le débat public à ce sujet n'a débuté qu'il y a quelques années, la responsabilité de mener à bon port cette réforme a été confiée par le Parlement à une Assemblée de citoyens qui doit remettre son rapport d'ici le 15 mai 2007. Si cette assemblée recommande alors de changer le système actuel, le gouvernement s'est engagé à soumettre la question aux électeurs par voie de référendum, en octobre 2007, en même temps que les élections qui se tiendront dorénavant à date fixe dans cette province.
Les membres de l'Assemblée des citoyens sur la réforme électorale de l'Ontario ont été sélectionnés au hasard à partir du registre des électeurs le printemps dernier. Au nombre de 103, dont 52 femmes et 51 hommes, ils représentent chacune des circonscriptions provinciales. Un ancien juge et sous-ministre à la retraite préside l'organisme qui est indépendant de tout parti politique. L'apprentissage a commencé au début de septembre. Il sera suivi, cet hiver, d'une période de consultations auprès de la population puis de délibérations internes. Toutes les réunions de l'assemblée citoyenne seront publiques.
En 2004, la province de la Colombie-britannique a innové en se livrant à un processus semblable. L'Assemblée des citoyens , dont les 160 membres avaient aussi été sélectionnés au hasard, avait alors recommandé de remplacer le mode de scrutin majoritaire actuel par un scrutin de type proportionnel appelé Vote unique transférable. Au référendum tenu en mai 2005, 57.7% des électeurs ont appuyé cette recommandation, mais le mode de scrutin n'a pas été modifié parce que le seuil d'approbation avait été fixé à 60%. Toutefois le dossier n'est pas mort. Un nouveau référendum doit se tenir en 2009 sur cette question en même temps que les prochaines élections qui se tiennent aussi à date fixe dans cette province.
Une saga que les politiciens prolongent depuis plus de 40 ans
Au Québec, le débat sur la réforme du mode de scrutin a été déclenché sous l'impulsion du Parti québécois qui a été victime du scrutin majoritaire lors des élections de 1970 et de 1973. Plusieurs commissions parlementaires, dont la première remonte à 1972 et la plus récente a siégé au début de 2006, se sont penchées sur le dossier pendant ces quatre décennies sans qu'on aboutisse à une réforme et qu'on ait même la certitude qu'il y en aura une éventuellement.
En 1983, une commission d'étude mandatée par l'Assemblée nationale a consulté la population. Pour donner suite à cette consultation, elle a recommandé l'instauration d'un scrutin proportionnel régional. Le premier ministre René Lévesque, un ardent promoteur de la représentation proportionnelle qui avait fait inscrire un engagement à ce sujet dans le programme du Parti québécois dès 1969, a alors fait préparer un projet de loi en ce sens. Mais il n'a pu le présenter pour adoption, ayant dû faire face à la mutinerie de la plupart de ses députés qui s'y sont opposés sous le leitmotiv «La souveraineté avant la démocratie». Pourtant dans sa plate-forme électorale de 1976, le PQ s'était engagé à accomplir cette réforme dès la prise du pouvoir et le gouvernement péquiste l'avait mis à l'ordre du jour de la session qui a suivi l'élection de 1981 avec l'appui du chef libéral Claude Ryan. Mais après avoir constaté que le scrutin majoritaire les favorisait dorénavant, grâce à leur implantation massive dans les régions, de nombreux députés péquistes, opportunistes, ont fait volte-face.
Le premier ministre Bourassa, un adversaire irréductible du scrutin proportionnel, n'a naturellement pas ressuscité le dossier par la suite, D'autant plus que les fortes majorités que le Parti libéral a remportées aux élections de 1985 et en 1989 le mettaient à l'abri du handicap que le système inflige à cette formation quand sa marge victorieuse est faible (moins des 5% à 7% des suffrages). Ce fut d'ailleurs le cas aux élections de 1998 alors que les libéraux de Jean Charest ont obtenu une majorité de quelque 30 000 voix sur les péquistes (0,5% des suffrages) sans pour autant défaire le gouvernement de Lucien Bouchard qui a été réélu avec une forte majorité parlementaire.
Mais ce renversement de la volonté populaire, le troisième à survenir au Québec en moins de 25 ans - les deux autres s'étaient produits en 1944 et en 1966 en faveur de l'Union nationale - a indigné plusieurs citoyens qui ont mis des associations sur pied afin de militer derechef en faveur d'une réforme en profondeur du mode de scrutin. En décembre 2001, le Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN) a obtenu que les membres de la Commission des institutions de l'Assemblée nationale prennent l'initiative d'étudier la question. Le premier ministre Landry s'est réjoui publiquement de cette initiative tandis que, dans les coulisses, le ministre André Boisclair, alors leader parlementaire du gouvernement, a manœuvré pour que les auditions de la commission soient reportées indéfiniment. De façon telle que, 15 mois plus tard lors du déclenchement des élections en mars 2003, les 250 mémoires présentées par des citoyens ont été envoyés dans les limbes parlementaires sans avoir été présentés. Quel exemple édifiant de duplicité partisane!
Entre-temps, le ministre Jean-Pierre Charbonneau avait convoqué, en 2002, des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques dont le mode de scrutin. Lors de la session nationale, tenue en février 2003, 90% des 1 000 participants se sont prononcés en faveur de la mise en place d'un scrutin proportionnel alors que presque tous les députés brillaient par leur absence lors de ces importantes assises. Quelques jours plus tard toutefois, le Parti québécois a inscrit de nouveau dans son programme l'engagement de réformer le mode de scrutin qu'il avait supprimé lors de son congrès de 2000. En campagne électorale quelques semaines plus tard, Bernard Landry a promis que, si le PQ était réélu, la réforme serait instaurée lors du prochain mandat, tout comme René Lévesque l'avait fait en 1976 et Jacques Parizeau en 1994.
Des élus en conflit d'intérêts qui ne tiennent pas compte de l'opinion des citoyens
Le Parti libéral, se souvenant de sa mésaventure de 1998, a lui aussi inscrit à son programme, en 2002, l'engagement de réformer le mode de scrutin, dans les deux premières année d'un éventuel mandat, afin de corriger les principales distorsions de la volonté populaire causées par le système actuel. Au lendemain de sa victoire, le premier ministre Charest a confirmé qu'il respecterait cet engagement, mais le projet de loi qu'il a annoncé pour le printemps 2004 n'est venu que six mois plus tard sous la forme d'un simple avant-projet de loi. Ce dernier se réclame du scrutin mixte avec compensation à l'allemande, un excellent système qu'il déforme toutefois en le dépouillant de ses principales caractéristiques de façon à ce que la version québécoise continue à préserver les privilèges qu'accorde aux deux principaux partis le scrutin actuel. Les tiers partis seraient toujours traités avec autant d'injustice, le seuil effectif pour accéder à l'Assemblée nationale étant fixé à quelque 15% des suffrages. En fait, le ministre Jacques Dupuis, responsable du dossier, a surtout cherché à éliminer les distorsions affectant le Parti libéral se préoccupant peu ou prou du reste.
Les modalités de cet avant-projet de loi ont été vivement critiquées par la plupart des 2 000 groupes et citoyens ayant participé à la commission parlementaire qui a eu lieu au début de 2006. De forts consensus - de l'ordre de 90 et plus - se sont alors exprimés en faveur de certaines dispositions pour rétablir l'intégralité du système mixte à l'allemande, telle l'introduction de deux votes ainsi que le calcul de la compensation au niveau national plutôt que régional. Mais les députés libéraux et péquistes membres de la commission se sont entendus pour remettre, le 31 mai dernier, un rapport bâclé qui ignore complètement ces consensus citoyens en passant sous silence des points importants comme le nombre de votes et en ne choisissant pas entre une compensation nationale ou régionale. S'inspirant d'une philosophie très conservatrice ce dernier recule même par rapport à l'avant-projet de loi quant aux mesures pour favoriser la représentation des femmes et des communautés ethnocultutrelles. Le rapport des parlementaires ne tient pas compte non plus des avis que lui a transmis le Comité citoyen créé pour conseiller la commission. Pourtant le rapport de ce comité , d'excellente facture, analyse de façon transparente chacun des enjeux importants et présente des propositions articulées.
En agissant ainsi les députés ont prouvé de nouveau que les élus se trouvent en conflit d'intérêts partisan lorsqu'ils prennent des décisions sur cette question dont dépend leur avenir politique personnel ainsi que celui du parti dont ils sont membres. Ce nouvel épisode d'une saga qui dure depuis 40 ans démontre aussi que les élus et leurs partis se considèrent comme les maîtres des institutions politiques et non comme les délégués des citoyens qui sont pourtant les véritables propriétaires de l'État. Dans la pratique, la souveraineté populaire, qui est pourtant l'assise fondamentale de notre régime démocratique, est un concept qui s'avère de plus en plus illusoire parce que le pouvoir des citoyens est constamment usurpé par les politiciens et les partis politique qui détiennent le pouvoir.
Quoiqu'il en soit, suite à la consultation de l'hiver dernier, le ministre Benoît Pelletier, qui porte maintenant le dossier, a dit qu'il voulait présenter un projet de loi cet automne. Souhaitons qu'il tienne davantage compte des points de vue exprimés par les représentants de la société civile devant la commission parlementaire. Souhaitons aussi que le caucus libéral et que le cabinet puissent faire primer le bien commun sur leurs intérêts partisans. Mais, à vrai dire, la possibilité que l'Assemblée nationale décide, d'ici les prochaines élections, qu'une vraie proportionnelle va être instaurée semble bien mince. D'autant plus que l'opposition péquiste continuera à mettre des bâtons dans les roues. Son porte-parole dans ce dossier, le député Luc Thériault, est d'ailleurs passé maître à ce jeu. De plus, le PQ a annoncé devant la commission, par la voie de son vice-président François Rebello, que s'il était élu la prochaine fois, le nouveau gouvernement reporterait la réforme du mode de scrutin après l'accession du Québec à la souveraineté, c'est-à-dire aux calendes grecques. Il fut pourtant un temps où le revitalisation de la vie démocratique comptait parmi les principaux objectifs de ce parti, jadis réformiste, qui dit vouloir faire accéder le Québec à la souveraineté politique, mais qui bafoue la souveraineté populaire ! N'y a-t-il pas là une troublante contradiction ?
Aux dernières nouvelles, il est question que le gouvernement soumette la réforme à un référendum qui aurait lieu en même temps que les prochaines élections. Il répondrait ainsi aux vœux exprimés par l'opposition péquiste et de nombreux participants à la consultation de l'hiver dernier. Ce serait une bonne solution pour solutionner l'impasse actuelle mais aux conditions suivantes :
1) Que la formulation de la question soumise à la consultation populaire prévoie que le prochain gouvernement soit tenu d'en respecter le résultat et d'instaurer, le cas échéant, un scrutin proportionnel qui entrerait en vigueur dès les élections suivantes.
2) Pour que les électeurs puissent se prononcer en toute connaissance de cause, que l'État subventionne une importante campagne d'information.

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Paul Cliche76 articles

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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