Un gouvernement belge “définitif”
Dans la pièce où se réunit le nouveau gouvernement belge installé ce 20 mars, on a retiré le tableau qui représente le Gouvernement belge provisoire de 1830 qui déclara l’indépendance du pays après sa révolution contre la Hollande et convoqua un Congrès élu par 30.000 privilégiés qui (sauf cette restriction du suffrage) vota la Constitution la plus démocratique et la plus libérale d’Europe.
En effet, ce tableau n’était pas de bon augure pour un gouvernement ayant la prétention de durer le temps d’une législature.
Un gouvernement déjà menacé
L’interminable crise politique belge s’était conclue fin décembre par la mise en place d’un Gouvernement, dit parfois “intérimaire”, chargé en fait de donner une apparence de conclusion à la crise qui n’en finissait plus depuis les élections du 10 juin 2007, et de passer la main à un gouvernement du type de celui qui est mis en place. Ici, en principe, on a un “vrai” gouvernement destiné à durer le temps de la législature, soit jusqu’en 2011.
Mais la presse est unanimement très sceptique. Il est vrai que sur certains points, comme la faisabilité budgétaire de certains éléments de son programme, il faudra attendre le mois de septembre pour être fixé. Quant à la réforme de l’Etat, le parti le plus important de la coalition, qui est un cartel de démocrates-chrétiens et de nationalistes flamands (assez à droite), exige des avancées significatives en matière de transferts de compétences aux Etats fédérés en juillet. Voilà déjà deux échéances assez rapprochées. En outre, en juin 2009, auront lieu des élections régionales qui peuvent bouleverser complètement les rapports de force politiques au niveau des Etats fédérés, ce qui, dans un système où il n’y en a en fait que trois Etats fédérés, se répercute inévitablement au plan fédéral. Deux échéances et une contradiction performative: en effet certains hommes politiques vont au gouvernement fédéral avec comme finalité d’en diminuer les compétences...
La Constitution belge limite le nombre de ministres à 15, mais les exigences de certains partis, comme les libéraux francophones et les rivalités concurrentes si l’on peut dire des autres partis, ont fait que le nombre de secrétaires d’Etat se monte à sept, ce qui en dit long sur la difficulté des partis au pouvoir à trouver un consensus.
Mais des ministres de poids liés au système des partis
Cependant, outre le Premier ministre, le Flamand Yves Leterme, qui présidait son parti jusqu’aux élections de 2007, il existe d’autres ministres comme Joëlle Milquet (démocrate-chrétienne wallonne, qui va quitter la présidence de son parti) et Didier Reynders (libéral wallon), qui cumule un poste de vice Premier Ministre et le poste de président des libéraux wallons et francophones.
En tout, il y a cinq partis coalisés, les libéraux, les démocrates chrétiens et les socialistes wallons, d’une part, et, d’autre part, les libéraux et les démocrates-chrétiens flamands (en cartel avec les nationalistes flamands ouvertement indépendantistes), les socialistes flamands ayant refusé de faire partie du gouvernement. Ce dernier point est à souligner.
En Belgique, les partis sont tous scindés linguistiquement, mais il existait encore jusqu’ici une loi non écrite qui voulait que les familles idéologiques aillent (ou n‘aillent pas), ensemble dans un gouvernement, par-delà les clivages linguistiques. Cela se comprend parce que ces partis étaient au départ unitaires, puis se sont progressivement divisés en deux à la fin des années 1960-1970. Évidemment, ces partis divisés (mettons les socialistes flamands et les socialistes wallons et francophones), gardaient (et gardent toujours), des affinités. Elles étaient sans doute plus fortes hier qu’aujourd’hui, pour mille et une raisons. Parce que, peut-être que, hier, l’idéologie des partis concernés était quelque chose qui comptait encore aux yeux de l’opinion publique (et des dirigeants de ces partis). Parce que, même encore dans les années qui ont suivi les années 1970, il demeurait des liens personnels ou structurels entre les moitiés linguistiques (devenues des partis autonomes), de la famille socialiste belge, libérale belge, etc.
Les partis, centre de la vie politique belge
Si j’insiste tant sur les partis, c’est qu’ils sont au centre de la vie politique belge. La remarque faite plus haut que trois présidents de partis (ou anciens présidents) sont aussi ministres, a son importance. Les hommes politiques les plus importants en Belgique sont les présidents de partis. S’ils se mouillent dans un gouvernement, on sait d’expérience que c’est parce qu’ils veulent que ces gouvernements réussissent et ils ont – du moins en principe – le poids qu’il faut pour y parvenir. Mais s’ils veulent se mouiller, c’est, je crois, surtout du côté francophone et wallon, parce que l’on craint que si ce gouvernement n’arrive pas à s’entendre sur la réforme de l’Etat à réussir, il y a risque d’une rupture plus rapide de l’unité belge que par longues étapes successives durant lesquelles on transfère des compétences de l’Etat fédéral aux Etats fédérés. Le parti nationaliste flamand, partie prenante à ce gouvernement, qui veut l’indépendance de la Flandre, envisage de parvenir à cette indépendance de cette façon (la voie longue), et on a le sentiment que son calcul est bien fondé. En 28 ans (depuis 1980), le total des compétences exercées par les Etats fédérés, d’à peu près nul qu’il était, représente maintenant la moitié des compétences politiques de haut niveau, y compris l’exercice de ces compétences sur le plan international, ce qui est d’ailleurs unique au monde. Ceci fait penser que l’indépendance de la Wallonie et de la Flandre, mais aussi de Bruxelles, dans une confédération d’entités quasiment indépendantes, n’est plus qu’une question de temps: plus de dix ans sans doute, mais très probablement moins de trente ans, il me semble que c’est une estimation prudente.
Il est possible d’ailleurs que le fait que, en même temps que la mise en place du Gouvernement fédéral, le Premier ministre de la Région wallonne ait été également désigné comme chef du gouvernement de la Communauté Wallonie-Bruxelles, soit un signe de radicalisation “nationaliste” (ce terme n’est pas utilisé pour la Wallonie, mais au fond son usage a quelque pertinence), du côté wallon où l’on entend se préparer au “pire”, soit la fin de la Belgique (il n’est pas sûr que ce soit le “pire”, mais appelons-le comme cela).
Un patriotisme wallon “banal”
Tout cela manque évidemment de piquant. Mais les nations doivent-elles naître dans la bruit et la fureur? Ou la patiente évolution des choses et cette espèce de banalité un peu froide des démocraties? J’opte pour la deuxième solution dans la mesure où le vrai nationalisme s’appelle sans doute le civisme et consiste à lutter pied à pied pour la Cité, à la manière des citoyens ordinaires qui, comme entrepreneurs, ouvriers, employés, agriculteurs, médecins, assistants sociaux, syndicalistes, professeurs (etc.), bâtissent quand même pour l’essentiel cette Cité sans brandir des drapeaux ou des hymnes nationaux à temps et à contretemps. Mais dont l’amour pour la Cité des hommes est pourtant bien réel. En ce sens, le patriotisme n’a rien de banal ni de plat mais fait songer au mot de Péguy considérant les pères de famille (nous y ajouterons les mères de famille car Péguy écrivait en un autre temps), comme “les aventuriers des temps modernes”.
José Fontaine
L’interminable crise politique belge
Chronique de José Fontaine
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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