L'incompétence créative

Chronique de Louis Lapointe



La récente déconfiture de l'UQAM n'est pas très différente d'autres
évènements similaires survenus au cours des dernières années. Tous se
souviendront de la «comptabilité créative» de NORTEL qui a provoqué une
chute de 30 % de l'indice TSX de la bourse de Toronto en raison de pertes
de 400 milliards de dollars des investisseurs du célèbre équipementier.
Nous avons tous assisté au laxisme de l'Autorité des marchés financiers et
de la Sûreté du Québec qui ont laissé Norbourg et Vincent Lacroix voler
littéralement leurs clients pendant 18 mois, afin d'accumuler des preuves
contre eux, sans que rien ne soit fait pour prévenir ces clients qui
étaient littéralement en train de se faire vider leurs bas de laine au vu
et au su des autorités apathiques.
Nous avons également assisté aux dépassements de coûts dans les cas du
Métro de Laval, de la construction de l'usine de la Gaspésia et la
radiation d'une dette de deux milliards de dollars par la Caisse de dépôt
et de placement à la suite de déconvenues consécutives à l'achat de
Vidéotron par Québécor.
La même Caisse de dépôt et de placement s'est lancée dans l'achat de
papier commercial de tiers adossé à des actifs (PCAA) pour un montant de
treize milliards de dollars, alors qu'il était évident pour tous les gens
avisés que cela était très risqué. Pas besoin d'avoir un doctorat en
économie pour comprendre qu'une dette hypothécaire à long terme de 30 ans
ne peut garantir un placement à court terme, c'est la première chose
qu'apprennent les étudiants en finance. Pourtant, la Caisse de dépôt et de
placement et plusieurs banques se sont lancées dans cette aventure risquée
avec l'argent des contribuables et de leurs clients parce que c'était à la
mode et surtout parce qu'il pensait que ce serait payant.
Récemment, je lisais dans un commentaire de Louis-Gilles Francoeur
rapporté dans Vigile, que le projet Rabaska comportait non seulement
d'importants risques économiques, mais également des risques physiques
encore plus graves pour la population de la région de Québec. Alors
qu'aucune ville de la côte est américaine ne veut accueillir de ports
méthaniers pour subvenir aux besoins de leurs populations en gaz, Lévis
s'apprête à devenir la station service de tout l'Est américain au lendemain
des événements du 11 septembre 2001. Nous devrions bientôt assister à
l'installation d'équipements et à la venue de navires-méthaniers dans le
fleuve St-Laurent, entre Lévis et Québec, qui pourraient occasionner le
même genre d'impact que l'explosion d'une bombe atomique de plusieurs
mégatonnes, s'il y avait conflagration.
Si la GRC et le SCRS peinent autant à protéger un ministre du gouvernement
fédéral et que nos aéroports sont de véritables passoires, comment ces
mêmes corps policiers et services secrets pourraient-il garantir la
sécurité de la population de la grande région de Québec contre toute
éventuelle tentative d'attentat terroriste visant directement ces
installations dans le but de priver l'Est américain de cette précieuse
source d'énergie? L'embauche de firmes privées ne pouvant être une
solution, comme on l'a vu dans le cas de récentes évasions de prisonniers,
celles-ci étant de plus grandes passoires que nos corps policiers.
Vous remarquerez bien, derrière toutes ces dérives et ces bêtises, il y a
toujours des consultants privés qui sont grassement payés pour répéter
béatement ce que des dirigeants d'entreprises leur ont demandé de dire et
d'écrire parce que leurs propres employés refusaient de le faire. Combien
de carrières d'honnêtes employés ont été brisées parce que des petits
politiciens aveuglés par leurs rêves de grandeurs préféraient faussement
croire des consultants privés qu'ils payaient à grands frais pour se faire
dire ce qu'ils voulaient entendre, ce que refusaient de faire leurs
employés les plus compétents, aujourd'hui tablettés, démissionnés ou en
burn-out? Ce qu'on appelle dans le jargon interne des dirigeants et des
conseils d'administration de ces organisations, vaincre la résistance aux
changements.
Malheureusement pour nous, il y aura toujours un consultant pour approuver
la comptabilité créative de NORTEL et contribuer à déposséder les
actionnaires de leurs biens. Il y aura toujours des contrats mal ficelés
même s'ils ont été rédigés et négociés à grands frais par des
professionnels du domaine. Il y aura toujours un consultant privé pour
venir dire le contraire de ce que commande le sens commun, prêt à venir
contredire ce que disent les plus compétents fonctionnaires de l'État parce
que l'argent achète tout, surtout la renonciation au bon sens.
Il y aura toujours des politiciens et des analystes à la solde des grands
magnats de l'économie pour venir vanter les mérites des partenariats
public/privé comme solution à ces dérives. Il y aura toujours des
universitaires et des intellectuels à la solde de think thanks
conservateurs pour venir dire que la dérive de ces projets a été causée par
l'incompétence des fonctionnaires. Il y aura toujours de grands gourous en
conflit d'intérêts patents pour venir dire que la solution à ces dérives
consiste simplement à introduire encore plus d'intrants privés dans le
public, à nommer encore plus d'administrateurs qui proviennent du privé et
qui ne connaissent rien au service public et à bien les rémunérer pour que
tout aille pour le mieux.
Selon ces grands gourous, les conseils d'administration dont les
administrateurs sont indépendants, rémunérés et choisis par un comité de
mise en candidature seraient la solution à tous nos maux. Dans cette
définition même, l'indépendance porte en elle le germe de la redevance. Des
administrateurs ne mordront jamais la main qui les a nourris. On n'attendra
pas simplement d'eux qu'ils lisent leurs documents, mais surtout qu'ils
joignent leurs voix à la majorité du conseil et à celles des dirigeants
lors de décisions stratégiques visant à céder encore plus de lest aux
intérêts privés.
Toutefois, toutes ces considérations ne doivent pas nous faire perdre de
vue, que dans le cas bien particulier du projet de Rabaska, il ne pourra
pas y avoir de lendemain, puisqu'il ne s'agit plus de vulgaires
considérations monétaires comme dans ce fût le cas avec Norbourg ou l'UQAM,
mais bien de vies humaines. Ce qu'il y a de plus cruel avec ce projet,
c'est que si conflagration il y a, les pertes engendrées ne se compteront
pas seulement en argent, mais également en vies humaines. La vue de morts
ne se limitera donc plus au petit écran, elle sera bien réelle, car elle
sera chez nous. Ce seront nos compatriotes, nos amis, nos parents, nos
enfants. Tout ça pour du pouvoir et de l'argent!
Malheureusement, comme on l'a vu dans le cas de l'UQAM, quand les intérêts
économiques en jeu sont considérables, il se trouvera toujours des
mercenaires pour faire la job de bras qu'on leur demande, pour répéter ce
qu'on leur a suggéré de dire, sans réfléchir aux conséquences de leurs
actions. Une servilité dont le fruit ne peut être que l'incompétence. Il y
aura toujours de ces gens qui pensent à leurs intérêts à court terme plutôt
qu'au bien commun, espérant ainsi faire progresser leurs carrières!
Pendant ce temps, le gouvernement de cohabitation de Jean Charest, sa
kyrielle de ministres et l'opposition dorment tous au gaz. Allez savoir
pourquoi?
Louis Lapointe

Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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