L’impensable

Pari sur la mort violente prochaine du futur locataire de la Maison Blanche, s’il est une femme ou supposément un noir

Tribune libre 2008

Ce texte m’est inspiré par une certaine lecture médiatique de l’actualité
américaine en ces débuts d’année, en l’occurrence le processus des
présidentielles. De tous temps, ce qui se passe dans ce pays retient sous
divers angles l’attention générale, particulièrement ici au Canada. Et pour
cause, l’unique voisin canadien en est un de très spécial. Quand il se
mouche ici on s’enrhume, quand il ferme l’immense frontière commune il nous
affame, quand il a faim ici on mange du pain, quand il rêve ici on veille,
quand il part en guerre on ramasse des pierres, quand il détruit des écoles
on reconstruit des ponts, quand il allume des feux on fournit des casques
bleus, quand il est tranquille notre diplomatie prend des béquilles, …
Autant dire que le vent qui souffle sur ce voisin peut emmener des nuages
ou des éclaircies dans notre ciel selon notre position dans l’alignement
des étoiles.
Mercredi 9 janvier, sur les ondes de 98,5Fm à Montréal, l’animateur étoile
Paul Houde produit une tribune publique qui a tout l’air d’un pari sur
l’assassinat «probable» du prochain locataire de la Maison Blanche,
advenant que ce soit Barak Obama ou Hillary Clinton. Remarquez qu'il est
loin d'être seul sur la vague. De prime abord, cette idée m’a sidéré, et le
plaisir des auditeurs à se l’approprier m’a scandalisé. Je ne pus me
retenir de vouloir réagir sur le champ. Hélas les ondes parviennent à tous
en même temps, mais ne sont pas accessibles à tous. Inutile d’appeler le
8667909850, à moins que la tribune traite d’élections au Canada. J’ai alors
taillé mon vieux crayon que voici, profitant de la détente pour réentendre
l’animateur et tenter de comprendre pourquoi ne pas s’y méprendre.
A quelle lecture en suis-je alors venu ? D’abord, j’interroge l’intérêt
de faire un pari sur la mort prochaine d’un bon leader, et j’interrogerais
la frontière entre pari et souhait. Ne serait-on pas fondé de craindre de
réveiller le diable ou lui servir d’alibi, et d’expiatoire du genre
«c’était prévisible, il/elle aurait du ne pas aller jusqu’au bout, on
aurait mieux fait ne pas voter pour …» ? Ou plutôt serait-ce de bonne
guerre pour faire replier l’électeur en lui disant que son vote risque
d’être une balle dans la tête de la personne de son premier choix. Même si
ça peut avoir tout l’air de cela, le pronostique évoque un bien plus triste
et plus large phénomène, celui du mariage des drames et des palmes.
L’histoire nous montre que les grands noms et la notoriété roulent sur des
roues tragiques. Hitler n’est il pas le nom le plus tristement connus de
notre ère ! Sur un autre plan, ça prend des drames pour faire des
monuments. Les guerres ne font pas que des morts, elles font aussi des
généraux et des héros. Certains noms grandissent en mourrant, tels les
Kennedy, Martin Luther King, Sankara, etc. D’autres grandissent en luttant
contre la tragédie, tels Gandhi, Thérèse de Calcutta, Paul Rusesabagina,
etc. Quelques grands noms émergent des repousses herbeuses au milieu des
cendres de l’horreur. Ce sont des affranchis, des orphelins, des veuves et
veufs, des rescapés de désastres qui refusent leur main à la mort et
s’inventent dans la dignité une raison de vivre, et un avenir. Tous ces
noms sont nobles.
Hélas, il y a aussi des gens bénis des dieux des arts qui se font la
renommée en prêtant leur voix aux échos d’horreurs. Ils parlent des crimes,
de la barbarie, de tout ce qui n’est pas agréable à voir et captent plus
d’attention que ne saurait faire un célébrant de mariage. Ici par exemple
le nom de Paul Arcand s’écrit en grand avec des lettres de la tragédie des
enfants et du documentaire les «voleurs d’enfance». Ailleurs celui de Gil
Courtemanche scintille sur un fond noir d’une lecture fantasmagorique des
drames rwandais (référence au roman et au film «un dimanche … à Kigali»).
Que je ne m’expose pas à mauvaises interprétations, nullement je voudrais
incriminer ces messagers, ces porteurs de lampions. Je voudrais plutôt
rougir des horreurs et de leurs acteurs, sans eux ces laborieux ou
controversés auteurs vaqueraient noblement à d’autres occupations. Je
voudrais aussi rougir contre notre société qui n’a plus de goût ni de rêve
pour du bon, du positif, de l’agréable. Rarement un journaliste sera
reconnu pour avoir su livrer des bonnes nouvelles, mais à coup sûr les
chroniqueurs nécrologiques et critiques sarcastiques font le plein de
sympathie de tout le public.
Ainsi, Paul Houde risque de se frayer un chemin vers le temple de la
renommée en annonçant en primeur la mort prochaine du futur locataire de la
Maison Blanche, s’il est une femme ou supposément un noir. Du coup il aura
avec bien d’autres donné un soupçon de coup de pouce à l’élévation du nom
de la malheureuse victime. Se faisant, Houde qui a une mémoire d’éléphant
ne se doute pas de souffler dans des oreilles de potentiels assassins
dormants, mais pour autant qu’il ne tienne pas la gâchette, on peut lui
faire dire tout haut que les bons politiciens sont bons pour mourir et que
morts ils nourrissent bien de gens. Ainsi disons : Drames et grands
hommages au futur président des USA, palmes à ceux qui auront prédit
l’impensable.
Francois Munyabagisha

Drummondville
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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François Munyabagisha79 articles

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Psycho-pédagogue et économiste, diplômé de l'UQTR
(1990). Au Rwanda en 94, témoin occulaire de la tragédie de «génocides»,

depuis consultant indépendant, observateur avisé et libre penseur.





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