L'appui du Canada est incontournable

Visite royale - Charles - Novembre 2009

La visite actuelle du prince Charles et de Camilla Parker Bowles nous rappelle que le Canada est, qu'on le veuille ou non, encore une monarchie constitutionnelle et que l'héritage et les traditions britanniques font bel et bien partie de l'identité du pays.
Or, nous apprenions, il y a quelque temps, que le premier ministre du Royaume-Uni, M. Gordon Brown, souhaitait moderniser les règles de succession au trône de la Couronne britannique, afin d'en éliminer toute forme de discrimination à l'égard des femmes et des catholiques. Cela requerrait l'adoption d'une loi par le Parlement de Westminster, qui renverserait les règles de Common Law en matière de primogéniture (lesquelles favorisent les hommes aux dépens des femmes dans l'ordre de succession, en ce sens que les hommes peuvent accéder au trône avant qu'aucune femme, même plus âgée, ne puisse le faire) et qui modifierait le Bill of Rights de 1688, l'Act of Settlement de 1701 et probablement l'Accession Declaration Act de 1910, en ce qui touche l'interdiction faite à tout catholique ou à toute personne mariée à un ou une catholique d'accéder au trône, de même que l'obligation faite au monarque d'être de foi protestante.Le préambule du Statut de Westminster de 1931 prévoit l'obligation que toute modification aux règles de succession au trône obtienne l'assentiment des parlements des dominions visés par le Statut, en plus, évidemment, de celui du Parlement du Royaume-Uni. Le Canada est l'un de ces dominions.
En 1936, lorsqu'est survenue l'abdication du roi Edward VIII, le gouvernement du Canada, pris de vitesse par les événements, a néanmoins réagi rapidement en adoptant un arrêté en conseil, par lequel il a demandé formellement la passation par le Parlement de Westminster d'une loi confirmant l'abdication et donnant, par le fait même, l'autorité au nouveau roi George VI. Dans cet arrêté en conseil, le Canada disait aussi acquiescer à l'adoption d'une telle loi. Il faut toutefois préciser qu'à l'époque, l'article4 du Statut de Westminster prévoyait qu'aucune loi adoptée par le Parlement du Royaume-Uni après 1931 ne pouvait faire partie du droit d'un dominion (dont le Canada), à moins qu'il ne soit expressément déclaré dans cette loi que le dominion en a demandé l'adoption et qu'il y a consenti. Cette disposition n'est plus applicable au Canada depuis 1982. Elle a été remplacée par l'article2 de la Loi de 1982 sur le Canada, qui prévoit qu'aucune loi adoptée par le Parlement du Royaume-Uni après 1982 ne peut faire partie du droit du Canada.
Quelques semaines après que soit survenue l'abdication d'Edward VIII et que soit entrée en vigueur la loi du Parlement britannique consacrant cette abdication, c'était au tour du Parlement canadien d'adopter une loi confirmant l'assentiment du Canada à l'adoption de la loi britannique dont nous venons de parler.
De nos jours, l'article2 de la Loi de 1982 sur le Canada nous conduit inévitablement à la conclusion qu'une loi qui serait adoptée par le Parlement britannique et qui aurait pour objet la modification des règles de succession au trône ne s'appliquerait pas au Canada. Pour que ces modifications s'appliquent à notre pays, il faudrait nécessairement que le Parlement canadien adopte une loi allant dans le même sens que la loi britannique. Du reste, il ressort du préambule du Statut de Westminster de 1931, lequel est toujours en vigueur, qu'il faudrait que le Canada consente au changement des règles de succession au trône.
Le consentement des dominions aux changements aux règles de succession au trône, qui est requis par le préambule du Statut de Westminster, vise à assurer la cohérence de ces règles et leur symétrie dans les différents pays qui, comme le Canada, ont le même monarque que le Royaume-Uni. C'est précisément le besoin de cohérence et de symétrie dans les règles applicables à la succession au trône qui explique pourquoi le Parlement canadien n'aurait d'autre choix, dans l'hypothèse de l'adoption d'une loi par le Parlement de Westminster ayant pour effet de modifier ces règles, que d'adopter lui aussi une loi allant dans le même sens. L'adoption d'une telle loi par le Parlement du Canada s'imposerait d'ailleurs d'autant plus que l'Act of Settlement, le Bill of Rights et, par implication nécessaire, l'Accession Declaration Act font partie du droit canadien depuis leur adoption et que, selon l'article2 de la Loi de 1982 sur le Canada, seul le Canada dispose de nos jours du pouvoir de les amender en tant que composantes de son droit interne.
Le même raisonnement s'appliquerait aussi aux autres dominions visés à l'origine par le Statut de Westminster, de même qu'à tous les autres pays qui ont, en ce moment, Élizabeth II comme chef d'État. Ainsi, chacun d'eux devrait adopter une loi confirmant les changements aux règles de succession au trône souhaitées par le Royaume-Uni.
Si tout ce processus de ratification devait être mis en branle, il aurait notamment le mérite de remettre à l'avant-plan toute la question de savoir s'il faut ou non maintenir la monarchie au Canada, et cela, au moment même où plus de 60% des Canadiens remettent celle-ci en question au motif qu'elle ne serait qu'un reliquat du passé ou qu'elle serait antidémocratique. Après tout, les difficultés de modifier notre Constitution ne devraient pas nous empêcher de discuter de la pertinence de maintenir ou non la monarchie constitutionnelle dans ce pays.
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Benoît Pelletier, professeur à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.
Il est l'auteur d'un article portant sur le mariage morganatique dans la famille royale britannique, publié en 2005 par la Revue de droit de McGill


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