Chronique du samedi - 180

Je ne suis qu'un gueux

Chronique de José Fontaine


La Belgique et en particulier la Wallonie ont un des taux les plus élevés de syndicalisation au monde. Cela tient à une histoire industrielle: sur moins de 3 millions d'habitants en 1900, la Wallonie comptait 800.000 ouvriers dans l'industrie, une industrie qui, dans certains secteurs (la houille et la sidérurgie), était la deuxième au monde.
Je viens de lire une énorme biographie d'André Renard, syndicaliste à l'envergure réellement internationale, mort trop tôt à 51 ans, en 1962 (de Pierre Tilly, éditions Le Cri, BXL, 2006) mais c'est ici qu'on trouvera le plus de renseignements sur Renard.
Au départ, André Renard, pourtant né dans la banlieue de Liège, la plus grande ville de Wallonie, n'a pas eu nécessairement une activité syndicale le portant vers l'autonomie wallonne.
Certes, il a été présent au Congrès National Wallon de 1945 et au moment où l'affaire royale tournait mal (les Flamands voulant imposer le roi aux Wallons), il a même rallié l'action wallonne à un Congrès national wallon extraordinaire à Charleroi. Il est avéré qu'il a été du projet de former un gouvernement séparatiste en fin juillet 1950. Mais après, on ne le voit plus beaucoup en militant wallon.
Certes, dans son organisation syndicale belge, il se heurte, lui, syndicaliste très combatif, à la tiédeur des camarades flamands.
Une grève nationaliste wallonne qui a débuté bien autrement
En 1960, il espère, à l'occasion d'une grève qu'on sent venir contre le gouvernement de centre-droite de l'époque mettant en oeuvre un programme d'austérité, faire progresser les réformes de structure donnant aux syndicats un plus grand contrôle de l'économie et finalement une plus grande place dans la vie politique du pays, ce qu'il considère comme son rôle prioritaire de syndicaliste. Il n'a jamais brigué le moindre mandat politique alors que c'est l'habitude dans son organisation, alors très liée au parti socialiste.
La grève démarre en force dans les dix derniers jours de décembre. Très rapidement, il s'avère qu'elle est suivie principalement en Wallonie, notamment parce que le syndicat chrétien, écrasamment majoritaire en Flandre ne suit pas. Renard veut à la fois que cette grève réussisse et faire avancer son programme de réformes de structures.
Au cours de la grève, il lui donne un tournant autonomiste wallon qui n'est pas quelque chose qui tombe du ciel, mais qui n'était pas nécessairement attendu. Ce tournant peut s'expliquer par des considérations tactiques, Renard voyant l'impossibilité de parvenir à ses fins syndicalistes dans le seul cadre belge et espérant pouvoir imposer une vision plus socialiste en Wallonie, lance le mot d'ordre de l'autonomie wallonne aux grévistes. Au lendemain de la grève qui doit s'arrêter et est ainsi une sorte d'échec, il fonde le Mouvement Populaire Wallon, le mouvement wallon le plus important qu'ait jamais compté la Wallonie. Ce MPW va se heurter plus tard au parti socialiste demeuré unitaire et puis va lentement décliner.
Ses objectifs fédéralistes sont peu à peu repris à l'intérieur du parti socialiste où les autonomistes ont repris le dessus côté wallon. Renard meurt en juillet 1962. L'autonomie de la Wallonie ne sera acquise que 18 ans plus tard en 1980, avec des compétences très limitées impropres à réaliser ce qui est un autre objectif implicite de la grève de 1960: le redressement wallon. Après cette autonomie s'élargira, mais il faudra encore attendre presque vingt ans.
Aujourd'hui, on a un peu le sentiment que les autonomistes wallons les plus radicaux se trouvent exclusivement dans l'aile wallonne du syndicat socialiste (la FGTB wallonne), dirigée à tous les étages par des hommes qui se réclament de cet objectif autonomiste. Il faut dire que les syndicats chrétiens sont très largement dominés par les Flamands et, quoique combatifs, sont toujours plus modérés que la FGTB. Au contraire, à l'intérieur de ce syndicat FGTB, Wallons et Flamands s'équilibrent.
Le mépris du peuple par les élites en Europe
La Flandre parle - par son Ministre-président - d'avoir une concertation sociale au seul niveau flamand en en espérant des résultats beaucoup plus élevés que ceux que la même concertation sociale obtient au niveau belge. Pour le moment, les partenaires sociaux (patrons, syndicats, PME et agriculteurs) se concertent principalement dans le cadre fédéral et d'une certaine manière exclusivement pour les grandes négociations sociales annuelles. D'autre part le parti socialiste a une stratégie, certes, de défense francophone, mais même si elle est vigoureuse, se place et demeure dans une optique étroitement belge. Certes le président du parti socialiste n'exclut pas que si les Flamands vont trop loin la Wallonie et Bruxelles se donneront les attributs d'une nation.
Mais en réalité, pour défendre vraiment la Wallonie, sur le plan économique et politique, on trouve surtout des syndicalistes. Au parti socialiste comme dans les autres partis, le coeur n'y est plus tout à fait.
Cette fidélité du mouvement ouvrier au tournant wallon pris par son plus grand chef historique en 1960 n'est pas un vain mot. Je pense que la Wallonie a été d'une certaine façon trahie par ses élites sociales et politiques. Les jeunes Wallons de l'élite ont le regard tourné vers les villes de Luxembourg et Bruxelles qui sont deux des capitales de l'Europe et attirent les meilleurs des jeunes Wallons, notamment dans tout le secteur tertiaire (public et privé) de ces deux villes importantes (Bruxelles par son statut de siège des institutions politiques européennes et de capitale belge, son secteur tertiaire, Luxembourg par son dynamisme notamment bancaire et qui est aussi une capitale d'Etat).
Il reste cependant, entre ces deux villes, la Wallonie. Le parti socialiste a choisi plutôt l'optique d'une défense francophone vis-à-vis des Flamands plutôt que, sans négliger cette défense francophone, le fait de mettre en avant une défense de la Wallonie globalement.
C'est une situation très étrange de laquelle les Québécois seront sans doute étonnés. Car, curieusement, alors que ce n'est pas l'habitude chez nous, le président du parti socialiste, a pris la tête du gouvernement wallon, tout en donnant la priorité à la présidence de son parti qui est à la fois un parti limité à la Wallonie et Bruxelles mais aussi un parti important dans le cadre fédéral belge (où il n'y a de toute façon plus que des partis limités à leur communauté, soit flamande, soit wallonne et bruxelloise francophone).
Dans ce contexte, la seule force importante en faveur de la Wallonie, cela demeure les travailleurs de Wallonie et leur syndicat. On sait que cela comptait plus que tout en 1960. Aujourd'hui, et même si la Wallonie est devenue un véritable Etat, on peut dire qu'en Europe, on se préoccupe du rôle et du comportement des élites. C'est très visible en France où les médias ne décolèrent pas devant le fait que les Français les moins riches et les moins diplômés ont fait le NON au traité constitutionnel européen.
C'est l'atmosphère en Europe. Le monde du travail a eu bien plus d'importance dans les vingt ou trente années après 1945. Après, son influence a décru. Je dirais même que de ce point de vue les sociétés européennes sont moins démocrates qu'avant. La Wallonie avec son désir d'autonomie bien réelle dans le monde populaire, subit cette montée d'élites méprisantes pour la population ordinaire.
Cela me refait penser à Péguy: “Depuis les Cités grecques et même avant, les Cités sont défendues par les gueux et livrées par les riches car les riches n'ont que des biens temporels à perdre, alors que les gueux ont à perdre ce bien: l'amour de la patrie.” Nous sommes, en Wallonie, dans ce cas de figure et moi-même, je ne suis qu'un gueux.
Ce n'est pas très à la mode.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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