Réplique à « La dévolution aux conseils d’établissement est raisonnable et perti

Jamais assez d’anglais!

Tribune libre

« Alors que le Québec n’a jamais été aussi bilingue,
nos élites n’ont jamais été aussi obsédées
par la langue du maître. Un peu comme ces gens obèses
qui ne sont jamais rassasiés ».
Christian Rioux, « La langue du maître », Le Devoir, 8 février 2003.
D’aussi loin que je me souvienne, M. Proulx (je suis né en 1970), chaque décennie, les heures consacrées à l’enseignement de l’anglais dans le réseau scolaire québécois ont augmenté d’une centaine, pour passer progressivement de 400 à près de 1 000 aujourd’hui. Hausse après hausse, naïvement, j’ai pensé : « Cette fois, ça devrait suffire » ou encore « Bien. Maintenant, nos jeunes vont pouvoir commencer à s’initier à une troisième langue… ». D’autres le pensent aussi si on se fie au Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement préscolaire et primaire : « L’apprentissage d’une langue seconde et d’une langue tierce constitue un outil des plus importants pour évoluer dans une société pluraliste ouverte sur d’autres univers culturels… (p. 70)
Trop de gens, comme M. Proulx, pensent que s’ouvrir au monde, c’est uniquement s’ouvrir à l’anglais. Pour eux, impossible de savoir assez d’anglais; il urge même d’éradiquer les dernières poches de résistance unilingues, voire imparfaitement bilingues, le plus tôt possible en les débusquant dès le primaire. À les entendre, l’unilinguisme français passé la pouponnière est une tare dont il faut triompher. Pire : différer cet enseignement un peu plus tard dans la vie les hérisse.
Je me demande si vers la fin de sa carrière de journaliste, M. Proulx, a croisé des élèves du dernier cycle du secondaire ou du collégial... Moi, je leur enseigne et j’ai constaté ceci : ils maitrisent de mieux en mieux et de plus en plus la langue de Longfellow, Shelley, Keats, Lady Gaga et Madonna. Dans des cas de plus en plus nombreux, ils la préfèrent désormais carrément au français dans leurs choix culturels. Oui oui, vous avez bien lu : ils vont préférer lire en anglais, écouter de la musique en anglais, voir des films en anglais. Si on parvient à les faire danser sur une chanson en français, ils écarquillent les yeux, fascinés: « Ah bon? C’est la première fois que ça m’arrive ça, danser sur de la musique en français ». Leur parti est pris. Et ils colportent en tous lieux des idées fausses comme « L’anglais, c’est plus facile que le français ». Ou : l’anglais, c’est infiniment plus pratique. En définitive, pour eux, l’anglais, c’est mieux. À tous égards. Normal : n’importe quelle langue devient facile quand on la martèle à coups de 1 000 heures dans les esprits et les consciences!
Alors, ce serait vraiment « raisonnable et pertinent » d’en rajouter de 300 à 400 de plus, au détriment des autres matières, quand nos jeunes jonglent déjà jouissivement avec l’anglais au sortir du secondaire?
Au grand dam des partisans de l’anglais tous azimuts, en vertu de la Loi sur l'instruction publique, l'immersion en anglais dans les écoles françaises est interdite. Qu’à cela ne tienne, ils ont trouvé une astuce pour le contourner : l'anglais intensif.
Des conseils d’établissement compétents?
Avec le plan Malavoy, les CÉ seront appelés à voter pour ou contre l’implantation d’un tel programme. Ont-ils la compétence d’élaborer un projet éducatif comme semble le suggérer la Ministre Malavoy? Se faire une idée objective sur une question si complexe exige des dizaines d’heures de travail bénévole aux parents qui y siègent. On peut présenter le fruit de ses réflexions à son conseil d’établissement, mais peu de parents ont le loisir et l’énergie de déployer tant d’efforts, et vont donc se contenter de suivre la vague. Les membres du CÉ pourront par exemple se rabattre sur la position du ministère, très influencée par le lobby de la SPEAQ (Société pour la promotion de l’anglais au Québec). Ce cadre flou fera en sorte que l’anglais intensif au primaire sera souvent adopté simplement parce que l’idée est dans l’air. Il faut prévoir des luttes épiques au sein des CÉ.
Par ailleurs, en les laissant décider, le gouvernement prive les parents à la fois du droit de trancher en faveur ou non du programme et du droit de faire éduquer leur enfant en français, pourtant garanti par la Loi sur l’instruction publique (art. 210). C’est au nom de la lutte contre l’élitisme que la plupart des écoles veulent déjà se prévaloir de programmes uniformes et standardisés. Comme au Canada anglais : au nom de l’égalité des chances, les parents francophones hors Québec finissent trop souvent par délaisser ce français qui mine les chances de réussite professionnelle de leurs enfants par rapport à celles des anglophones.
Autre élément inquiétant : simultanément à celui de « l’assouplissement » du programme d’anglais intensif, la ministre Malavoy annonce un nouvel objectif pédagogique touchant l’anglais à l’école française: « être capables de se faire comprendre facilement par un interlocuteur anglophone en s’exprimant avec aisance et de le comprendre sans difficulté ». L’école française se doit donc maintenant de produire des élèves parfaitement bilingues… Voilà la seule nouveauté de cette annonce et elle est de taille. Le bilinguisme qui devra donc dorénavant faire partie du plan stratégique de chaque commission scolaire dont les CÉ devront tenir compte dans leurs décisions. L’école québécoise a-t-elle à faire de tous nos enfants, de « parfaits » bilingues mur à mur, sans exception aucune, alors que les enfants de la loi 101 le maîtrisent déjà cent fois mieux que leurs parents? Les exemples des Acadiens ou des autres Canadiens français ne suffisent-ils pas à montrer que dès que tout un peuple devient « parfaitement » bilingue, c’est-à-dire subjugué par sa langue seconde, sa langue maternelle recule? Combien d’anglophones du Nouveau-Brunswick suivent des cours de français intensif ? Et au Manitoba ? Ces chiffres, M. Proulx se garde bien de les mentionner.
Quand il attribue à du corporatisme étroit ou à de la mesquinerie syndicale l’attitude de professeurs du primaire qui se sont braqués contre cette mesure libérale, M. Proulx est non seulement injuste, mais révèle sa méconnaissance de l’impact réel de cette mesure sur le terrain. S’il advenait que la majorité des conseils d’établissement choisisse l’anglais intensif en 6e année, cela équivaudrait à créer du jour au lendemain plus de 1 200 postes de professeurs d’anglais en 6e année et, par conséquent, à rayer de la carte autant de professeurs titulaires. 1 200 postes, c’est énorme! C’est autant que le nombre de profs de français de tout le réseau collégial québécois! Or, apprendre à enseigner l’anglais de façon intensive se fait en obtenant un bac en enseignement de cette matière, chose que bien peu auraient le luxe de se payer ou l’intérêt et la capacité d’entreprendre. Rendu là, il s’agit de la plus élémentaire défense de la survie d’emplois, et non, pour ces enseignants, de « se muter en syndicalistes », comme le prétend M. Proulx.
Loin d’avoir réglé la question, en cherchant à ménager la chèvre et le chou et en se dérobant à sa responsabilité de gouverner, le gouvernement nous enfonce un peu plus dans la confusion. Et des gens comme M. Proulx ne présentent qu’un côté de la médaille.

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Jean-François Vallée91 articles

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Jean-François Vallée est professeur de littérature québécoise et française au niveau collégial depuis 1995. Son ambition de pédagogue consiste à rendre les étudiants non seulement informés mais objectivement fiers de la culture dans laquelle ils vivent. Il souhaite aussi contribuer à les libérer de la relation aliénante d'amour-haine envers leur propre culture dont ils ont hérité de leurs ancêtres Canadiens français. Il a écrit dans le journal Le Québécois, est porte-parole du Mouvement Quiébec français dans le Bas-Saint-Laurent et milite organise, avec la Société d'action nationale de Rivière-du-Loup, les activités de la Journée nationale des patriotes et du Jour du drapeau.





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5 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    21 mars 2013

    @ P. Tremblay:
    «Que la cie engage un traducteur si nécessaire pour communiquer avec des anglophones. Ou bien que l’entreprise se dote d’anglophones qui feront le pont entre l’employé et l’externe.».
    Cela semblerait être la chose à faire.
    Et après tout, ce ne sont pas tous les employés d'une compagnie de biotehcnologie, par exemple, qui auront besoin de discuter avec des partenaires d'affaire américains, non?

  • Archives de Vigile Répondre

    21 mars 2013

    Pour la culture générale, je dirais plutôt "jamais assez de langues étrangères" et principalement, les langues américaines i.e. l'espagnole (la plus parlée), l'anglaise (la 2e en importance), la portugaise (la 3e utilisée) et la française (qui nous est la plus importante parce qu'elle est une partie de notre identité)). Le problème que nous avons au Québec n'est pas le fait d'enseigner l'anglais à nos concitoyens mais bien, plutôt, de ne pas obliger l'utilisation de notre langue sur notre territoire. En effet, étant francophones, nous avons non seulement le droit, mais aussi, le devoir non pas seulement de promouvoir l'utilisation du français mais d'obliger l'utilisation de la langue française sur l'ensemble du territoire québécois. Est-ce qu'on permet aux Britaniques de rouler à gauche sur nos routes sous prétexte qu'ils le font en Angleterre? Non, pour une raison évidente. Eh bien, c'est la même chose pour la langue d'usage: pour assurer la bonne entente et la bonne compréhension de tous les citoyens, il faut une seule langue d'usage au Québec comme c'est le cas partout ailleurs. C'est comme ça, un point c'est tout. C'est ça la réalité. Il faut cesser de se comporter comme des schizoïdes et tenir compte de qui nous sommes. Le fait que nous soyons entourés de 300 millions de parlants anglais ne change rien au fait que nous soyons des parlants français. Nous sommes ce que nous sommes, un point c'est tout. En conséquence, tout doit refléter notre identité québécoise au Québec: TOUT: la langue de communication, la langue d'enseignement, la langue d'affichage, la langue de service, et, idéalement, la langue de rêve. Nous sommes un grand peuple avec une belle et grande langue, soyons en fiers. Et ceux qui ne seront pas capables de s'adapter à cette réalité, il faudra leur faire voir que c'est "leur problème" et non pas le nôtre. Assez, c'est assez! Il est temps de mettre notre poing sur la table.
    Pour ce qui est de la difficulté d'apprendre le français, c'est une excuse inacceptable. C'est pas plus difficile d'apprendre le français que l'anglais puisqu'apprendre l'une ou l'autre comporte les mêmes difficultés mais en sens inverse:c'est difficile mais pas plus difficile. A moins de démontrer que le cerveau des francos et des anglos ont une structure différente et que les organes de la parole des francos et des anglos ne sont pas constitués de la même façon, je ne vois pas pourquoi l'apprentisage d'une langue serait plus difficile que l'apprentissage d'une autre. Après tout, les chinois apprennent bien le français et des québécois apprennent le chinois. Alors, cessons de nous laisser manipuler et d'avoir peur de passer pour des racistes simplement parce que nous sommes ce que nous sommes i.e. un peuple qui a une identité bien établie comme cela est généralement le cas partout sur la planète.

  • Alain Maronani Répondre

    21 mars 2013

    Bombardier Transport, pour ses divisions en France (Nord Pas de Calais) embauche du personnel bilingue...consultez le site corpo de Bombardier...offres d'emploi.
    Pour le traducteur vous devriez embaucher un ingénieur en aéronautique (un exemple) qui possédera les compétences nécessaires...il ne s'agit pas uniquement de traduire, il faut posséder les capacités techniques. Une garantie absolue que plus personne ne développera quoique ce soit ici. Faire travailler des équipes réparties un peu partout nécessite de communiquer...sans intermédiaire.
    Sur un projet complexe, avion par exemple, les coûts de documentation, représentent 30 % du coût total du projet, chiffres souvent ignorés ou méconnus et dans certains secteurs (aéronautique par exemple) la seule version de référence est la version anglaise (certification FAA...) et souvent la seule livrée aux utilisateurs.
    L'anglais et sa position actuelle, que rien ne garantit dans le futur, représente l'un des composants de la mondialisation, un système qui ne peut durer.
    La traduction est toujours une trahison.
    Les espéces vivantes sont nommées en latin, même celles que l'on découvre maintenant, seule façon de s'assurer de l'universalité.
    Pour la qualité de l'anglais il y a un terme utilisé qui est le globish...et l'anglais est effectivement une langue difficile a maîtriser, avec un vocabulaire bien plus large que la langue francaise.
    Pour William Shakespeare bien des anglophones ne sont pas capable de le lire...qui chez les francophones peut lire les textes du cardinal de Retz, par exemple ?

  • Archives de Vigile Répondre

    20 mars 2013

    Que dire de plus?
    Tout est dit et énoncé très clairement.
    Moi ce qui me chicote c'est qu'on m'a dit qu'au Québec, mon enfant avait le droit de recevoir un enseignement en français alors qu'est-ce que c'est que cette histoire de passer 6 mois en anglais? Suis-je au Québec? Ne me dites pas que mon enfant est capable de faire le programme en français pendant 6 mois et que le reste du temps , il ne verra plus de français durant le reste de l'année!!!
    Une langue est un apprentissage de tous les jours. Ce n'est pas un tiroir que tu ouvres et que tu refermes par la suite.
    Le problème c'est au niveau de la langue de travail. Il faut passer une législation qui interdit à un employeur de forcer un employé à se servir de la langue anglaise pour travailler au Québec. Que la cie engage un traducteur si nécessaire pour communiquer avec des anglophones. Ou bien que l'entreprise se dote d'anglophones qui feront le pont entre l'employé et l'externe.
    Lorsqu'on arrêtera d'afficher des offres d'emploi où il faut être bilingue et bien la demande diminuera dans les écoles.

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    20 mars 2013

    «Et ils colportent en tous lieux des idées fausses comme « L’anglais, c’est plus facile que le français ».»
    Justement, si nous en profitions pour démolir ce mythe idiot?
    Toutes langue a ses difficultés, et par ailleurs, l'anglais et le français, parmi toutes les (nombreuses) langues de souche indo-européenne, sont deux langues qui ont beaucoup de choses en commun, ceci étant dû aux échanges de toutes sortes, entre la France et le Royaume-Uni, au cours des siècles.
    La vérité est simplement que, l'anglais fondamental, pratico-pratique, qui est enseigné aux élèves du secondaire, ici, est simple, car il s'agit d'anglais de niveau dit «langue seconde», et non de niveau «langue maternelle», dans le jargon des commissions scolaires.
    Combien de colonisés qui prétendent que «l'anglâs, c'est comme ben plus facile, tsé», ont lu des auteurs tels que Shakespeare, Milton, Poe?
    Disons que l'anglais simplifié et médiocre, que parlent trop de nos bons colonisés, est plus facile, en comparaison, que l'effort qu'il faut y mettre, pour développer un français de qualité, oui.
    Tout linguiste qui se respecte, vous dira que d'affirmer de manière gratuite que telle langue, d'emblée, est plus simple que telle autre, est dans l'erreur. Et, fort probablement, est une chose sortant de la bouche d'une personne qui parle au travers de son chapeau!