Intervention d'Edwy Plenel

"Internet et l'enjeu démocratique"

Élection présidentielle française


Edwy Plénel, grande figure du journalisme français, fondateur et directeur du site d'information en ligne Mediapart.fr était le Grand Témoin de la Conférence Web Diversity, et a introduit cette journée en partageant sa vision d'Internet comme enjeu démocratique.
Voici la retranscription brute (et non relue) de son intervention, en attendant les enregistrements vidéo.

Intervention d'Edwy Plenel "Internet et l'enjeu démocratique"
".....Au fond n’ayons pas peur de revisiter l’histoire et de la comprendre. Et arrêtons-nous plus particulièrement sur l’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (*) Cette première déclaration des droits de l’homme qui pèse dans notre pays, dans notre culture, dans nos débats sur l’information. Il y avait, à l’époque, une vision très restrictive de ce droit fondamental à l’information. C’est l’article 11.
« La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’Homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement... sauf
Aucun droit fondamental n’est suivi d’un SAUF ?
Si j’ai le droit de me réunir, si j’ai le droit de parler, si j’ai le droit de m’exprimer, c’est une liberté qui doit rencontrer la liberté d’un autre ! Et puis s’il y a conflit ; c’est un conflit de droit, un conflit de liberté ! Alors, il y a des tribunaux, il y a des recours ! Mais un droit fondamental ne doit pas s’embarrasser d’une SAUF ! Un droit fondamental n’a pas de restriction. Autrement ce n’est plus un droit fondamental. Et là, il y a un SAUF. C’est le seul SAUF de la déclaration des Droits de l’Homme.
.....sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cadres déterminés par la Loi. »
C’est l’origine. Nous ne sommes qu’au début d’un mouvement qui va fonder notre pensée démocratique et en même temps montrer qu’elle n’est pas encore aboutie. Cette hésitation va donner lieu à des débats à l’époque. Alors ce qui m’intéresse et que quelques années après, en 1793, vous avez un article qui dit ceci : le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. Donc le droit des expressions, la liberté de la presse, le droits des opinions, le droit de réunion, la liberté de ce réunir, de s’assembler, le droit de croyance, la liberté d’affirmer sa croyance intime, privée, ne peuvent être interdits.
Si vous avez compris où je veux en venir, il y a là un va et vient qui s’inscrit dans la pluralité. Ce que je viens de lire, qui est dans la Déclaration des Droits de l’Homme, oubliée de 1793, est une adaptation française du premier amendement la Constitution Américaine adoptée en 1791. Il est interdit de faire une Loi contre la liberté de la presse, contre la liberté de religion, contre la liberté de Culte, contre la liberté de réunir.
Et, ce n’est pas un hasard. Il y avait un américain, Thomas Paine ; il serait bloggeur aujourd’hui, qui était le publiciste de toutes les révolutions, il a été dans la dynamique parlementaire britannique, il est d’ailleurs né citoyen britannique, il a été le publiciste de la révolution américaine, il a été fait citoyen américain et il était sous la révolution française, il a été fait citoyen français et élu à la Convention.

Je rappelle ce passage de l’histoire qui peut nous sembler très loin en apparence, pour dire combien cet enjeu, qui est au cœur de ce que nous allons parler, n’est pas un enjeu technique, mais un enjeu démocratique qui concerne tous les citoyens. Il ne concerne pas les professionnels du Net, les journalistes sur le Net, les citoyens qui sont sur le Net, mais tout le monde. Cet enjeu est encore devant nous.
Cet enjeu est celui du droit de savoir. Du droit des citoyens à savoir. C’est la clé de tous les droits fondamentaux.
Lors de la journée mondiale de la liberté de la presse, l’UNESCO qui sonne en écho à cette journée, l’a rappelé par la voix de sa nouvelle directrice générale qui est très ferme sur ces questions. Elle expliquait combien le droit de savoir était la clé des autres droits fondamentaux et le gage de plus de transparence, plus de justice et plus de développement.
Avec la liberté d’expression qui lui est complémentaire, le droit de savoir est l’assise même de la démocratie. Il ne s’agit pas simplement d’exprimer des opinions, parce qu’on peut exprimer des opinions et ne rien savoir. La vérité d’opinion, le débat d’opinion, n’est rien en termes de dynamiques démocratiques s’il n’est pas d’abord nourri par la connaissance de la réalité. Par l’accès à la réalité. Par le fait qu’il n’y ait pas d’opacité sur les actes du gouvernement.
Ils ont fait un très bon travail sur le site de l’UNESCO, en référence à l’art. 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, pour démonter combien cette question du droit de savoir renvoie au moyen de prévenir et de combattre la corruption, qui est un gage de bonne gouvernance. l’UNESCO rappelle combien ce droit de savoir est d’autant plus essentiel à l’heure du Numérique.
Et je préfère parler de Numérique. Ce réseau, ce lieu de connexions, de partage, d’échanges, de communautés est d’abord produit par des objets nomades dont l’ensemble nous donne accès au réseau. Ce Numérique est d’abord la vitrine de quelque chose qui est beaucoup plus ample que le seul univers d’Internet. C’est en soi, une révolution industrielle.
Une révolution industrielle de la même ampleur que les précédentes révolutions. Le Numérique en est son cœur technologique. Internet en est sa vitrine démocratique. Et derrière, on perçoit un ébranlement fondamental qui va de pair aujourd’hui, avec la crise du capitalisme. Elle va aussi de pair avec les décentrements géopolitiques.
Ce dont nous allons parler est aussi au cœur de la question de comment nos sociétés vont réagir par rapport à tout ce qui se passe. Un moment de grands bouleversements comme celui-ci, est un moment, pour reprendre une formule du grand géographe libertaire, Élisée Reclus où il y a une bataille entre progrès et regrés. Et le progrès et le regré vont ensemble. Il dépend, non pas de la technique, parce qu’il n’y a pas de fatalité dans la technique ; Il dépend de ce qu’en feront les citoyens. De la façon dont ils se mobiliseront. De comment ils penseront. De la façon dont ils proposeront. De comment ils agiront. Que cela aille dans un sens qui soit favorable à l’extension dudéveloppement des droits, plutôt que dans un sens qui soit favorable à la régression de ces droits. C’est-à-dire, à la captation des potentialités que nous avons grâce à la révolution technique, à la captation de ces potentialités par une minorité, par des oligarchies.
Quelle est la promesse que revitalise Internet, qui est au cœur de ce que je viens de développer devant vous ? C’est la promesse démocratique. La démocratie est le pouvoir de n’importe qui sans privilège de diplôme, sans privilège de naissance, sans privilège d’origine, sans privilège de fortune. Autrement dit, j’ai le droit de parler, de m’exprimer, de voter, d’être élu, de gouverner, j’ai le droit de m’en-mêler. Mais cela est un scandale pour toutes les oligarchies potentielles. Ceux qui vous disent « J’ai l’argent c’est donc à moi de faire !» ; « J’ai le pouvoir, c’est donc à moi de faire ! » ; « J’ai le savoir, c’est donc à moi de faire ! » Cette tentation oligarchique existera toujours en permanence.
Nous voyons bien que ce moment de trouble, nos sociétés la vivent de façon brutale (je pense à la Chine, je pense à la Russie) de manière plus douce (je pense à l’Italie, je pense à notre propre pays). Il y a cette tentation, dans ce moment de trouble entre le monde de la sphère publique et le monde des intérêts privés, de faire renaître et de reconstituer des oligarchies.
C’est dans ce contexte-ci qu’ils mènent la guerre contre Internet.
Internet est une promesse formidable et l’avènement du média personnel. « Vous ne m’écoutez pas, vous n’entendez pas mon point de vue, mon opinion, mon témoignage ? Avant, je devais passer par l’intermédiaire de professionnels, je devais arriver à ce que des journalistes m’interviewent. Désormais je peux ! Je peux directement ! »
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que ceci arrive. Le bouillonnement du XVIIIème siècle est un bouillonnement où arrivent, en dehors des lettrés, des professionnels et de tous ceux qui ont accès aux imprimeries, ce qu’on appelait Les Nouvelles à la Main. Elles étaient vendues au Palais Royal et circulaient. Il y avait évidemment des choses effroyables, comme dans tout bouillonnement démocratique. Il y avait la Reine Scélérate, toutes les rumeurs sur Marie-Antoinette. Mais il y avait aussi les premiers comptes rendus des Assemblées. Il y avait le partage de l’information. Il y avait l’invention du débat publique sur les Droits de l’homme.
La liberté est toujours frondeuse. La liberté est toujours excessive. Mais il vaut mieux ce désordre, cet excès que le grand cimetière, le grand silence de son recul.
C’est donc l’avènement du Média Personnel. Et c’est aussi, le média participatif. C’est- à-dire le fait que nous-mêmes, les professionnels de l’information, nous sommes descendus de notre estrade. Evidemment que le trouble existe dans nos professions. Mais pour avoir fait ce chemin, qui est presque un chemin d’acculturation, je peux témoigner que loin de nous déstabiliser, ce chemin nous permet de refonder notre compétence professionnelle. De la refonder sur un élément essentiel qui est la relation de confiance avec le citoyen. De retrouver une double légitimité dans ce que le débat d’opinion, le débat de liberté d’expression ne sont pas le privilège des journalistes, ni leur propriété. C’est avant tout le droit des citoyens qui peuvent désormais l’exprimer librement grâce à cet outil qui se trouve devant nous, à condition qu’on ne le bride pas.

En revanche, du coup, les journalistes doivent revenir à l’essentiel de leur travail qui est la question du droit de savoir. Si enquêter est une compétence, faire un reportage, aller sur le terrain et investiguer, un métier, Il émerge néanmoins, une nouvelle économie démocratique, un nouvel écosystème démocratique qui est potentiellement devant nous : c’est la création d’une nouvelle dynamique de confiance entre les professionnels de l’information et le public des citoyens. Dans la mesure où nous, journalistes, avons d’autres légitimités que d’offrir le droit aux citoyens de savoir. Nous ne sommes guère que les intermédiaires, les passeurs d’un droit qui ne nous appartient pas. D’où, notre responsabilité.
J’ai dit qu’ils (les oligarques) mènent une bataille. Sincèrement, je voudrais dire combien je suis inquiet tant je pense que cette bataille n’est pas gagnée. C’est la raison pour laquelle, l’initiative d’aujourd’hui est vraiment importante et qu’il faut commencer à s’organiser. Non pas simplement en résistant, mais en s’organisant, en montrant une dynamique de propositions.
Les ennemis, nous les connaissons. Il y a les ennemis faciles à identifier. Reporter Sans Frontières rappelait sur son site ce matin : 117 Net-citoyens sont emprisonnés. 163 journalistes sont emprisonnés. Deux chiffres donc, presque équivalent. RSF, comme vous le savez maintenant, dans son rapport annuel, comptabilise les pays sous surveillance par rapport à la liberté d’Internet, qui est une liberté fondamentale dans laquelle s’exprime la liberté individuelle de chacun, de la confidentialité de la vie privée de chacun. Ensuite, le pluralisme, la liberté de paroles, la liberté d’expression doivent être totalement libre.
Parmi ces pays sous surveillance, je rappelle qu’il y a des démocraties : L’Australie qui se trouve dans les pays sous surveillance. Dans les pays ennemis d’Internet, dans les chroniques récentes sur le site de RSF, on retrouve le Pakistan et la Chine. On voit bien qu’il est facile d’ici, de les dénoncer, de montrer les répressions.
J’ai toujours pensé que la France s’enorgueillissait souvent de donner des leçons du fait qu’elle était à l’origine de la déclaration des Droits de l’Homme. Je crois qu’on peut d’autant mieux critiquer, dénoncer, être solidaire des internautes chinois, de ce qui se passe au Pakistan, de l’Iran, (qui ont montré combien Internet pouvait être un relais démocratique) que si nous sommes vigilant chez nous. On ne peut pas défendre une liberté là-bas, sans se préoccuper du crédit de cette liberté ici.
Si cette liberté est ici, malmenée, si on s’en accommode, si on s’en arrange, notre solidarité avec ces pays devient peu crédible.
Je rappelle le quatuor de nos ennemis d’Internet, de leurs porte-paroles :
- Madame Morano appelle de ses vœux une Police Internationale d’Internet. C’est l’urgence !
- Monsieur Lefebvre dit qu’Internet est un univers de psychopathes, de violeurs, de racistes, et de voleurs. Il demande que dans ce moment de crise économique mondiale où préoccupation première est la régulation (des gens qui plaidaient pour toutes sortes de dérégulations économiques et financières il y a peu) d’Internet... « ce mode de communication moderne envahit par toutes les mafias du monde » !

- Je rappelle, hélas, un directeur de journal venu de cet univers économique qui lors d’une assemblée du MEDEF, l’été dernier en présence du Conseiller officieux du Président, monsieur Alain Minc nous a expliqué qu’Internet était le tout-à-l’égout de la démocratie : j’ai nommé, Denis Olivenne
- Je rappelle surtout Jacques Myard car vous voyez bien que lorsque j’ai fait la comparaison Russie-Chine, France-Italie, tout ceci n’est pas abstrait mais circule. Nous ne sommes pas assez vigilants et nous ne devons pas laisser banaliser ces choses-là. Monsieur Jacques Myard est un Député UMP qui déclare que « le réseau Internet est totalement pourri, parce que peut-être nous avons tous dans notre réseau Internet, des chevaux de Troie qui vont se réveiller »
Le Ben Laden d’Internet est là. Il dit que c’est un réel problème, « J’espère que l’on va prendre conscience de la nécessité de Nationaliser ce réseau, et d’avoir la capacité de de mieux le maitriser, les chinois l’on fait ! » dit-il un suspens.
Je rappelle juste que monsieur Jacques Myard n’a pas déclaré ceci dans n’importe quel endroit. Et cela rejoint toute sorte d’évolution de nos sociétés que je résume souvent par une formule beaucoup employée aux Etats-Unis dans le débat sous la présidence Bush, où le Net a été un lieu de résistance important, qui est la politique de la peur: ayez peur, je m’occupe du reste. Je monte ces peurs sur fond d’ignorance, de méconnaissance, sans plus d’échanges, tout le monde est barricadé. en choisissant de faire cette déclaration à Radio-courtoisie, une radio d’extrême-droite, profondément liée au Front National. Tout ceci n’étant pas un hasard.
Mais hélas, il y a parfois d’autres choses qui se passent et je voudrais vous alerter sur quelque chose de plus récent. La démocratie est un écosystème, un climat. Ce n’est pas une seule décision, mais une culture. Culture de ceux qui acceptent ce principe de liberté fondamental. Ceux qui acceptent ce conflit, ce désordre de la liberté d’information, cette nécessité. Il y a un peu plus d’une semaine, à l’Assemblée Nationale, dans un débat qui n’a, en apparence, rien à voir avec ce pourquoi nous sommes ici à débattre. C’est le débat sur le voile intégral.
Une résolution solennelle a été proposée et c’est la première de cet ordre (il y en avait eu une auparavant sur le Tchad). Nous traversons une crise du capitalisme, l’Europe peut demain s’effondrer, nous avons quelques urgences, l’emploi, le chômage, bref... La seule résolution solennelle de notre Parlement, de notre Assemblée Nationale fut, comme vous le savez (sur une question qui peut nous partager, c’est un débat ouvert et le Net en est aussi le lieu) la question du voile intégral.
Hors cette résolution qui, en apparence soulève le problème du voile intégral est une résolution sur nos valeurs républicaines. Et je voudrais vous alerter sur le fait que le point 2 de cette résolution, voté par les deux familles principales de l’échiquier politique français : l’actuelle majorité et le pilier d’une éventuelle autre majorité, le Parti Socialiste.

A cette phrase-ci «affirme que l’exercice de la liberté d’expression, d’opinion ou de croyance » j’ai rappelé que le principe d’une liberté fondamentale est un droit naturel comme on le disait au XVIIIème Siècle. C’est un droit de l’Homme par nature. Et c’est ce que nous rappelons en face des dictatures.
« l’exercice de la liberté d’expression, d’opinion ou de croyance ne saurait (pour retrouver le SAUF dont je vous ait parlé en avant) ... être revendiqué par quiconque afin de s’affranchir des règles communes au mépris des valeurs, des droits et des devoirs qui fondent la Société ». Je suis désolé mais une authentique Démocratie n’est pas un pays où il y aurait des valeurs à partager !
Nous pouvons avoir des valeurs différentes.
Nous avons des droits, nous avons des Lois, nous avons des textes, nous avons des conflits de droits, des conflits de liberté. Mais les valeurs ? Si je commence sur ce chemin-là, c’est un chemin où en clair, de la norme collective, je passerai à l’imposition par une majorité, d’une norme d’opinion.
Hors la liberté d’information est aussi ce conflit des opinions, ce conflit des valeurs. Et donc nous avons un texte qui au passage de tout à fait autre chose, concernant, je le rappelle, la liberté d’expression, d’opinion ou de croyance, nous dit que nous ne pouvons pas la revendiquer, si c’est pour s’affranchir des valeurs qui fondent la Société !
Un journaliste en Ouzbékistan vient de se faire condamner à quelques années de prison. C’est un militant de la cause homosexuelle, mais aussi des ravages du SIDA dans son pays. Il vient d’être condamné. François Julliard l’a expliqué et RSF s’est mobilisé comme Internet Sans Frontières, au nom du non-respect des valeurs propres à ce pays. Voilà donc ce qui est en jeu.
Je voudrais pour terminer qu’on se demande au fond, comment riposter ? Riposter est ne jamais manquer de vigilance sur tous ces dérapages. Les décrypter. Ne pas dire simplement que c’est mal. Expliquer. Retrouver la grande tradition de défense des libertés. Il faut sauver, dans cette modernité qui est en cours. Cette tradition-là.
Car c’est cette modernité qui nous permettra de la faire renaître.
Premièrement, cette conviction qui m’anime, est qu’Internet (et ici, nous le savons tous) n’a rien à voir avec la caricature qui en est faite. Mais que bien à l’inverse, si nous nous en donnons la peine, Internet est le lieu de ressourcement de ces libertés fondamentales. C’est le lieu de l’indépendance, c’est le lieu de la qualité du journalisme durable, du journalisme de lien, du journalisme d’archives, du journalisme sourcé, ju journalisme renseigné, du journalisme documenté. Cela peut l’être potentiellement. Je ne dis pas que ce n’est que ce lieu-là. Mais fondamentalement, c’est un lieu qui permet profondément de réinventer un journalisme de qualité.
C’est le lieu de l’indépendance. C’est le lieu de la qualité mais c’est aussi le lieu du participatif et des communautés. C’est le lieu du journalisme de l’information ; du débat critique ; du débat rectifié ; du débat échangé. Du débat où il n’y a pas d’estrade. C’est le lieu du partage démocratique, du partage dusavoir. De l’université populaire, de la transmission hors des privilèges de naissance, d’origine et de fortune.
Je viens bien-sûr de faire un résumé de ce qui pourrait sembler comme l’idéalisation d’Internet. Je l’ai dit et je pourrais rappeler l’auteur qui nous l’a profondément expliqué, qui a été un grand penseur de la démocratie : Jacques Ellul qui a en permanence, depuis les années soixante, pensé la technique, ni d’un point de vue technophile ou technophobe, mais en nous rappelant que la technique était d’abord ce que nous en ferions.
Il n’y a pas de fatalité négative, régressive, ni de fatalité positive, émancipatrice en soi. C’est à nous de nous en emparer. C’est ici que nous faisons face à cet immense enjeu que nous devons défendre : que sont les droits et les devoirs du citoyen sur Internet. Nous devons défendre nous-mêmes les droits et les devoirs du journalisme sur Internet. Nous devons être force de propositions dans ce nouvel écosystème démocratique.
La révolution que nous vivons, est une révolution similaire à celle qui a transformé nos sociétés à la fin du XIXème siècle. Une révolution industrielle où l’électricité a joué le rôle du numérique. Avec l’invention de la rotative, ce fut le début de l’ère médiatique, du journal de masse, du journal pas cher, de l’info en tout genre. Avec le pire et le meilleur. Il y eut les campagnes racistes, antisémites. Il y eut la dénonciation. Mais Il y eut du coup, le dynamisme qui permit d’élaborer ce qu’est un public, un dialogue démocratique, une conversation démocratique, ce qu’est un journalisme de qualité, renseigné, sourcé. Il y eut tout ce cela qui arriva en même temps.
Il y eut aussi les décentrements géographiques, le début du siècle américain, l’Amérique qui est sorti de son espace, les guerres coloniales qui se développèrent avec les Empires coloniaux. Il y eut un monde en bouillonnement où se trouvait au cœur, une invention artistique et en même temps, potentiellement des catastrophes. Nous sommes payés pour le savoir: deux guerres mondiales sur notre Continent. Combien de ce bouillonnement nous revînt finalement comme un effet boomerang, une catastrophe, une barbarie au cœur de la culture ?
Sans faire peur à tout le monde, je voudrais dire que l’histoire n’est jamais écrite à un moment semblable. Que dans ce moment semblable, nous devons tout faire pour que la barbarie n’arrive pas. Mais aussi tout faire pour se saisir de ce moment unique et refonder nos droits.
Parce que notre pays est très en retard sur la question de la liberté de l’information et du droit de savoir, nous devons en faire si possible, un laboratoire d’inventions. C’est la bataille qui se profile devant nous pour 2012.
La Loi de 1881 sur la liberté de la Presse a été une Loi fondatrice qui survînt un siècle après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Nous étions en retard par rapport à de nombreux pays sur cette question. Mais lorsque cette Loi fut votée, ce fut la Loi politiquement la plus libérale, la plus dynamique de l’époque. Jusqu’à la première guerre mondiale, elle contribua à ressourcer la démocratie : je rappelle l’enjeu de l’Affaire Dreyfus comme le symbole d’une Société qui se mobilisa finalement pour la liberté d’un seul. Qui considéra que si un seul crime était commis contre un seul individu, alors tous les droits étaient remettre en cause. Ce qui nous renvoie au cœur de la défense des libertés : défendre un droit collectif pour la liberté d’un seul.

Je fais cette référence parce qu’au fond, il se profile devant nous, la nécessité d’une équivalence. Il nous faut une Loi fondamentale sur la liberté de l’information. Qui reprenne toutes les questions dont vous allez débattre aujourd’hui. Il nous faut, un acte fondateur sur la liberté d’information équivalent au Freedom of information Act (F.O.I.A.) qui existe depuis 1967 aux Etats-Unis. Qui existe comme équivalent depuis 2005 en Grande-Bretagne mais qui n’existe pas chez nous.
Nous sommes privés de notre mémoire, nous sommes privés de la connaissance de notre savoir (il n’y a qu’à voir l’usage totalement abusif, discriminatoire, scandaleux du Secret Défense dans notre pays).
Lorsque je parle d’une Loi fondatrice, vous voyez bien que la question de l’écosystème démocratique, de l’indépendance, du refus des conflits d’intérêts, de cette question des droits et des devoirs, doivent être pensé. Je pense que c’est le chantier le plus important auquel nous devons faire face.
Qu’est qui fait que des journalistes se retrouvent finalement à avoir plaidé pour une nouvelle alliance avec les citoyens, dans ce moment-ci, avec parfois, le risque d’une incompréhension ? On est en droit de se demander au fond qui sont ces journalistes qui s’arrogeaient jusqu’à présent un privilège provenant de la vieille presse et qui rappliquent ensuite sur Internet ? Tout ceci a donné lieu à des débats tout à fait légitimes.
Je voudrais vraiment terminer par ceci. Il y a derrière, la conviction qui renvoie à ce que disait la Cours Européenne des Droits de l’Homme, dans des arrêts célèbres, en faveur de journalistes qui avaient dérangés. Il avait été dit que le journalisme était le chien de garde de la démocratie.
Un chien de garde n’est pas forcément sympathique : ça peut avoir de la bave à la gueule, ça peut montrer ses crocs, ça peut aboyer à pas d’heure. Mais il vaut mieux ce désordre qu’un grand silence.
C’est cet enjeu-là que nous devons relever. Comment, tous ensemble, journalistes (qui dans leur domaine produisent des vérités factuelles d’informations) et citoyens (dans un rôle à la fois de contributions, de débats, d’alertes, de témoignages mais également de production d’informations), nous sommes désormais des co-auteurs.
L’enjeu est notre instrument, il est notre levier pour créer de nouveaux droits. Cet enjeu est l’extension, l’exigence radicale de la démocratie du Net.
Merci."
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Retranscription et crédit photographique : Jean-Pierre Bozzonne, pour Internet Sans Frontières.
Sources : Wikipédia.


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