Lettre ouverte à la Ministre de l’Éducation

Il faut plus que des bulletins chiffrés

Tribune libre - 2007


La Ministre de l’Éducation vient d’apporter un correctif à la réforme
scolaire. Dès septembre, à la rentrée, toutes les écoles québécoises
devront avoir un bulletin uniforme et chiffré. La modification apportée par
la Ministre de l’Éducation peut plaire à la très grande majorité des
parents mais laisse sans doute les enseignants sur leur appétit. Le retour
aux bulletins chiffrés est une excellente chose, mais il ne peut pas se
faire sans un retour à l’acquisition des connaissances pour tous. Chiffrer
une compétence n’a aucun sens.
L’école québécoise traverse une crise très profonde. Une très grande
majorité de jeunes sont dégoûtés de leur maison d’enseignement. Ils ont
l’impression que les cours qu’ils doivent subir sont une immense machine à
faire le vide. Au milieu de la confusion des idées, la multiplication des
réformes, l’encombrement d’expressions souvent incompréhensibles, le jeune
se trouve en porte-à-faux, l’enseignant déboussolé, la direction incapable.
L’école a comme mission de former l’être humain dans toutes ses dimensions
: elle forme présentement des désoeuvrés, des mécontents, parfois des
révoltés. Plus de 40 % des étudiants ne finissent pas leur cours
secondaire. Ils en ont marre d’être hachés par un système qui les
déstructure, les déconstruit, leur donne le goût d’arrêter. C’est une
véritable catastrophe nationale. L’instauration d’une nouvelle réforme
devait arrêter l’hémorragie en cours : elle n’a fait que l’accentuer. On ne
peut pas en rester là et réparer périodiquement les brèches qui
apparaissent dans les murs de l’édifice scolaire. De toute évidence, les
fondations sont défectueuses. En d’autres termes, il faut repenser toute
notre philosophie de l’éducation.
Il m’arrive souvent de retourner sur les lieux de mon ancien collège pour
discuter avec cette jeunesse que j’ai quittée il y a une dizaine d’années.
Il m’arrive, occasionnellement et sur demande, de rencontrer et
d’entretenir bénévolement les jeunes fréquentant les écoles secondaires de
ma région et d’ailleurs. Ces polyvalentes anonymes et inhumaines me font
penser souvent à un aquarium où s’entrecroisent une multitude de poissons.
Quotidiennement, ils reçoivent une nourriture toute fraîche. Mais l’eau de
l’aquarium est souillée et malsaine. Comme elle pénètre dans le corps des
poissons, ceux-ci, malgré la bonne nourriture qu’on leur donne
régulièrement, se trouvent peu à peu empoisonnés et meurent. Quelque chose
de semblable se passe dans les milieux scolaires. Bien qu’on y rencontre
des maîtres dévoués, des étudiants assoiffés de connaître, il y a dans
l’atmosphère des substances qui se révèlent toxiques pour la santé et le
jugement des élèves. La réforme devait assainir l’atmosphère. Le contraire
s’est produit. La réforme confirme quotidiennement le délabrement
intellectuel de nos jeunes; elle permet même de constater que l’ignorance
faire quotidiennement des progrès. Elle permet de voir que, malgré les
millions ajoutés dans un système éducatif atomisé, les diplômés non
instruits courent en pleine liberté.
La pédagogie par projets, - c’est ça la réforme - importée d’Europe et
rejetée dernièrement par les cantons helvétiques d’où elle est issue, est
apparue, il y a une dizaine d’années, comme la bouée de sauvetage du
Ministère de l’Éducation. La réforme scolaire, inspirée du pragmatisme
américain et anglais, est non seulement une erreur pédagogique monumentale,
mais elle mène nos jeunes à rejeter toute notion de vérité, à relativiser
toute connaissance, à n'admettre pour vrai ce que chacun expérimente.
Connaître, c’est agir. Cette notion purement empiriste de la connaissance
conduit l’élève à évacuer du champ de ses préoccupations intellectuelles,
tout questionnement qui se rattache à des notions métaphysiques, celles
particulièrement qui touchent le sens de l’existence. Voilà où se trouve
«la» catastrophe. A quoi ça sert de trouver SA vérité dans l’action, si
l’action de chacun n’a aucun sens pour la bonne conduite de la vie et,
ultimement, à quoi ça sert d’étudier, si ce n’est que pour remplir
mécaniquement des gestes qui déshumanisent et qui finissent par envoyer
tout le monde six pieds sous terre, sans explication satisfaisante?
Pour élever un être humain à sa stature définitive, il faut savoir ce
qu’on veut faire et ce qu’on doit faire. Il faut se mettre d’accord sur la
fonction même de l’éducateur. Il existe une hiérarchie naturelle entre
celui qui sait et celui qui ne sait pas. Pour l’avoir oubliée, l’école est
devenue un lieu de babillage, un fourre-tout d’expérimentations, une
maternelle permanente où l’esprit ludique l’emporte sur l’acquisition de
connaissances bien vérifiées. L’enseignant, en abdiquant ainsi sa
supériorité pédagogique, en voulant se mettre sur le même plan que les
étudiants, verse alors aisément dans la facilité et abandonne son rôle de
maître. Il se dévalorise en ne remplissant plus sa mission qui est celle de
transmettre ce qu’il sait à celui qui ne sait pas encore.
Enseigner, c’est transmettre. Enseigner, c’est communier, c’est
communiquer une ferveur, créer une atmosphère, susciter de l’intérêt.
Enseigner, c’est avoir foi en un savoir bien maîtrisé, parfois au prix de
multiples efforts, et prendre les meilleurs moyens pour le communiquer. Un
élève qui ne sent pas ce courant passer, se décourage, abdique. Pour
redonner goût aux élèves avachis sur leur bureau, il faut redonner au
maître ce pouvoir et ce droit de transmettre à celui qui ne sait pas, lui
donner des livres et des documents de base qui lui permette d’uniformiser
les contenus. De plus, par voie de conséquence, on doit l’autoriser à
vérifier régulièrement si les connaissances ont été acquises. En d’autres
mots, il est dans la mission de l’enseignant de livrer un savoir objectif,
de s’assurer si l’élève (quel beau mot!) a assimilé la matière expliquée
et, par la force des choses, donner des examens notés.
La réforme a tué tout ce que je viens d’énumérer : le professeur ne
possède plus de contenu précis à livrer; il ne sait plus si la classe a
atteint un certain niveau de connaissances communes et il lui est
impossible de vérifier si ce que les élèves savent est bien ce qu’il pense
qu’ils devraient savoir.
La réforme scolaire initiée par l’ancien gouvernement du Parti québécois
doit être abandonnée. Il faut retourner à des choses oubliées : apprendre à
lire, apprendre à écrire, apprendre à compter. Il faut remettre des livres
de base dans les mains des éducateurs, les glisser aussi dans les mains des
étudiants. Il faut revenir à la recherche objective du vrai, à l’exigence
des règles, à la promotion de toutes les dimensions qui construisent l’être
humain. Ce sera difficile. Le passage du capharnaüm dans lequel croupissent
tant de jeunes et talentueux jeunes maîtres à un milieu éducatif plus
stimulant, ne se fera pas sans grincements de dents. Mais c’est le prix à
payer pour sauver cette génération abandonnée moralement, détruite
intellectuellement.
Nestor Turcotte

Matane
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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