Haïti ou l'espérance humaine

Chronique de José Fontaine

Il me semblait que la Francophonie demeurait muette face à la catastrophe survenue en Haïti. Pourtant, je viens de lire que le ministre wallon Furlan, chargé de la tutelle sur les communes va proposer un modèle de délibéré aux communes de Wallonie leur permettant de décider rapidement des sommes à débloquer pour les victimes du séisme. La France est intervenue assez solennellement par la voix du Président Sarkozy qui, il est vrai, n’a pas fait que parler du Canada, du Brésil et des USA dans son intervention (mais rien sur la Francophonie, ce que je regrette et pas par souci nationaliste, je vais le dire). Je vois aussi que le Québec et son importante communauté haïtienne se mobilise. La Suisse romande n’est pas en reste. L’Union européenne a débloqué une somme de 3 millions d’€ c’est-à-dire plus de 4 milliards de dollars US et la Wallonie 1,2 millions soit près de deux millions de dollars US. Le Québec va fournir une aide technique. La Flandre aussi chez nous et la Région bruxelloise.
Un petit garçon de Givet
La Libre Belgique considère qu’il y aurait une « course à la photo » dans l’aide que l’on veut apporter à Haïti et que l’on ferait mieux de tout laisser s’organiser par l’Etat fédéral. C’est irrationnel de s’exprimer ainsi ou irréaliste. Le Monde est organisé en Etats-Nations parfois regroupés comme l’Europe (mais l’Europe n’est pas tout), et chacun de ces Etats est lui-même subdivisé en provinces, régions ou départements ou est un Etat qui unit plusieurs Etats (les Etats fédéraux). Si l’on compare les Etats à ce que sont les individus face à un drame de moindre ampleur, il n’y a pas à se scandaliser. Tout le monde doit admettre qu’il faut que l’aide face à des catastrophes immenses comme celle-ci s’organise, mais personne ne devrait (à mon sens), s’indigner que chacun songe à faire son devoir avec sans doute des arrière-pensées vaniteuses et autres, comme lorsqu’il s’agit des indivdus aussi. J’ai en tête un exemple. René Girard dit (à juste titre), qu’il y a à l’origine de l’humanité un meurtre fondateur perpétré collectivement et il tire de tout cela sa théorie du bouc émissaire. Mais on peut opposer à cela un autre mouvement de fond. A Dinant ou j'ai vécu toute mon enfance, je n’étais pas loin de la ville française de Givet. Un dimanche, tout le monde chez moi était parti à une fête qui y était organisée, sauf moi. La foule était serrée autour de la Meuse qui était en crue moyenne ce jour-là. Un petit garçon de 7 ou 8 ans est tombé dans le fleuve. Son père a tenté désespérement de le rattraper:le courant était trop violent.... Ma famille est revenue de Givet traumatisée par ce drame comme la foule dont elle était, pétrifiée devant l’horreur de la mort d’un petit contre laquelle elle était impuissante. Sortir de l'impuissance, c'est se manifester, dire que l'on est là et faire ce que l'on peut.
Il faut un Etat mondial
Il faut qu’il y ait un Etat mondial, mais qui ne peut pas être un Etat unitaire (évidemment !), ni même un Etat fédéral. J’avais un jour interrogé Jean-Marc Ferry sur la vision qu’avait Habermas de l’Etat mondial. Le philosophe allemand estime qu’il y a des obstacles à l’érection immédiate d’un Etat mondial, notamment le fait que tous les Etats ne sont pas démocratiques, mais aussi cette objection plus subtile : « Il n’y aurait pas de fermeture possible au niveau mondial. C’est-à-dire une communauté politique constituée au niveau mondial. Pourquoi? Parce que s’il y avait une communauté politique au niveau mondial, on ne pourrait plus dire qui c’est «nous» et qui c’est les «autres». Il semble que cet argument ait de la valeur aux yeux de Habermas. Si un pouvoir ne peut pas déterminer quels sont ses ressortissants et quels sont ceux qui ne le sont pas, il n’y a pas de pouvoir politique, il n’y a pas d’État. Pour qu’il y ait «nous» il faut qu’il y ait «les autres». Cela peut nous laisser un champ libre pour de vastes spéculations... » (1) L’autre idée qu’engage cette idée d'un «nous», c'est celle de « communauté morale » c’est-à-dire que nous ne pouvons pas agir (ensemble : collectivement ou politiquement), si nous ne nous reconnaissons pas comme un « nous », un « nous » constitutionnel comme on dit (si bien), au Québec.
Je ne pense pas qu’il soit indécent de discuter comme cela en marge de la catastrophe d’Haïti. S’il y a bien quelque chose qui semble avoir failli en Haïti, c’est bien justement l’existence d’un « nous » étatique. Et je crois pouvoir dire que ce « nous » peut exister dans un pays plus pauvre. Mais même, qui sommes-nous pour juger ? A l’exemple de VIGILE j’ai mis sur le site de TOUDI la chanson de Luck Mervil sur le « petit pays ». Ce peuple vit. Cette idée de « communauté morale » nécessaire pour que nous puissions agir ensemble collectivement, voilà bien une idée devenue relativement faible aujourd’hui. Ce n’est pas facile de définir ce qu’est une communauté morale, mais disons que c’est le fait de pouvoir se reconnaître comme formant une communauté de valeurs et d’identités partagées. C’est clair que les nations sont des communautés morales, pas dans le sens de « moral » qui s’oppose à « immoral », mais dans le sens que nous sommes liés les uns aux autres.
Et la Francophonie? Elle nous oblige!
Quand je me suis lancé dans cet article, j’avais envie de mettre en cause la France de ne pas avoir assez brandi le drapeau de la Francophonie. On m’accusera sans doute d’être nationaliste parce que je dis cela. Mais non ! Je constate simplement que parce que nous parlons le français, nous avons des relations de fait avec de multiples êtres humains dans le monde qui parlent notre langue. Dans toutes mes classes ou à peu près, il y a des Africains de l’Afrique francophone, des Caraïbes, du Maghreb et aussi (via le Luxembourg), du Brésil, d'autres îles (mais peu d'Haïti). Mon premier mouvement quand j’ai appris la catastrophe en Haïti a été d’écrire à Gérard Bissainthe, un Haïtien de France, mais nous nous sommes perdus de vue. Quand a eu lieu le génocide au Rwanda, un Rwandais s’est inscrit à l’école où mon fils étudiait et ils sont devenus de très grands amis. L’ami de mon fils, Jean, est domicilié (juridiquement) à notre domicile (mais vit en Afrique), ce qui se peut légalement et qui l’arrange pour des tas de raisons (et sa femme), dont le fait d’avoir la nationalité belge. Il me semble que ces relations de fait nous obligent à porter un autre regard que, mettons, les Allemands ou les Russes, sur Port-au-Prince. Et je me réjouis par conséquent que la Wallonie ait engagé des moyens dans l’aide à Haïti, distinctement de l’Etat belge. Exactement comme si, dans le cas d’un accident survenu chez les riverains de la rue où j’habite, je ne concevrais pas de demeurer indifférent comme les personnes d’une autre rue. Les gens qui s’opposent à nous, à notre existence collective, que ce soit au Québec ou en Wallonie, je les trouve parfois quand même très exclusifs, très nationalistes au pire sens du mot. Ce que nous montre le désastre de Port-au-Prince, c’est que nous devons nous tenir la main par la main dans les pays du monde et entre tous les pays du monde. Et malgré tout, on essaye : c’est pour cela que je me risque à parler de l’espérance humaine.
(1) Interview de Jean-Marc Ferry sur l'Etat mondial

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    16 janvier 2010

    Benoît XVI a de fait appel à la générosité en faveur d'Haïti et a annoncé l'aide de l'Eglise. En attendant ce Pape a nommé comme archevêque de Malines-Bruxelles, André Léonard (qui devient par là le président de la Conférence épiscopale belge, mais lisez plus loin...), actuel évêque de Namur, un homme dont l'onctuosité ecclésiastique est une pellicule qui cache à peine son ambition de «requin» (c'est le mot qu'avait utilisé un de mes amis prêtres lorsqu'il était devenu évêque de Namur dressant, dès ce moment, tout son clergé contre lui, fermant des écoles de théologie, cassant des progressistes etc.). Mais comme un archevêque n'a rien à dire hors de son diocèse, une grande partie de la Wallonie en est paradoxalement débarrassée, une partie de la Flandre, Bruxelles et le Brabant wallon devant reprendre cette lourde croix (et nous les aiderons à la porter).
    Merci à Marie-Mance Vallée. Au fond, ce qu'elle dit nous enseigne qu'il y a une Francophonie du coeur, plus forte peut-être que la Francophonie étatique. Si Haïti n'était pas francophone, je n'aurais pas le sentiment qui me bouleverse, à savoir que cette catastrophe, c'est chez nous. Nous n'avons pas été assez critiques vis-à-vis des Duvalier, par exemple, pas assez solidaires de ses victimes. Haïti (on l'a dit), c'est l'Afrique et d'une manière générale, nous ne faisons pas, comme francophones, ce qu'il faudrait pour l'Afrique et les Africains francophones. Il faudrait que la Francophone devienne une République universelle. Je me plais bien ici à VIGILE, parce que je sens que nous sommes sur la même longueur d'onde. Quand, il y a quelques années, je remontais de la rue Dorchester (chez Robert Bertrand à Québec), vers le vieux-Québec, je rencontrais en chemin des jeunes femmes et hommes touristes de la Martinique et de la Guadeloupe. L'Afrique peut faire un bien immense au monde. Elle doit nous devenir plus chère que jamais. Et la France (comme la Belgique, donc la Wallonie, indirectement), ont des choses à réparer.

  • Fernand Lachaine Répondre

    16 janvier 2010

    Devant cette catastrophe où la planète essaie d'apporter un peu d'aide à ce peuple qui essaie de survivre, avons-nous entendu une déclaration du pape promettant de l'aide financière de son église milliardaire ou un mot d'encouragement ?
    Je n'ai rien encore entendu.
    Vous ?

  • Archives de Vigile Répondre

    16 janvier 2010

    Cher José,
    Je suis hargneuse ce matin parce que je vois se dérouler le futur mondial.
    Obama au nom de « l'Amérique » bat la mesure. Ses complices continueront d'exploiter Haïti, afin de contrer la menace sud-américaine (Bolivie, Brésil, Vénézuéla et bien sûr Cuba qui est presque exangue). Les Américains - qui contrôlent maintenant l'aéroport de Port-au-Prince - ont toujours été à Haïti et ils se sont bien gardés d'aider les Haïtiens à se sortir non pas de la pauvreté, mais de la misère. Ils ont encouragés les trafics de tous ordres. Les milliards que nous avons envoyés ont été engloutis dans ce pays corrompu.
    Au sujet de la francophonie : Si vous voulez mon avis, la francophonie avec le président de la France actuelle - qui a vendu son âme aux USA depuis longtemps -, ne peut plus être le navire amiral. Cependant, je dois dire que les reportages les plus professionnels, je les ai vus aux infos belges, suisses et aussi françaises. La francophonie est présente à Haïti, mais sous la tutelle américaine, cela va de soi... Et bien sûr les télévisions québécoises et canadiennes leur sont inféodées.
    Je n'ose prédire ce qu'il adviendra d'Haïti lorsque les amerloches, profitant des circonstances, s'y seront installés pour longtemps...
    Mais nous n'en sommes pas là pour le moment. Ce matin, c'est encore le chaos et nos médias font du spectacle, de même que nos chacals libéraux qui n'ont aucune éthique, ne pensant qu'à reprendre le pouvoir aux prochaines élections.
    Quelle misère!