Godbout et les jeunes

Québec français


L'écrivain Jacques Godbout étale ses états d'âme dans le dernier numéro de L'actualité. Ses conclusions, à peine évoquées sans être démontrées, dans l'entrevue qu'il accorde à Michel Vastel (un texte beaucoup trop court pour étayer une prédiction aussi déprimante), laissent pantois.
La culture québécoise disparaît peu à peu, et il n'en restera rien, selon lui, dans quelques décennies. Le Québec décline depuis 1976, dit-il, l'année de l'élection du Parti québécois et qui correspond, selon lui, au sommet de la courbe de l'essor du Québec. On sent un brin de nostalgie : pour les collèges classiques et ses humanités, pour la cohésion canadienne-française d'antan, pour le baby-boom, pour la Révolution tranquille.
Dans son temps, c'était bien. On fondait des mouvements, des associations, on donnait son impulsion à une littérature et à une cinématographie nationales. Et puis, sa génération avait l'avantage que la société était jeune : «Quand j'avais 20 ans, la majorité des Québécois n'avaient pas 20 ans. Nous pouvions dire : "vous êtes une bande de vieux cons et on va vous remplacer ".»
Ah ! la belle époque !
Aujourd'hui, ça va mal mes amis, ça va plus que mal.
Le Québec ne fait plus d'enfants. La langue française est menacée par l'immigration. Ces nouveaux immigrants débarquent avec leur religion, ce qui remet en cause la laïcité pour laquelle Godbout s'est battu dans les années 1960. Et ceux-ci arrivent avec leur télévision, qu'ils captent avec une soucoupe et qui les isole de la majorité francophone. De manière générale, la société québécoise serait mal informée et facile à manipuler.
Quant à nos dirigeants politiques «qui sont de la génération des cégeps» (il semble que le fait d'avoir fréquenté un cégep soit un marqueur d'insignifiance), ils manquent de perspective. Godbout, tout simplement, «ne comprend pas comment ils pensent».
D'après lui, «c'est très difficile d'avoir 25 ans aujourd'hui et de rêver de transformer une société comme celle-là» qui est devenue conservatrice et dans laquelle les jeunes n'ont plus la majorité. «Je ne sais pas par quels moyens les jeunes vont pouvoir agir», écrit-il.
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Il suffit pourtant de tourner la page pour saisir le caractère erroné du diagnostic. On y trouve des entrevues avec dix jeunes qui savent comment agir. Qui, loin de se lamenter sur l'avenir du Québec, voient en lui un leader en économie d'énergie, le berceau de l'école nouvelle, une société créative, champion de la qualité de vie et de l'humanisation des soins, égalitaire et souverain, polyglotte et connecté sur le monde.
Ces jeunes ne manifestent pas d'inquiétude. Ils ont des rêves. Pragmatiques, il sont influencés autant par l'Amérique que par l'Europe mais aussi par les expériences qu'ils ont vécues dans des pays du Sud.
Au moment d'écrire ces lignes, je reviens moi-même d'une rencontre avec près de 500 jeunes qui ont produit, au cours des derniers jours, leurs manifestes pour le Québec de demain. Ma fréquentation de ces jeunes depuis trois ans, a complètement transformé ma manière de voir le Québec. Ils sont instruits, informés, lucides. Et confiants.
Leur grille d'analyse est toutefois, il est vrai, totalement différente de celle de Godbout. Lui voit dans l'immigration une menace à notre culture. Les jeunes, qui vivent avec les immigrants depuis l'école primaire, savent qu'il n'en est rien. Au contraire, ils la voient comme un avantage, une ouverture, une chance.
Le Québec ne fait plus d'enfants ? Nous ne sommes pas les seuls sur la planète. Les jeunes en veulent, modérément, au bon moment, dans de bonnes conditions. Et ils vivent en leur temps. Faut-il des familles nombreuses pour qu'une culture survive ? L'équation n'est pas évidente.
Godbout voit comme une difficulté le fait que la société québécoise ait perdu sa cohérence d'antan. Les jeunes croient plutôt que la société est en train de se donner une nouvelle cohérence, d'intégrer en son sein les influences. Elle se transforme. Elle ne disparaît pas.
Godbout dit qu'en 1976, l'année du nirvana de la culture québécoise, paraît-il, «il y avait une cohésion extraordinaire et un rêve partagé dans la société». Je ne sais pas à quel rêve Godbout fait allusion. S'il s'agit de celui de faire du Québec un pays, il est partagé aujourd'hui par une proportion plus élevée de Québécois qu'il y a 30 ans.
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Lorsqu'il était jeune, Godbout rêvait d'une «société laïque où les gens seraient reconnus pour leur métier, leur travail, leur réussite».
Le rêve de Godbout s'est réalisé. C'est exactement ce que nous avons aujourd'hui. Il y a des acquis. Les jeunes ne les remettent pas foncièrement en question ces acquis. Au contraire. Lorsqu'on analyse leurs positions, on voit bien que, majoritairement, ils veulent préserver un système social, l'éducation pour tous, la concertation, leurs régions. Mais ils ont d'autres aspirations. Être reconnus pour leur travail ? Sans doute. À condition que le travail n'empêche pas l'amour, la famille, la réalisation de soi, les excursions en forêt, les voyages et l'équilibre mental.
Le rêve de Godbout est insuffisant pour eux. Ils veulent plus ou autre chose. Et sont, à l'égard des chances de réalisation de leurs rêves, d'une lucidité implacable : ils savent qu'ils ne doivent attendre personne et surtout pas l'État. Ils comptent sur eux-mêmes. Ils sont également conscients de former une minorité dans la société. C'est peut-être pourquoi, contrairement à Godbout, plutôt que de rompre avec les générations qui les ont précédés (et traiter leurs aînés de vieux cons), ils souhaitent un dialogue et des alliances entre les générations.
La fin du Québec ? Franchement.
michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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