Notre langue d'affichage m'intrigue, tout comme notre langue de consignes, d'instructions, de procédures, de mises en garde, tout ce qu'on trouve au dos des contenants, dans les dépliants et les brochures qui accompagnent les objets qu'on achète.
Quelques exemples :
Ne pas jeter de papier dans la toilette. Ne pas gêner le fonctionnement des portes. Attendre ici qu'une place se libère. Suivre les instructions au verso. Prendre un numéro. Ne pas envoyer d'argent par la poste. Bien agiter avant l'application. Tenir éloigné de la flamme.
J'ignore quelle est cette langue. Elle évoque un dialogue du film Le roi de la jungle : «Moi Tarzan, toi Jane. Toi attendre ici, suivre instructions au verso et tenir éloigné de la flamme.» À ma connaissance, cette langue n'existe nulle part ailleurs.
Pour exprimer une consigne, un ordre ou une interdiction, notre langue a pourtant un mode, l'impératif. Ne jetez pas, ne gênez pas, attendez ici, suivez, prenez, n'envoyez pas, agitez bien, tenez éloigné.
Pourquoi ne l'utilise-t-on pas ? Est-ce un vieux fond d'humilité mal placée? Un souci de rectitude trop poussé? La crainte de paraître trop direct, trop brusque, trop dur ? Un complexe d'infériorité?
J'ai parfois tendance à penser qu'il s'agit d'anglicismes sournois, que ce ne pas traduit maladroitement le do not anglais.
En anglais, l'infinitif, l'indicatif et l'impératif écrits d'un verbe ont beau être d'une orthographe identique, un anglophone qui voit le mot stop à une intersection comprend instantanément arrêtez. Pour lui, c'est un verbe au mode
impératif. En anglais, le mot stop est aussi un nom commun. Pour des raisons que je m'explique mal, c'est ainsi que nous avons choisi de le traduire : arrêt, mais arrêt, ça ne m'intime absolument pas l'ordre d'arrêter. Quand on frappe à la porte du gars qui a pris cette décision, nous ouvre-t-il en disant «Entrez» ou «Pénétration»?
Il y a tout de même d'autres consignes que notre ministère des Transports a traduites de façon appropriée : ralentissez, serrez à droite, préparez-vous à arrêter, cédez. Pourquoi arrêt plutôt que arrêtez? Mystère.
D'autres expressions font plus que m'intriguer, elles m'agacent. À ce chapitre, la première priorité de nos politiciens remporte la palme. Peut-être aurons-nous
bientôt la première priorité la plus importante.
D'autres m'amusent . Les championnes en titre sont nos météorologues. Je tolère très bien leur ennuagement même si le mot n'est pas encore dans le dictionnaire.
Les dictionnaires s'écrivent à partir de l'usage, il finira bien par y être un jour. Là où je ne peux m'empêcher de sourire, c 'est quand nos Miss Météo précisent qu'on aura un ennuagement progressif ou graduel. Non seulement les mots ennuager et ennuagement portent-ils déjà cette notion de progressivité, mais je guette depuis des années le jour où l'ennuagement aura été instantané.
Me font également sourire leurs valeurs de saison plutôt que moyennes ou normales. Le besoin de changer le mal de place, j'imagine.
Me fait aussi sourire le je voudrais remercier des lauréats de trophée de nos galas. De mon salon, je leur crie chaque fois : «Arrête de dire que tu voudrais le faire pis fais-le! T'es là pour ça!» M'inquiètent les chefs d'antenne, journalistes, reporters et analystes qui nous invitent à nous rappeler de, rappeler étant transitif même lorsqu'il est pronominal. Quand ils revoient quelqu'un, lui disent-ils: «Rappelez-moi donc de votre nom»?
M'attriste aussi l'appauvrissement toponymique qu'ont entraîné les fusions municipales.
Il me semble que la fusion administrative nécessaire de plusieurs villes et villages ne requérait pas qu'on fasse disparaître les noms respectifs de ceux-ci. Je me demande même si cela n'explique pas en grande partie la réticence de nombreux opposants à ces fusions. Chicoutimi, Jonquière, Kénogami, Laterrière,
La Baie, Shipshaw sont des noms magnifiques, colorés, à l'identité propre et distincte. Je n'ai rien contre Saguenay, sauf que c'était déjà le nom d'une région, d'un comté, d'une rivière, d'un fjord et d'un royaume. Voilà qu'en plus, c'est maintenant celui d'une ville. C'est ce que j'appelle une mauvaise bonne idée. Triste en plus.
Je n'ai toujours pas réussi à démêler les assurances qui sont pour de celles qui sont contre. Assurance-maladie ou assurance santé ? Assurance emploi ou assurance chômage? Assuranceemprunt ou assurance remboursement? Assurance salaire ou assurance invalidité? Assurance vie ou assurance mort ?
J'aime bien aussi entendre un expert déclarer qu'on a pris toutes les mesures nécessaires afin de réduire au maximum les risques d'un accident.
J'aime aussi la pharmacie où des gens demandent des comprimés pour le mal de
tête, j'aime encore plus les garages où on entend des perles telles : Mon derrière est trop bas. Le bout de mon tuyau est noir. Mes noix sont mal serrées. La fenêtre ferme pas sur le côté de ma femme. Le soir, j'suis pas capable de me mettre sur les grosses. J'ai de la boucane bleue qui me sort en arrière.
Question qui me reste : Les gens qui ferment les lumières, est-ce qu'ils éteignent les robinets?
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