Une réflexion mal engagée

La question des accommodements raisonnables doit être débattue à l'abrides politiciens en campagne électorale et des démagogues de tribunes téléphoniques

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor



Messieurs Boisclair, Charest et Dumont;
La question des accommodements raisonnables n'est pas un débat à clore ni avant ni pendant la campagne électorale qui s'annonce.
D'abord, ce n'est pas un débat, mais une réflexion. Cette réflexion n'est pas politique, mais humaniste. Cette réflexion n'est pas à clore mais, tout au contraire, à entamer.
Elle doit se faire avec intelligence, sagesse et sérénité, à l'abri des tempêtes de verre d'eau qu'affectionnent particulièrement les politiciens en campagne électorale, les démagogues de nos tribunes téléphoniques et autres excitateurs de sots.
Cette réflexion s'est amorcée jusqu'à maintenant de toutes sortes de façon: alarmiste, naïve ou simplement bête, c'est fréquemment le cas. Dans notre monde d'hypermédiatisation, les nouvelles finissent par ressembler à notre bouffe: peu importe la valeur du contenu pourvu qu'elle soit fraîche du jour et emballée pour séduire le consommateur.
Cette réflexion a fondalement deux objets: la primauté du droit et la séparation des pouvoirs.
La primauté du droit est sans doute l'une des plus belles réalisations de l'humanité.
S'il n'y avait qu'un mot pour traduire l'essence du droit, ce serait probablement réciprocité. "Ce qui est bon pour l'un l'est aussi pour l'autre. La liberté de l'un s'arrête là où commence celle de l'autre. Ce qui est permis à l'un doit l'être à tous et s'il ne peut être permis à tous, il ne peut l'être à personne. L'un ne peut reprocher à l'autre de faire ce qu'il fait lui-même et il ne peut faire lui-même ce qu'il reproche à l'autre de faire."
C'est cette réciprocité qui engendre l'égalité de tous, quelque soit leur sexe, âge, origine ethnique ou niveau social. Ceux qui ont conclu que cette réciprocité était la meilleure façon de reconnaître et protéger la valeur égale de chaque humain ont aussi rapidement conclu que le droit devait être séparé des pouvoirs politique et religieux, enchâssé dans une déclaration qui transcende ces pouvoirs.
Il faut en effet que le droit et ceux qui en sont les gardiens soient à l'abri des lubies d'un dictateur mythomane, de l'influence d'un lobby puissant ou même d'un simple changement du parti au pouvoir. Le droit doit aussi être mis à l'abri des préceptes de toute religion, ces préceptes étant arbitraires.
Des erres d'aller
Nous sommes tous en train de commencer cette réflexion, Québécois de souche et néo-Québécois. Qu'on soit l'un ou l'autre, nous vivons depuis de nombreuses années dans l'inconscience et le confort de nos erres d'aller respectives.
Il y a à peine quelques dizaines d'années au Québec, on trouvait tous normal qu'en se mariant, une femme perde son nom. Cette femme trouvait normal que ce soit le curé qui lui commande le nombre d'enfants qu'elle devait avoir et le curé trouvait tout aussi normal d'être autorisé à le lui commander. On trouvait aussi normal que notre mère ne sache pas conduire une voiture, n'ait pas sa propre entreprise, ne puisse accéder à la fonction de juge ou, encore plus bêtement, qu'elle ne puisse être camionneur. On n'était ni sexistes ni machistes, on était simplement sur l'erre d'aller.
Ceux qui, venant d'ailleurs, demandent ces jours-ci des accomodements raisonnables sont aussi, tout simplement, sur une erre d'aller. Ils viennent de sociétés où il n'y a généralement pas la séparation des pouvoirs qui prévaut ici. Ils viennent aussi de sociétés où religion et culture sont intimement liées, exprimées par de nombreux rites et symboles ostentatoires qui ont forgé et défini leur identité.
Nos erres d'aller respectives nous ont fait entrer en collision, ce qui est normal et surtout sain, car ce sont ces collisions qui nous forcent maintenant à réfléchir sur tout ce que nous prenions jusqu'ici pour acquis.
Tous, nous réalisons maintenant que nous ne sommes plus ce que nous étions et que nous ne serons plus ce que nous sommes. Ceux d'entre nous qui sont les plus effrayés par cette constatation sont aussi ceux qui sont les plus attachés à ces traditions culturelles et religieuses qu'ils voient comme partie intégrale et nécessaire de leur identité.
Tous ceux-ci commencent à réfléchir aussi, ce sont peut-être ceux qui réfléchissent soudain le plus parmi nous. Ils commencent à se demander si les rites et symboles qui les ont jusqu'à maintenant rassurés sur leur identité, sont aussi essentiels qu'ils l'ont toujours cru, ou s'ils ne les ont pas eux-mêmes plutôt travestis en ridicules simagrées qui les replient aujourd'hui sur eux-mêmes, les tournent stérilement vers le passé et les excluent dangereusement du présent. Tous, qu'ils soient urbains ou ruraux, néo- ou de souche, athées ou croyants. C'est normal, c'est essentiel et surtout, c'est sain.
Points de friction
Les accommodements raisonnables dont est constamment retapissée la une de nos medias sont simplement ces points de friction, ces impacts résultant de la collision de nos erres d'aller respectives. Une façon d'en juger en fonction de la primauté du droit est se demander à chaque fois si cet accommodement entraîne une discrimination.
Le droit nous rappelle, par exemple, que tout emploi ou fonction ne peut être interdit à une personne à cause de son sexe, le seul critère selon lequel cette personne peut ou ne peut pas exercer cet emploi ou cette fonction devant être sa compétence pour l'exercer. Un médecin masculin auquel on interdit de traiter une patiente de sexe féminin ou une évaluatrice de la SAAQ à laquelle on interdit de faire passer un test de conduite à un homme deviennent, sous cet éclairage, relativement faciles à juger.
Un établissement public, propriété de tous et devant être accessible à tous, pour lequel on demande qu'à certaines périodes soient exclus des personnes à cause de leur sexe est aussi facile à juger.
L'impossibilité de satisfaire tous les souhaits et demandes d'affichage public de symboles religieux aussi divers que particuliers entraîne, forcément, de ne permettre l'affichage d'aucun, réciprocité exige. À ce titre, il est à se demander si le crucifix de l'Assemblée nationale peut y rester, d'autant plus que son retrait serait une éloquente manifestation de la séparation des pouvoirs qui prévaut chez nous.
Le cas des vitres givrées est tout autre et, comme pour quelques autres, il faut éviter qu'il soit démagogiquement assimilé à notre réflexion naissante sur la primauté du droit et la séparation des pouvoirs. Il s'agit ici tout simplement d'un cas de définition de la décence. La définition de ce qui est décent et de ce qui ne l'est pas varie constamment, même au sein d'une société aussi stable et ordinaire que la nôtre. Dans ce domaine, en plus de s'assurer qu'aucune discrimination n'entre en jeu, nos juges s'appuient d'ailleurs généralement sur ce que la grande majorité de notre société semble avoir accepté. On accepte, ici et maintenant, que les gens qui font de l'exercice physique le fassent en short et en manches courtes mais on n'accepterait pas qu'une femme se fassent bronzer seins nus sur nos plages municipales alors que d'autres sociétés le tolèrent. Tout ça est normal, essentiel et sain.
Notre toute nouvelle réflexion sur la primauté du droit et sur la séparation des pouvoirs doit aussi être vue non seulement comme normale, essentielle et saine, mais aussi et surtout comme l'occasion d'exercer un privilège rare et noble: être les auteurs d'une page de l'histoire de l'humanité et de son évolution sociale.
Nous savons que nous en sommes capables, montrons que nous en sommes dignes.
L'auteur est un artiste


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