Gaza - Une crise qui appelle un nouveau leadership

"Libérez Gaza" - 1ère Flottille humanitaire - le "Mavi-Marmara" -



Plus de 60 ans après, ni les États-Unis ou l'Europe, alliés d'Israël, ni les pays arabes ou l'URSS d'hier, ses adversaires, encore moins les Nations unies, n'ont su trouver de solution à la dépossession palestinienne dont Gaza est le symbole. Aussi, dans ce Proche-Orient explosif, l'entrée politique de la Turquie est-elle sans doute l'un des développements les plus significatifs à y survenir.
La flottille internationale qui a récemment défié Israël apportait à la population de Gaza une aide humanitaire et un secours moral dont elle avait le plus grand besoin. Mais cette intervention, rappelant l'indigne punition collective qu'on lui impose depuis l'élection du Hamas, visait aussi à mettre fin au blocus, et ultimement à l'impasse dont ces Palestiniens sont victimes.
Or, une telle pression pacifique sur Israël et sur l'opinion mondiale n'aurait guère été possible sans l'appui de la Turquie. Ce pays à la fois laïque et musulman n'a jamais été hostile à Israël, auquel il est lié par d'importants échanges économiques et militaires. Étant donné qu'il est membre de l'OTAN, on ne saurait non plus l'accuser de terrorisme. La Turquie s'employait même à désamorcer la guerre larvée entre Israël et ses ennemis à Damas et à Téhéran.
Bien sûr, cette diplomatie ne faisait pas que répondre aux périls extérieurs. À l'intérieur du pays, un cabinet modérément «islamique» a entrepris une politique d'ouverture aux Kurdes. Il favorise aussi un assouplissement religieux que même l'opposition laïque (son nouveau leader, Kemal Kilicdaroglu, vient d'une minorité chiite) semble accepter. Mais pour éviter des remous au sein de l'armée, le gouvernement avait besoin de l'appui populaire. C'est cet appui que Gaza vient de lui valoir.
En même temps, la plupart des observateurs voient dans l'affrontement sanglant à bord du Mari Marmara un autre échec de la politique de main forte du gouvernement israélien. Certains y voient même une victoire pour le Hamas, ce mouvement qu'Israël tient pour une organisation terroriste, mais dont l'Autorité palestinienne et des gouvernements étrangers ont commencé de se rapprocher. «Pas de paix sans le Hamas» n'est plus un slogan vide de sens.
Encore faut-il que le Hamas choisisse lui aussi le chemin d'un règlement politique. La Turquie est aujourd'hui fort populaire chez les Palestiniens, mais contrairement au Hamas, ses dirigeants n'ont jamais prôné le démantèlement de l'État d'Israël. En tenant jusqu'à récemment un discours radical, le Hamas donnait au gouvernement israélien un motif plausible de refuser toute négociation.
Jusqu'à maintenant, Israël a toutefois échoué dans sa politique visant à discréditer le Hamas, à l'isoler et à en faire le principal sinon le seul responsable de la misère à Gaza. Par contre, le Hamas n'a pas réussi à relancer dans le monde arabe, en pays musulman ou sur la scène internationale, l'examen de la question palestinienne, encore moins à rendre crédible le projet d'un État islamiste sur les ruines de l'État juif.
Que veut le Hamas? Ahmed Yousef, le sous-ministre des Affaires étrangères de son gouvernement à Gaza, vient de publier dans Al Quds, le principal journal arabe de Jérusalem, un propos jugé remarquable. «Nous sommes à une croisée des chemins, écrit-il. Nous avons à choisir entre la réalisation de notre rêve ou le suicide.» Qu'est-ce à dire?
Le juste chemin à suivre pour le mouvement islamique, déclare-t-il aux Palestiniens, est d'emprunter l'approche conciliatrice de la Turquie, plutôt que l'approche exclusivement violente des talibans d'Afghanistan. Le propos ne fera pas l'unanimité au sein du Hamas et des milieux qui l'appuient. Pourtant, dans une conjoncture où le recours à une autre «guerre préventive» est ouvertement considéré dans la région, a-t-on le choix de mettre à l'épreuve l'approche turque?
Rarement en tout cas un événement, pas même l'opération meurtrière de l'armée israélienne à Gaza, aura suscité, comme l'attaque du Mavi Marmara, un tel choc au Proche-Orient et dans l'opinion publique. Ainsi, l'Égypte a promptement ouvert plus largement sa frontière avec la petite enclave palestinienne. Et même le gouvernement turc, surpris par la tournure des choses, aura fort à faire pour préserver, malgré la colère populaire, ses échanges avec Israël.
Chose certaine, on ne pourra laisser plus longtemps sous perfusion aléatoire la population de Gaza. Mais comment y assurer des conditions de vie qui soient acceptables, et donc la circulation des personnes et des biens essentiels, sans pour autant mettre en danger la sécurité de la population israélienne voisine? Tel était le dilemme d'Israël, tel reste le problème des gouvernements qui prétendent mettre fin au drame de Gaza.
Or, moins qu'auparavant, l'armée israélienne pourra-t-elle prétendre y gérer les questions de sécurité. S'il est une situation qui appelle une présence internationale, c'est bien celle qui prévaut à Gaza. Toutefois, rares sont les pays qui peuvent prétendre à une égale acceptation de la part des Palestiniens de Gaza et des Israéliens. La Turquie aurait pu, justement, fournir une force d'interposition. Ce rôle risque maintenant de lui échapper.
Si la diplomatie, en effet, ne prend bientôt de vitesse les durcissements et retranchements auxquels le récent choc de Gaza pousse les protagonistes, une intervention internationale que ses participants voulaient humanitaire et politique aura, au contraire, aggravé la situation. Le Canada se prépare à recevoir les puissances de la planète. Mais quelle tristesse qu'à Ottawa personne ne paraisse à la hauteur du défi que pose le Proche-Orient.
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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