Claude Lévesque - Mahmoud Abbas, le président palestinien, entend poursuivre ses «négociations indirectes» avec l'État d'Israël. C'est l'une des rares «bonnes nouvelles» qu'on a pu apprendre depuis le raid israélien en Méditerranée, et il faut avouer qu'elle paraît bien mince. La partie ne se joue pas à Ramallah, où M. Abbas a ses bureaux, mais bien dans la bande de Gaza, à Ankara et dans les autres capitales de la région. Dans les palais présidentiels et les Parlements, mais aussi dans la rue.
Le drame du Mavi Marmara, lundi aux petites heures, a braqué les projecteurs sur le blocus auquel l'enclave palestinienne de 360 km2 est soumise depuis trois ans et sur les souffrances qu'il occasionne pour le million et demi de personnes qui s'y entassent.
Il crée aussi une nouvelle dynamique dans la région, à commencer par la crise qu'il a provoquée dans les relations entre Israël et la Turquie. Quelques heures après l'abordage qui a coûté la vie à huit citoyens turcs, Ankara a parlé de «conséquences irréparables». Israël a consenti à libérer la plupart des passagers du Mavi Marmara qui avaient été emmenés au port d'Ashdod, mais la Turquie exige aussi des excuses et la tenue d'une enquête internationale, à laquelle Tel-Aviv s'oppose avec la dernière énergie.
Les relations entre les deux pays avaient commencé à se refroidir il y a plusieurs mois déjà. Des manoeuvres militaires conjointes ont été annulées cette année à la suite d'incidents diplomatiques. La Turquie a annoncé cette semaine qu'elle réduirait au strict minimum ses contacts avec Israël, alors qu'elle jouait jusqu'à récemment un rôle d'intermédiaire entre l'État juif et la Syrie, qui s'opposent sur la question du plateau du Golan.
Le contentieux turco-israélien oblige Washington, dont les relations avec Israël ne sont pas au mieux, à tenter de réconcilier ses deux alliés. La sécurité d'Israël se trouve au coeur de la politique étrangère américaine — Barack Obama l'a rappelé clairement ces derniers jours —, mais les États-Unis veulent aussi ménager la Turquie, pays membre de l'OTAN, dont le rôle dans la région et dans le monde est en train de s'affirmer, et pas toujours dans le sens souhaité par l'Occident.
L'entente conclue avec l'Iran de Mahmoud Ahmadinejad en vue de régler le problème de l'uranium enrichi iranien témoigne des ambitions et des nouvelles orientations d'Ankara. Les pays occidentaux l'ont rejetée illico.
Un pont
Par sa situation géographique sur les deux rives du Bosphore, la Turquie constitue littéralement un pont entre l'Orient et l'Occident, mais les réticences de l'Union européenne à l'accueillir en son sein, entre autres facteurs, l'ont rapprochée de l'Iran et du Moyen-Orient musulman.
La flottille dite «de la paix», qui comptait six bâtiments battant pavillons turcs, grecs et américain, avait été montée par une coalition de quatre mouvements propalestiniens: l'IHH, une organisation turque, la Campagne européenne pour la fin du siège de Gaza, le mouvement Gaza libre, basé à Chypre, et une ONG suédoise appelée Un navire pour Gaza.
Certaines rumeurs prêtent au gouvernement du premier ministre Benjamin Nétanyahou l'intention d'alléger le blocus de Gaza, y compris en laissant des navires accoster dans ce port après avoir été inspectés par une autorité internationale reconnue. Même si ces rumeurs se concrétisaient, le Rachel Corey, un cargo irlandais affrété par le mouvement Gaza libre qui fait actuellement route vers Gaza, risque de subir le même sort que le Mavi Marmara, si on en croit les mises en garde du gouvernement Nétanyahou.
«On en est arrivé là parce que la communauté internationale tergiverse depuis trois ans. On essaie de trouver une solution, mais on n'y arrive pas parce qu'on est pris dans un dilemme: d'un côté, Israël voit dans le blocus une mesure pour assurer sa sécurité; de l'autre, les Palestiniens y voient un problème humanitaire», croit Henri Habib, professeur de sciences politiques à l'Université Concordia. Les activistes à bord de la flottille ont voulu briser l'impasse en forçant l'opinion publique mondiale à réagir.»
La réconciliation
Pour ce spécialiste du Proche-Orient, la solution passe par une réconciliation entre les deux principaux partis palestiniens, le Hamas et le Fatah, et par un engagement plus concret de la part de la communauté internationale.
En janvier 2006, le Hamas, un mouvement islamiste qui ne reconnaît pas à Israël le droit d'exister, a remporté les élections législatives organisées dans les deux territoires palestiniens, Gaza et la Cisjordanie. Israël et plusieurs pays occidentaux ont réagi en imposant des sanctions financières destinées à empêcher le Hamas de diriger le gouvernement.
La bande de Gaza est pratiquement isolée du reste du monde depuis que le mouvement islamiste y a pris le pouvoir et chassé ses rivaux en juin 2007, les tentatives de cohabitation ayant toutes échoué.
Le territoire n'est ravitaillé en biens de première nécessité que par les convois routiers, qui y entrent après avoir été contrôlés par Israël ou par l'Égypte d'Hosni Moubarak, qui déteste le Hamas en raison de ses liens avec les Frères musulmans.
Certaines agences des Nations unies de même que des ONG comme Amnesty International dénoncent régulièrement la situation humanitaire qui prévaut dans la bande de Gaza, qui a même empiré après l'offensive israélienne de l'hiver 2008-2009. Tel-Aviv nie que la situation puisse y être critique.
Plusieurs voix se sont élevées pour réclamer la tenue d'une enquête indépendante, donc internationale, sur le drame qui s'est déroulé en Méditerranée lundi. Sous la pression des États-Unis, le Conseil de sécurité des Nations unies s'est contenté d'exiger que l'État d'Israël fasse la lumière sur l'incident naval où il fait figure d'accusé aux yeux de plusieurs. La déclaration du Conseil de sécurité n'est pas assortie de sanctions. Un autre organe de l'ONU, le Conseil des droits de l'homme, a bien exigé la tenue d'une enquête indépendante, mais ses décisions n'ont aucune valeur contraignante.
Qu'elle soit instituée par l'État d'Israël, les Nations unies ou la Cour internationale de justice, une enquête devra trouver des réponses à un certain nombre de questions évidentes. Qui a tiré et quand? Le Mavi Marmara ou les autres bateaux transportaient-ils des armes? Leurs passagers ont-ils cherché l'affrontement comme le gouvernement israélien l'affirme? Quels ordres les commandos israéliens avaient-ils reçus?
Enfin, cet incident naval qui a tourné au drame risque de compliquer la tâche pour les États-Unis, qui tentent péniblement de relancer le processus de paix entre Israël et les Palestiniens. Ils ont récemment convaincu les deux parties de s'engager dans des négociations indirectes, une modeste avancée que les projets immobiliers israéliens dans la partie arabe de Jérusalem sont passés près d'empêcher.
Si Washington maintient une attitude jugée trop conciliante envers Israël, les pays arabes dits «modérés», comme l'Égypte et les pétromonarchies du golfe Persique, pourraient bien retirer leur appui à un processus de paix qui exclut le gouvernement de facto de Gaza.
Le raid israélien contre la flottille d'aide humanitaire a changé la donne
Proche-Orient : la nouvelle dynamique
Quels ordres les commandos israéliens avaient-ils reçus?
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