L'antisémitisme existe, je l'ai rencontré. Je le rencontre chaque fois que j'écris une chronique comme celle-ci. Des gens vont déblatérer samedi dans mes courriels contre «la juiverie internationale»; on ira jusqu'à me dire que «Hitler n'avait peut-être pas tort», on niera la Shoah, des jeunes gens ne sembleront pas savoir que le plus grand crime de l'histoire de l'humanité ne remonte pas à la nuit des temps - leur grand-père était ado tandis que ce crime-là se perpétrait, leurs arrière-grands-parents en ont été les contemporains et peut-être un peu les complices, par indifférence au moins.
L'antisémitisme vient de bien plus loin que les nazis, largement relayé au cours des siècles par l'Église catholique. L'impensable, c'est qu'il est toujours là, aussi virulent, prenant racine dans la même viscérale ignorance.
Suis-je en train de dire que d'autres camps, d'autres fours seraient possibles aujourd'hui? C'est exactement ce que je dis.
Pour des siècles encore il faudra protéger les Juifs, particulièrement contre ceux-là qui s'apprêtent à m'écrire: tu ne trouves pas qu'ils se défendent très bien tout seuls?
Pour des siècles encore, les grandes puissances de ce monde auront à prendre le parti d'Israël contre ceux qui souhaitent sa disparition.
Cela étant dit, la question que pose cette chronique, la question qui se pose chaque fois que rebondit le conflit israélo-palestinien, comme cela vient d'arriver cette semaine avec ce bain de sang en haute mer, la question: est-ce que le conflit israélo-palestinien suscite une nouvelle forme d'antisémitisme de gauche?
Est-ce que les progressistes, par leur détestation de l'État hébreu, par leur soutien aux Palestiniens, sont devenus les nouveaux antisémites? Vous, par exemple, monsieur Foglia, êtes-vous antisémite? Oui, répondent les philosophes de droite (Finkielkraut, BHL, même Sollers) qui ont lancé le débat il y a une dizaine d'années, surtout Finkielkraut.
Bullshit, je vous réponds. Bullshit mais surtout: intimidation. Je ne suis pas antisémite parce que je trouve honteux le blocus autour de Gaza -d'ailleurs appliqué aussi par l'Égypte-, qui prive un million et demi de personnes (dont la moitié sont des enfants) de bouffe, d'eau, de tout. Je ne suis pas antisémite parce que je trouve cynique le vrai motif de ce blocus, qui n'est pas d'empêcher les armes d'entrer à Gaza, mais de punir la population de Gaza d'avoir élu (démocratiquement) le Hamas, qui dérange tout le monde (l'Égypte presque autant qu'Israël).
Je ne suis pas antisémite parce que je me souviens que le blocus de Gaza a été précédé d'une offensive de 22 jours qui a fait près de 1500 morts, dont 330 enfants. Opération assimilée à un crime de guerre par un rapport des Nations unies, le rapport Goldstone, qui relève l'utilisation d'armes interdites, comme des obus au phosphore blanc tirés sur des zones résidentielles et une école.
Je ne suis pas antisémite parce que je ne comprends pas comment on peut attaquer un cargo dans des eaux internationales, avec des troupes d'élite héliportées qui lancent des grenades avant d'arriver sur le pont, et affirmer ensuite, comme Israël le fait, que c'est l'autre qui a attaqué. Neuf morts, des dizaines de blessés dans le cargo turc, tous du même côté, et ce sont les Israéliens les victimes? Cherchaient quoi, dans le cargo? Des armes? On peut les voir?
Le communiqué de la défense israélienne dénonce l'acharnement et la violence inouïe des militants embarqués à bord des bateaux arraisonnés. Des militants qui ont tendu un guet-apens aux pauvres soldats israéliens. On dirait un communiqué de l'Iran ou de la Corée du Nord.
Je ne suis pas antisémite parce que je ne comprends pas pourquoi les États-Unis ne peuvent pas à la fois protéger Israël et le rappeler à l'ordre quand il commet des crimes qu'on ne permettrait à aucun autre pays.
Je ne comprends pas pourquoi les États-Unis ne mettent pas fin aux colonies, au moins ne font pas en sorte qu'il n'y en ait pas de nouvelles.
Je ne suis pas antisémite parce que je ne comprends pas comment Obama a pu laisser tomber comme une vieille chaussette sale l'espoir qu'il a soulevé par son discours du Caire le 4 juin 2009. Nombre de Juifs espéraient qu'il ferait pression sur Israël, tout comme près de 1 milliard d'Arabes, bien sûr.
Deux choses encore, pour être bien clair. Le règlement du conflit israélo-palestinien ne changera rien à l'antisémitisme. Il sera toujours là, virulent comme avant, ancré pour longtemps encore dans l'ignorance.
Mais que ce conflit atteigne de nouveaux sommets d'horreur, comme il n'y manquera pas, qu'Israël se montre plus colonialiste encore, aucun risque que je devienne moi-même antisémite. Je ne suis pas antisémite. Ne le deviendrai jamais.
Quelques centaines de millions d'humains sont dans mon cas et un peu tannés, comme moi, de se faire dire le contraire chaque fois qu'ils condamnent Israël.
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