France et Wallonie

Chronique de José Fontaine

C’est en octobre 1945, au lendemain de la victoire sur le nazisme et dans le contexte d’une lutte contre l’Allemagne où - pour des raisons que l’on peut comprendre mais dont on doit comprendre que les Wallons ne les comprenaient pas à l’époque - les Flamands firent souvent défaut (non pas tous certes), que les Wallons réunis en Congrès national choisirent leur destin. [Il est établi qu’une grande partie des troupes flamandes ne combattit pas les envahisseurs nazis à la bataille de la Lys (voir Wikipédia : Bataille de la Lys (1940)), et que la Résistance, certes bien réelle en Flandre, s’activa surtout en Wallonie, probablement plus qu’en France.]
Le Congrès de 1945 est issu de la Résistance. Il débat de quatre positions pour la Wallonie : parité du Sénat belge, fédéralisme, indépendance de la Wallonie, réunion à la France. Le fédéralisme recueille 40% des suffrages, la réunion à la France 46. On revote et le fédéralisme finit par l’emporter, un fédéralisme qui sera conçu dans les mois suivants avec des traits accentués de confédéralisme. C’est la situation d’aujourd’hui.
La réunion à la France
Un groupe de réunionistes wallons propose de rassembler des Etats généraiux de Wallonie en mai prochain pour discuter de trois options : l’indépendance de la Wallonie, la réunion à la France, une communauté fédérale (indépendante) regroupant Bruxelles et la Wallonie. Ce qui est neuf chez les réunionistes, c’est que certains d’entre eux proposent que même réunie à la France, la Wallonie conserve les compétences qu’elle a gagnées dans le cadre belge. Certains ajoutent que la République devraient cependant assumer les fonctions régaliennes en cet Etat français élargi (diplomatie, défense, justice, monnaie). Ces idées sont intéressantes mais se heurtent à deux difficultés.
a) La Wallonie a déjà une diplomatie puisque dans le domaine de ses compétences, elle traite souverainement avec les Etats étrangers et siège au Conseil des ministres européens. La monnaie est de toute façon une compétence partagée avec l’Union européenne pour les pays de la zone €. La Justice est régionalisée de fait. Quant à la défense elle est appelée de toute façon à prendre de plus en plus une dimension collective européenne. Il y a donc une difficulté côté wallon, car on voit mal les Wallons accepter que leurs dirigeants se dépouillent de compétences qu’ils exercent sans que la population soit enthousiaste, mais sans qu’elle ne le rejette non plus, loin, très loin de là (au demeurant, quelle est la population au monde que ses dirigeants enthousiasment en permanence?).
b) Côté français, la difficulté est très grande aussi, car les très timides - vraiment très timides - avancées autonomes en Corse visant à rendre (sur des objets très limités et seulement à titre expérimental), le Conseil régional corse législativement autonome ont été balayées à deux reprises par le Conseil constituoionnel français rappelant que la République française est une et indivisible. Or depuis 1980, les compétences de la Wallonie et de la Communauté française (économie, culture, enseignement, environnement, relations internationales), se sont considérablement développées au point de représenter aujourd’hui 50% de l’ensemble des ressources publiques. En outre, tout est séparé en Belgique sur la base des régimes linguistiques et si la Justice, par exemple, demeure une compétence fédérale belge, elle est de fait déjà régionalisée. Si cette compétence passait aux Régions, cela se ferait le plus aisément du monde comme d’ailleurs la plupart des compétences dévolues depuis 30 ans aux Régions. Le temps que ces compétences soient formellement attribuées, elles ont été immédiatement mises en oeuvre par les Etats fédérés qui semblaient n’attendre que cela.
Des justifications économiques insuffisantes
On admet généralement en Belgique que la Flandre serait capable d’assumer économiquement son indépendance, mais pas la Wallonie. Indépendamment du fait de savoir si la Flandre a vraiment l’intention de prendre son indépendance (j’y reviendrai), la question se pose de savoir si la Wallonie serait si mal que cela au cas où elle devrait se débrouiller seule. L’association patronale belge (FEB) a calculé que la Flandre plus riche (via l’affectation des impôts généralement collectés encore par l’Etat fédéral, la sécurité sociale, des mécanismes de solidarité dans le système fédéral lui-même), transférait trois % de son PIB à la Wallonie. Les Flamands en ont fait beaucoup état jusqu’en juin 2007, mais sont relativement discrets aujourd’hui sur ce point. C’est peut-être parce que l’on peut montrer que de tels transferts s’opèrent dans tous les pays d’Europe et que d’autres Régions d’Europe participent dans une mesure très supérieure à la solidarité nationale. La FEB a calculé que le Nord-Pas-de-Calais en France (4 millions d’habitants, soit un peu plus que la Wallonie qui en a 3,5), bénéficiait de transferts équivalents à 5% du PNB français . Or des études menées tant par des chercheurs wallons que par des chercheurs du Nord ont démontré que le Nord-Pas-de-Calais (qui a un passé industriel et des difficultés analogues à celles de la Wallonie), n’est pas plus performant que la Wallonie
Peut-être même moins, voire beaucoup moins dans la mesure où la Région peut compter sur la solidarité d’une grande puissance économique (5% de son PNB), avantage que la Wallonie n’a pas du tout. Cela semble réduire à néant l’idée que la Wallonie se redresserait immédiatement si elle devenait française. En outre, il y a le problème de Bruxelles.
La question de Bruxelles
Bruxelles est en Belgique le principal bassin d’emploi : plus de 200.000 Flamands et plus de 100.000 Wallons y travaillent tous les jours. Or Bruxelles est clairement une ville francophone. Il est facile de montrer que réunies, la Wallonie et Bruxelles, ont un PIB/habitant supérieur à celui de la Flandre, région pourtant très riche. Les autorités tant wallonnes que bruxelloises prônent d’ailleurs que les deux Régions se fédèrent et continent à régler decommun accord les matières d’intérêt commun comme l’enseignement et la culture. Il existe depuis décembre 2006 des régionalistes bruxellois qui souhaiteraient (comme les régionalistes wallons), que cette coopération ne signifie pas nécessairement une unité de gouvernement, mais des accords précis. Quant à la Flandre, même désireuse d’indépendance, elle n’entend pas se couper politiquement de Bruxelles (dont, bizarrement, elle a fait sa capitale politique), en raison des positions qu’elle y garde pour sauvegarder sa langue et sa culture et également pour l’intérêt politique et économique que constitue pour elle le fait que la Région bruxelloise a un gouvernement où siègent de droit plusieurs ministres régionaux bruxellois flamands.
L’indépendance, de manière réaliste, est cependant à la portée de la Wallonie, de Bruxelles et de la Flandre. Dans son dernier discours de Noël le roi a même donné raison à la pensée politique du Président flamand qui voudrait que, en Belgique, le centre de gravité ne soit plus l’Etat fédéral mais les Etats fédérés au service desquels se mettrait le fédéral (ou ce qu’il en reste). Il n’y pas d’opposition de principe à cette perspective côté wallon.
Une identité wallonne sans épaisseur ? 1) Le passé
Les réunionistes opposent à l’dée que la la Wallonie aurait une forte personnalité qui la distinguerait de la France le sentiment que la Wallonie aurait de simples spécificités qui ne ferait, d’elle, - et des Wallons - sur le plan humain, rien d’autre que la Bourgogne ou la Lorraine. J’ai préféré dire "sur le plan humain" plutôt que sur le plan culturel. J’entends par là aller au-delà de la culture cultivée (la littérature, les arts..., ), et même de la culture entendue en un sens plus large (populaire ou anthropologique). Nous lisons à peu près la même chose que les Français. Mais nous n’avons jamais (sauf de 1795 à 1815), partagé le destin de la France. Les Wallons existent depuis que les anciens Pays-Bas (plus ou moins le Bénélux actuel + le Nord de la France), ont été réunis par le pouvoir des ducs de Bourgogne puis des rois d’Espagne. Au milieu du 16e siècle, la Hollande s’est détachée de cet ensemble pour des raisons profondes : la Holllande devenait calviniste, formait une République qui est selon certains la première nation moderne. Et cette franche modernité de la Hollande se perçoit encore aujourd’hui. Dans le reste des Pays-Bas, pas mal de Wallons ont embrassé aussi la foi protestante ou connut des régimes religieux moins durs qu’en Espagne ou en France. En 1550, les Wallons forment une population qui doit tourner autour des 1,5 million d’âmes, presque la moitié de la population de l’Angleterre. Pour des raisons religieuses ou autres, ils sont partout : en Hollande, en Angleterre, en Suède, en Amérique du Nord, en Hollande, plus tard en Allemagne, en Chine, en Russie... Ils parlent la langue la plus prestigieuse de l’époque, une partie de leurs élites sont calvinistes. Ils font de la Wallonie à la fin du 18e siècle (perpétuant une vieille tradition de savoir-faire à cet égard), la deuxième puissance industrielle au monde (soit en chiffres absolus, soit en indices de développement). C’est du passé, mais leur présence dans la littérature historique anglaise, jusqu’à aujourd’hui, s’explique ainsi.
Une identité wallonne sans épaisseur ? 2) Le présent
Les Wallons d’aujourd’hui sont d’une certaine façon coupés des Wallons du 16e siècle, soit parce qu’ils sont allés ailleurs (en Suède surtout où leurs descendants nombreux n’oublient pas leur origine), soit parce que Louis XIV a conquis le territoire où vivaient les Wallons, principalement le Nord-Pas-de-Calais des Ch’tis. Ils sont, en ce sens, des Wallons différents du groupe appelé ainsi au 16e siècle qui, depuis, dans le cadre belge depuis 1830 (fondation de l’Etat belge), ont organisé une vie associative, mis en place des services (toute l’éducation spécialisée par exemple), un droit, un enseignement, des institutions radicalement différents de ce qu’ils sont en France. La culture wallonne a fini par se développer sur cet humus historique immémorial et dans les cadres sociaux et politiques solides d’aujourd’hui : le cinéma - art national par excellence - en est le témoin le plus probant. Mais il n’est pas le seul. Le cadre national n’est plus aujourd’hui la seule perspective qui s’offre aux peuples. C’est surtout vrai en Europe.
Sur le plan de l’esprit et, surtout, dirais-je, de l’amitié, une Wallonie, Etat indépendant dans la Confédération belge, est plus proche de la France que jamais, formant avec elle une communauté spirituelle solide. Sur le plan des réalisations culturelles, en matière de développement économique, en matière d’organisation de la vie sociale et politique, sur le plan international aussi, via la Francophonie et l’Europe, la Wallonie possède d’importants atouts. Elle a des délégations générales sur t ous les continents, des missions commerciales dans toutes les ambassades belges, des missions diplomatiques qui ne concernent pas que la Belgique ; mais la Wallonie et la Flandre
Tout cela à mon avis n’oriente pas le débat wallon vers des solutions politiques radicales comme une indépendance totale ou la réunion à la France - qui seraient coûteuses à mettre en place et qui sont inutiles tant sur le plan de la liberté que sur le plan spirituel et, en fait, nuisibles. C’est dans le cadre belge en train de s’effacer que nous deviendrons le plus radicalement wallons et les plus ouverts sur les autres cultures et les autres langues, les autres en général qu’il s’agisse de la France, de la Flandre, de Bruxelles, des autres pays d’Europe ou de nos cousins d’Afrique et des Amériques.
Les solutions radicales mentent parce qu’elles font penser au mot de Jean-Marc Ferry : «en politique, tout ce qui est imposé de l’extérieur est faux».
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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