Jean Charest veut parler d'économie, alors parlons-en !

Frais de scolarité : une hausse contre-productive et non efficace!

Autrement dit, le gouvernement Charest fait fausse route en voulant répondre à une idéologie antiétatique, plutôt qu’au besoin réel des Québécois!

Budget 2011-2012 - mars 2011

Avec l’annonce dans le budget 2011 d’une hausse plus que marginale des frais de scolarité, on peut, comme le font la plupart des économistes pro-hausse, y voir beaucoup de points positifs, surtout en ce qui concerne les finances de l’État québécois. Ce que les économistes pro-hausse oublient de mentionner – volontairement ou non – c’est qu’une hausse de cette ampleur aura inévitablement des effets – directs ou indirects selon les études – sur l’accessibilité au système d’éducation postsecondaire québécois, mais aussi sur la productivité de l’économie québécoise.

Pour bien comprendre la nature de mon intervention d’aujourd’hui, il convient tout d’abord de mettre les choses en contexte. La hausse des frais de scolarité décrétée par le gouvernement Charest aura bel et bien un effet néfaste sur l’accessibilité aux études. Un effet, certes, mais pas aussi énorme que ne le laissent entendre certaines associations étudiantes.
Pour ceux qui doutent de la véracité de cette affirmation, notons simplement que lors de la dernière hausse comparable à celle du budget Bachand, la hausse du début des années 90, la fréquentation des universités a chuté globalement de 5,8 % (on parle ici d’une diminution réelle de la fréquentation et pas seulement d’un ralentissement de la progression), passant de 39,7 % en 1992-1993 à 33,9 % en 1997-1998, soit plus de 1 % par an selon les indicateurs de l’éducation du MELS.
À l’époque, toujours selon les rapports d’indicateurs du MELS, les frais de scolarité étaient passés de 519 $ en 1989-1990 à 1311 $ en 1991–1992, donc une hausse de plus 150 % ! Ce que l’on constate surtout, c’est que les effets de la hausse de sont pas immédiats, ils se répercutent davantage sur les années à venir. D’ailleurs, si l’on pousse notre analyse plus en profondeur, l’on s’apercevra que le taux d’accès aux études supérieures redevient positif (après avoir été négatif durant 5 ans) suite au gel des frais de scolarité intervenu à l’automne 1997. En effet, après le creux de 33,9 % atteint en 1997-1998, le taux de fréquentation des universités remonte graduellement – et de manière continue — pour atteindre 45 % en 2009-2010 (notons cependant un léger ralentissement vers 2006-2007, soit précisément au moment de la dernière hausse de 100 $ par année).
Ainsi, sans m’avancer dans les prévisions, on ne peut nier que la hausse de 75 % des droits de scolarité n’aura aucun effet sur l’accessibilité. C’est d’ailleurs à la même conclusion qu’arrivent les experts du MELS dans un rapport produit en 2007, lorsqu’ils affirment qu’« une hausse des droits de scolarité au Québec pour parvenir à la moyenne observée dans le reste du Canada aurait des effets sur l’accessibilité, c’est-à-dire une baisse de la fréquentation, du même ordre que lors de la hausse des droits qu’a connue le Québec au début des années 90. » Je ne ferai que prendre acte de cette réalité pour démontrer à quel point la décision de M. Charest est donc illogique.
En effet, M. Charest et l'armée d'économistes qui travaille pour lui devraient pourtant savoir que dans la forme du capitalisme, qualifié d’informationnel, qui caractérise la société postindustrielle du XXIe siècle, le progrès technique est la clé de la croissance et du développement économique par la constante repousse de la frontière technologique. Ainsi, plus les techniques de production sont avancées dans un État, plus attractif est celui-ci pour les industries ayant un fort recours au capital dans leur production. Sans parler des investissements directs étrangers (IDE) dans l’économie de cet État. C’est donc un avantage comparatif indéniable pour cet État en question.
Plus importants, le progrès technique et l’éducation sont intimement liés. En effet, un État est en mesure d’assurer le développement de nouvelle technologie par un fort taux de scolarisation (principalement dans les domaines scientifiques et techniques) et un fort investissement en recherche et développement (direct ou indirect). Pour reprendre l’expression de l’essayiste français Emmanuel Todd, les écarts de productivité entre les sociétés développées sont essentiellement explicables par les écarts de performance éducative. Ainsi, la pérennité de la compétitivité et de la croissance de l’économie québécoise ne peut être assurée que par une politique agressive d’accès à l’éducation postsecondaire et un soutien accru à l’innovation, la recherche et le développement (universitaire ou par les entreprises).
En restreignant l'accessibilité aux études comme il vient de le faire dans son dernier budget, M. Charest a un comportement totalement contre-productif et contraire aux principes économiques les plus élémentaires. En effet, il vient compromettre la capacité d’innovation et de recherche de la société québécoise dans un but totalement idéologique et partisan! Le Québec faisant déjà bien piètre figure face au reste du Canada dans son taux de diplomation (85,4 % des jeunes de 20-24 ans pour l’année 2009-2010, contre 91 % pour l’Ontario et 43,7 % pour la seule obtention d’un degré universitaire), une telle politique n’aura guère comme conséquence d’améliorer le portrait, bien au contraire!
En fait, cette manœuvre est due à la stigmatisation constante des dépenses de l’État, par certaines organisations (et commentateurs) et relayée par certains médias, et à une politique économique dictée par le contrôle d’une dette qui est, somme toute, raisonnable si on la compare à la moyenne des pays de l’OCDE (entre 4,3 et 9,7 points sous la moyenne des pays de l’OCDE en 2010 selon les différentes études). Au contraire, une politique efficace devrait davantage être dictée par des impératifs de développement social et économique orientés par une vision à long terme de l’économie et de la société québécoise, visant donc à augmenter l’accessibilité aux études supérieures et le taux de diplomation postsecondaire. Autrement dit, le gouvernement Charest fait fausse route en voulant répondre à une idéologie antiétatique, plutôt qu’au besoin réel des Québécois!
Tout ça, sans parler du retrait progressif de l’État québécois dans le financement de l’éducation postsecondaire, compensé par la dernière hausse des frais de scolarité! En effet, la dernière hausse — de 100 $ par an durant 3 ans – a permis au gouvernement libéral de sabrer dans ces investissements à l’éducation postsecondaire d’un montant à peu près équivalent à la hausse allouée. C’est le constat d’une analyse des dépenses du gouvernement par programme effectuée par la CADEUL et publiée le 18 mars dernier.
En effet, il apparaît qu’entre 2002 et 2011, les dépenses du gouvernement en éducation ont chuté de 1,70 %, même si, au premier abord, l’on pourrait croire à leur augmentation, car le budget du ministère a continué à augmenter au fil des années, mais son poids relatif dans le budget a décru.
Au final, la précédente hausse n’a donc eu pour effet que de transférer une partie du coût de la formation postsecondaire vers les étudiants, sans rétablir une situation d’équilibre des finances pour les universités sous-financées. On peut donc légitimement se demander si le gouvernement diminuera encore, éventuellement, ces dépenses en éducation en espérant que son retrait sera compensé par la dernière hausse des frais de scolarité décrétée par le budget Bachand. Si c’est le cas, le résultat serait, ma foi, grotesque : retour à la case départ en ce qui trait au sous-financement des universités, retrait partiel du gouvernement dans ce financement au détriment des étudiants qui en assureraient maintenant une part chaque année plus grande. Je ne sais pas pour vous, mais cela me fait drôlement penser à une forme de privatisation partielle, et croissante, du système d’éducation postsecondaire québécois.
En définitive, on le voit, la hausse des frais de scolarité décrétée par le gouvernement libéral aura pour effet, non seulement d’augmenter l’endettement étudiant (et donc leur consommation présente et future), de réduire l’accessibilité aux études (donc de réduire le taux de diplomation postsecondaire du Québec), mais, en plus, cette hausse nuira, à plus ou moins long terme, à la capacité d’innovation des entreprises et des travailleurs québécois entrainant, en fin de compte, une perte de compétitivité et un ralentissement de la productivité globale de l’économie québécoise. Bref, une politique non efficace et contre-productive!

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Marc-André Pharand12 articles

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Étudiant en
Affaires publiques et Relations internationales à l'Université Laval,
Blogueur, Militant politique. Combat l'entêtement idéologique !

Québec





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