Fatigue culturelle

Hubert Aquin

La question nationale du Québec a refait surface de façon plutôt spectaculaire dans l'actualité politique lorsqu'un aspirant sérieux à la direction du Parti libéral du Canada (Ignatieff) a reconnu que le Québec formait bel et bien une «nation». On se rend bien compte que, cette fois-ci, plusieurs débats peuvent être considérés comme étant clôt et que, finalement, la table est mise pour de bon pour l'indépendance du Québec.
Dans les années 60, Pierre Elliott Trudeau et Hubert Aquin débattaient de questions philosophiques et politiques. Aquin bombardait ses billets incendiaires dans la revue Liberté et Trudeau lui répondait toujours ponctuellement dans Cité libre. Pour un étudiant à la fin de son parcours -- un Québécois appartenant à la «génération Passe-Partout» --, ces articles demeurent bons mais sentent les cours classiques à plein nez alors qu'une distance historique trop grande semble nous séparer de cette époque. Le débat est resté le même, mais disons que ce sont davantage les baby-boomers qui, une fois de plus, se reconnaissent dans ce langage et cette vision du Québec. Et que, pour pousser plus avant les arguments défendant le projet indépendantiste, il faudra laisser cette rhétorique vieillotte de côté, avec les Godbout de ce monde.
Rappelons-nous tout de même cette observation, désormais célèbre, d'Hubert Aquin dans son fameux article «La fatigue culturelle du Canada français» (paru en 1962 dans Liberté): le Québec est «fatigant» parce qu'il est «fatigué culturellement». Si Hubert Aquin cherchait à comprendre, puis à expliquer à son adversaire que les nationalismes n'entraînaient pas nécessairement la violence, il devait le faire sur le plan philosophique d'abord.
Pour reprendre un autre exemple souvent laissé sous silence, on se souvient du débat qu'avaient eu Aquin et Trudeau sur l'arme nucléaire. Trudeau disait que les nationalismes avaient engendré l'arme; Aquin disait que l'arme existait déjà avant et que nationalisme ne rimait pas nécessairement avec violence.
Bref, le Québec était «fatigant parce que fatigué», mais le débat était bel et bien réel entre Trudeau et Aquin: nous avions deux visions du monde diamétralement et fondamentalement opposées. Or reconnaître le concept de nation québécoise, c'est consentir enfin à argumenter sur le plan plus concret du destin du pays du Québec. En 2006, le jeune dans la mi-vingtaine qui se reconnaît dans la musique festive des Cowboys Fringants et dans celle, revendicatrice, des Loco Locass, le jeune dans la mi-vingtaine qui entend une Jan Wong attribuer une tragédie à la loi 101 sans que le journal le plus important du pays exprime la moindre excuse, le jeune dans la mi-vingtaine qui découvre qu'un parti politique a volé 500 millions de dollars pour étouffer temporairement un débat identitaire profond, ce jeune ne se surprend plus tellement de la tournure de la politique actuelle canadienne quand il voit parader dans le monde un premier ministre canadien évangéliste de droite défendant ouvertement les pétrolières...
Pour ce jeune dans la mi-vingtaine, la réponse bilingue de Justin Trudeau ne semble pas être la solution.
On me demande pourquoi je suis indépendantiste? Allez le demander à Justin, Stephen, Michael, etc.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2008

    Excellent rappel !
    " Dans les années 60, Pierre Elliott Trudeau et Hubert Aquin débattaient de questions philosophiques et politiques. Aquin bombardait ses billets incendiaires dans la revue Liberté et Trudeau lui répondait toujours ponctuellement dans Cité libre. Pour un étudiant à la fin de son parcours — un Québécois appartenant à la « génération Passe-Partout » —, ces articles demeurent bons mais sentent les cours classiques à plein nez alors qu’une distance historique trop grande semble nous séparer de cette époque. "
    Si la confrontation Trudeau-Aquin de 1962 sent les cours classiques, peut-être aurions-nous besoin nous, enfants de la génération "passe-partout" de revoir un peu nos classiques afin de mieux comprendre cet échange-clé au moment de la Révolution tranquille.
    « Et puisque Pierre Elliott Trudeau situe sa recherche sur le plan de la raison, c'est à ce niveau même que je m'efforcerai de dialoguer avec lui. » disait Hubert Aquin à Pierre E. Trudeau en 1962

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