Empoignade burlesque

La mauvaise humeur des partis de l'opposition est le reflet du cafouillage qui caractérise la gestion par les conservateurs du dossier afghan

Proche-Orient : mensonges, désastre et cynisme



Il y a des jours où certains membres de la classe politique font honte à leur profession et à leur pays. À Kandahar, en Afghanistan, sept de nos députés fédéraux se plaignent d'être confinés au périmètre de l'aéroport, ainsi transformé, selon un d'entre eux, en "prison dorée". Au Canada, le critique libéral en matière de défense en rajoute à propos de la supposée mesquinerie du gouvernement conservateur sur la question afghane. Tout cela est pitoyable. Notre engagement en Afghanistan mérite mieux que cette empoignade burlesque.
La situation dans la région de Kandahar, où les troupes canadiennes sont déployées, et dans les provinces avoisinantes est extrêmement dangereuse. Les combats entre les forces de l'OTAN et celles des talibans, les attentats suicides et les assassinats de dignitaires du régime afghan et de membres des élites progouvernementales se multiplient et mettent en péril la paix et la reconstruction dans tout le Sud-Est afghan. La recrudescence de la violence était prévisible. L'an dernier, les militaires français avaient dressé un sombre tableau de la situation sécuritaire dans le pays. Ils parlaient d'"irakisation" de l'Afghanistan en soulignant la double évolution du comportement des talibans: un recours accru aux attentats suicide, inconnus jusqu'alors dans ce pays, et une capacité à s'attaquer directement aux forces occidentales.
Cette stratégie est à l'oeuvre à Kandahar et explique en partie la décision du ministère de la Défense nationale d'empêcher les sept députés, actuellement en visite sur place afin d'évaluer la mission canadienne, de sortir de l'aéroport de la ville. Certains députés ont accueilli froidement cette décision. Claude Bachand, du Bloc québécois, a estimé "anormal que des députés se fassent interdire de circuler" et il a demandé aux militaires quelles seraient leurs réactions si les députés "passaient la barrière et partaient par leurs propres moyens" afin de "voir la vraie réalité". Monsieur Bachand devrait se calmer. Il connaissait parfaitement les règles entourant le voyage et il les a acceptées en entreprenant sa mission. Quant à son désir de "voir la vraie réalité", le député s'imagine-t-il qu'il y accéderait en circulant avec une escorte de fantassins, de véhicules blindés et d'hélicoptères? Je vois mal les Afghans venant à lui afin de "parler vrai". Pour avoir effectué de nombreux séjours en zones de guerre, je peux témoigner que "la vraie réalité" n'existe pas. Le champ de bataille est la plupart du temps une zone d'ombres où nos perceptions nous trompent, surtout pendant un séjour de quelques heures. De plus, dans ce genre de voyage, un groupe de personnalités ne peut espérer se déplacer sans attirer l'attention, et le risque d'attentat est bien réel. En sortant du périmètre de sécurité de l'aéroport, le député pourrait bien revenir... dans un corbillard.
Confusion à Ottawa
Au Canada, l'incident a été vivement dénoncé. Le nouveau critique libéral en matière de Défense, Denis Coderre, y est allé d'une de ses tirades rhétoriques sans commune mesure avec la question en jeu. "La décision du ministre est totalement politique, a-t-il dit. C'est un accroc à la démocratie et une tache sur nos institutions démocratiques que d'empêcher les députés" de procéder à leur évaluation. Vraiment? Monsieur Coderre devrait conserver ses munitions pour des questions plus fondamentales.
Force est de constater toutefois que la mauvaise humeur des partis d'opposition est bien le reflet du cafouillage qui caractérise la gestion par les conservateurs du dossier afghan. Depuis leur arrivée au pouvoir il y a un an, tout n'a été qu'improvisations, retournements et tactiques d'intimidation, le moment fort s'étant déroulé en mai dernier lorsque le gouvernement a donné 48 heures au Parlement afin de débattre et d'adopter une motion prolongeant le séjour des troupes en Afghanistan jusqu'en 2009. Même le président Bush et le premier ministre Blair n'ont pas traité aussi cavalièrement les institutions législatives dans leur précipitation à engager leur pays dans la guerre en Irak.
La manoeuvre conservatrice a laissé des traces et, depuis, l'opposition, les médias et l'opinion publique ont perdu confiance dans la capacité de ce gouvernement à gérer honnêtement notre engagement en Afghanistan. Chaque déclaration est accueillie avec suspicion, chaque décision est vue comme une mesquinerie. L'incident de Kandahar l'illustre bien. Lorsque Stephen Harper, Peter MacKay ou un autre ministre se rendent en Afghanistan, les hélicoptères ne manquent pas pour les transporter. Pourtant, les députés auraient tout intérêt à se demander si l'absence d'hélicoptères n'est pas plutôt le signe de l'intensité des opérations militaires qui se déroulent actuellement dans le sud-est afghan. Qui sait, peut-être ont-ils fait une erreur en se rendant à ce moment précis en Afghanistan alors que l'OTAN ne cesse d'avertir les civils étrangers de limiter leurs déplacements dans ce pays pour l'instant.
Notre présence en Afghanistan doit faire l'objet d'un débat sérieux. Ce pays vit des moments dangereux, et rien sur le terrain n'est encore joué. Il peut, d'un moment à l'autre, sombrer dans le chaos, ou s'engager durablement sur la voie de la paix. Il nous faut donc voir clair et débattre de notre engagement sans a priori.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.
j.coulon@cerium.ca


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