L'expression a été inventée pour expliquer la situation dans laquelle se trouvaient les journalistes qui «couvraient» les guerres américaines récentes. On a dit d'eux qu'ils étaient «embedded» avec l'armée américaine et on a compris que leurs mouvements comme leurs papiers ne seraient jamais complètement libres, mais plutôt placés sous une sorte de «bienveillante surveillance» militaire qui se chargerait de leur bien-être, mais surtout veillerait à ce que leurs articles ne mettent pas les objectifs de l'armée en danger.
Le mot «embedded» était bien choisi car au fond, ce qu'il signifie vraiment, c'est que pour faire son travail, la presse doit un peu coucher avec l'armée. On partage le même lit, on est «embedded».
C'est à ce mot que j'ai pensé cette semaine quand j'ai vu débarquer le conseil des ministres ontarien à Québec. Comme Québécoise, je me suis sentie «embedded» avec l'Ontario. J'en ai été surprise même si je savais que le premier ministre Jean Charest est toujours prêt à s'«embedder» avec tout ce qui se dit canadien et qui s'enroule, sans trop d'états d'âme, dans la feuille d'érable. Mais je trouvais l'opération un peu grosse et je me suis dit que Lord Durham avait dû frétiller dans sa tombe.
Préoccupés que nous étions au Québec par la saga Bernier-Couillard sur fond de sécurité nationale, bien peu de Québécois se sont demandés ce que notre premier ministre était en train de faire avec tous ces ministres ontariens pour qui, la plupart du temps, un voyage au Québec est l'équivalent d'un voyage à Pigalle, ce qui leur permet de «prendre du bon temps» sans trop se soucier de leur image, comme le font les vendeurs de chars en congrès dans une ville étrangère.
Si j'ai bien compris, M. Charest, qui a des comptes à régler avec M. Harper mais qui n'a jamais réussi à le faire seul, a choisi de faire front commun avec le premier ministre ontarien Dalton McGuinty sur un certain nombre de dossiers, et ce dans l'espoir de déstabiliser Ottawa au nom d'un formidable fédéralisme qui unirait l'Ontario et le Québec comme des frères. Une sorte de retour du Haut et du Bas-Canada, rien de moins. Un vrai retour au point de départ d'un fameux malentendu dont nous payons encore le prix aujourd'hui.
Tout le monde aura compris, bien sûr, que l'Ontario est bien plus disposé à écouter les propos venus du Québec que jamais auparavant. Bien plus disposé à se montrer conciliant également parce que sa situation économique est terriblement fragilisée face aux géants de l'automobile américains qui ferment les usines ontariennes sans trop de ménagement et qui disent déjà que même si ça fait mal, ce n'est que le début.
La fulgurante montée du prix de l'essence remet tout en question. Même ce qui était acquis depuis toujours et qui nourrissait l'arrogance ontarienne depuis si longtemps. Le ton est en train de changer. Les Ontariens, pour survivre, ont besoin de faire des alliances.
L'Ouest canadien ne veut rien savoir de l'Ontario. Il suffit de parler de Toronto à Calgary pour savoir ce qu'on en pense dans l'Ouest. Les provinces maritimes ne veulent rien savoir de l'Ontario non plus, elle qui a toujours traité les provinces pauvres comme le Tiers-Monde avec un peu plus de mépris.
Les Canadiens de partout ont toujours affirmé que l'Ontario bénéficiait de plein de privilèges d'Ottawa car les deux gouvernements, souvent, n'en faisaient qu'un, et Ottawa donnait souvent l'impression d'être au service de l'Ontario. Si l'Ontario commence vraiment à souffrir, je le dis sans méchanceté, je crois que les autres provinces vont trouver que ce n'est que justice.
Si les autres ne veulent rien savoir, il reste le Québec. Celui de Jean Charest, ce caméléon qui change de couleur et d'opinion au gré des modes et qui est tout autant conservateur que libéral, selon les sujets à traiter ou les interlocuteurs. Est-il un vrai fédéraliste? Difficile à dire. Quand il fréquente les Français, il se donne des airs de souverainiste, mais il a toujours une position de repli dans sa poche. Quand il fréquente Ottawa, parfois il a l'air plus conservateur que Harper lui-même, mais il joue au libéral dès qu'il est rentré à Québec.
Stephen Harper pense qu'il traite avec un conservateur. McGuinty, lui, s'affiche avec un autre libéral. Il n'est pas exclus que Nicolas Sarkozy pense que Charest est celui qui va faire l'indépendance du Québec. Allez donc savoir ce qui se dit derrière des portes closes.
«Embedded» à gauche, à droite, pour un jour, pour toujours. Un peu, beaucoup, à la folie. Qui est la vraie girouette nationale?
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