Ça roulait des mécaniques, lundi, à Québec, et le bruit a été assez puissant pour faire réagir le ministre fédéral de l'Environnement, John Baird. Selon son habitude, il a joué les matamores et affiché son mépris pour l'entente survenue entre les premiers ministres québécois et ontarien, Jean Charest et Dalton McGuinty, sur les changements climatiques. À court ou moyen terme, son chef et lui savent que cet accord les fait mal paraître et les isole encore plus sur le front environnemental. Sa réaction était à prévoir.
À long terme, cependant, c'est la volonté de concertation des deux plus grandes provinces canadiennes qui pourrait avoir le plus de conséquences. De toutes les provinces, seuls l'Ontario et le Québec ne faisaient encore partie d'aucun bloc régional destiné à favoriser la coopération interprovinciale.
Il est vrai que parler d'un bloc est encore prématuré, car ce n'est pas la première fois que les deux provinces font front commun face à Ottawa. Mais ce qui est différent, cette fois, tient tant au fond qu'à la méthode. Jamais les deux conseils des ministres n'avaient tenu de réunion conjointe, et si on en croit les propos de MM. Charest et McGuinty, ce ne sera pas la dernière. Ils promettent de répéter l'expérience l'an prochain à Toronto.
Les deux hommes ont aussi présenté les rapports entre les deux provinces sous l'angle d'une alliance du Canada central face à un gouvernement fédéral «qui n'a pas le monopole du bien commun», aux dires mêmes de Jean Charest. Dalton McGuinty est allé un cran plus loin, faisant référence à Pierre Elliott Trudeau, qui accusait Joe Clark de vouloir transformer le fédéral en serveur à la table des provinces. Selon M. McGuinty, Stephen Harper «n'est même pas dans le restaurant [...] et nous ne le cherchons pas». Au-delà de la rhétorique, ces paroles laissent transparaître une évolution de l'approche de l'Ontario en matière de relations intergouvernementales, vision où le fédéral jouerait un rôle plus marginal.
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L'Ontario n'a pourtant jamais montré un grand intérêt pour ce qu'on appelle l'interprovincialisme, même quand les autres provinces s'y mettaient. Dès le début des années 1970, les premiers ministres des Maritimes ont transformé leur conférence annuelle en processus formel de coopération qui a donné naissance à une foule d'ententes depuis. En 1973, les premiers ministres de l'Ouest faisaient de même. En 1989, le Conseil des premiers ministres de l'Atlantique voyait le jour, les Maritimes s'associant avec Terre-Neuve.
Le Québec, de son côté, a toujours cultivé ses relations avec les autres provinces et plusieurs gouvernements régionaux étrangers. On n'a qu'à penser à sa participation à la Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'Est du Canada, ou encore au Conseil des gouverneurs et premiers ministres de la région des Grands Lacs. La première existe depuis 35 ans et le second, depuis près de 25. Il y a aussi les liens avec la Californie, la Bavière ou la Catalogne...
Il est vrai, par contre, que la Conférence annuelle des premiers ministres, qui réunit les dix provinces depuis 1960, a longtemps fait figure de concert de lamentations. Mais cela aussi a changé au cours de la dernière décennie.
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Deux phénomènes peuvent expliquer cette évolution dont la rencontre de lundi est l'aboutissement. D'une part, il y a eu, à l'échelle canadienne, les compressions unilatérales imposées aux provinces par Paul Martin à la suite de son budget de 1995 et de sa lutte contre le déficit. Du coup, les provinces voyaient les sommes destinées à la santé, l'aide sociale et l'éducation postsecondaire réduites de 7 milliards. Après un premier élan d'indignation, les premiers ministres ont décidé de structurer leurs relations et de créer des groupes de travail qui viendraient appuyer les travaux de la conférence annuelle. Quand, en 2003, le premier ministre Charest a proposé la création du Conseil de la fédération, le fruit était mûr. Les provinces y ont trouvé leur intérêt. À l'avenir, elles mèneraient la danse du fédéralisme exécutif et pourraient le faire sans le fédéral à la table.
L'autre explication possible de cette évolution est l'influence croissante qu'exercent les gouvernements subnationaux à travers le monde. Cette résurgence a coïncidé avec l'avènement d'une nouvelle génération d'accords commerciaux dictés par la mondialisation. Traditionnellement, ces ententes portaient sur le commerce des biens, mais durant les années 1980, la pression s'est accentuée pour y inclure les services. Or, dans beaucoup de pays, la plupart des services (programmes sociaux, santé, éducation, formation, etc.) relèvent des gouvernements provinciaux ou régionaux, et ces derniers ont acquis par ricochet un plus grand pouvoir de négociations. En effet, sans leur accord, du moins au Canada, impossible de mettre une entente commerciale en oeuvre dans un de leurs domaines de compétences.
Dans le cas de l'Ontario, une autre raison s'ajoute: la donne a changé pour elle. Les conservateurs la traitent de façon cavalière et cherchent à l'isoler au moment où le coeur économique du pays se déplace graduellement vers l'Ouest. Et pendant que l'Ontario s'inquiète, les premiers ministres de l'Ouest débordent de confiance. Il fallait les voir la semaine dernière, en Saskatchewan, lors de leur conférence annuelle. Il n'était plus question d'aliénation de l'Ouest, mais de marché commun (il existe déjà un accord très étendu entre l'Alberta et la Colombie-Britannique), d'élan économique, d'influence à exercer.
Stephen Harper, qui dit vouloir respecter les compétences des provinces (on attend toujours son projet pour contrôler le pouvoir fédéral de dépenser), devrait saluer ce désir des provinces de ne plus attendre Ottawa pour s'organiser et assumer leurs responsabilités. Sauf qu'il a toujours considéré que la gestion de l'union économique relevait d'Ottawa, et voilà que les provinces sont en train de s'en charger sans lui.
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