Médias

Éloge de l'engagement

Au fond, c'est l'idée que le savant ou l'artiste ou l'écrivain demeurent des citoyens et qu'à ce noble titre partagé, ils ont parfaitement le droit et peut-être le devoir strict de participer au débat public.

IDÉES - la polis



Chouette, une belle bataille de chroniqueurs-vedettes! Joseph Facal et Jean-François Lisée s'affrontent effrontément depuis une semaine par l'entremise de leurs tribunes plus ou moins dématérialisées. Leurs échanges stimulent la réflexion, en particulier sur l'engagement.
L'escarmouche a débuté fin septembre. Dans sa chronique du Journal de Montréal, M. Facal défendait l'idée de «poser autrement la question nationale». Le jour même (le 27), M. Lisée lui reprochait sur son blogue de L'Actualité cette «évolution (fulgurante) de la pensée».
TVA a ensuite révélé la participation de l'ancien ministre péquiste aux discussions d'un embryon politique de centre droit pour ainsi dire anticonstitutionnaliste, le groupuscule Force Québec rassemblé par François Legault. Les salves des deux chroniqueurs-blogueurs se poursuivent depuis. M. Facal a même traité M. Lisée de «préfet de discipline du souverainisme officiel». Ayoye!
Évidemment, il n'y a rien d'extraordinaire à voir deux bonzes indépendantistes s'entre-déchirer. L'ergoteuse chicane fratricide semblait déjà la maladie infantile du péquisme, alors rendu à la sénescence...
S'impliquer à fond
Parlons donc plutôt de cet intérêt à voir deux universitaires-chroniqueurs s'impliquer à fond dans une cause politique. Car tout en bloguant et en chroniquant au magazine L'Actualité, M. Lisée dirige le Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal. Tout en publiant au Journal de Montréal, M. Facal enseigne comme professeur agrégé à HEC Montréal.
Savant, militant et bête à média, c'est donc possible? Max Weber pensait pouvoir trancher au rasoir entre la description objective de la réalité sociale et les jugements de valeur liés à l'intervention sociopolitique. D'autres, comme Pierre Bourdieu ou Guy Rocher, ne veulent pas séparer la compétence académique et l'engagement. Pour eux, la connaissance critique peut guider l'action. Mieux, la résistance analytique doit s'affirmer contre les vulgarités béotiennes souvent charriées par les médias.
Au fond, c'est l'idée que le savant ou l'artiste ou l'écrivain demeurent des citoyens et qu'à ce noble titre partagé, ils ont parfaitement le droit et peut-être le devoir strict de participer au débat public. Les prix Nobel de la paix et de littérature ont d'ailleurs été décernés la semaine dernière à des écrivains engagés. Le romancier Mario Vargas Llosa, remarquable polémiste libéral dans les médias, s'est présenté à la présidence du Pérou en 1990. L'ancien professeur de littérature Liu Xiaobo, Nobel 2010 de la paix, croupit en prison pour avoir fait circuler une pétition réclamant une Chine plus démocratique.
Le retrait des intellos
Ces engagements politico-médiatiques ont aussi le mérite de rappeler le retrait de l'espace public des autres intellos. Leur désaffiliation du social va souvent de pair avec l'hyperspécialisation stérile des sciences sociales. Les «fonctionnaires de l'humanité» (Bourdieu, encore), pour ne pas dire les corporatistes du particulier, s'esquivent et retraitent confortablement.
Les pros du commentaire viennent combler ce vide. Ce qui pousse à se demander quelle est la différence entre le savant-militant-commentateur (minoritaire) et le chroniqueur-journaliste (en surnombre)? Quelle est la différence entre Joseph Facal et Denise Bombardier, Gilles Courtemanche et Michel David qui ont tous écrit dans Le Devoir de samedi sur le groupe Force Québec? Y a-t-il, d'un côté, le franc dévoilement des convictions du prof-politicien et, de l'autre, la factice neutralité axiologique du journaliste? Faut-il plutôt situer chacun sur un continuum allant pour ainsi dire du gérant d'estrade au joueur en puissance? Ou de l'observateur critique au spectateur engagé? Après tout, André Pratte, de La Presse, a pu signer le manifeste des «lucides» un soir et un éditorial le lendemain.
La chicane fait aussi se poser des questions sur le positionnement (ou l'engagement) des médias à l'ère de l'hypermédiatique. Quand tout le monde dit la même chose, ou presque, c'est bien de trouver et de garder sa voix distincte. Jean-François Lisée en donne un autre bon exemple en publiant sa «réplique à Maclean's» dans le dernier numéro de L'Actualité pour défendre le Québec attaqué par l'autre magazine pour «over-corruption». Une bataille de médias-vedettes cette fois...


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