Dollard-des-Ormeaux

Dollard des Ormeaux est devenu un véritable mythe au Québec

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire







Le nom du jour férié québécois "Fête de Dollard-des-Ormeaux" a été changé pour la "Fête des Patriotes" (lundi précédant le 25 mai).
Dollard des Ormeaux est devenu un véritable mythe au Québec.

D'abord oublié puis redécouvert par l'histoire il y a environ 150 ans, Dollard est devenu un icône culturel, un symbole de patriotisme et de courage. On lui a élevé statue, on a donné son nom à une ville de l'ouest de l'île de Montréal, on a même rebaptisé le congé de la fête de la reine (Victoria) en son honneur.

Mais qui était vraiment cet homme?

Adam Dollard, sieur des Ormeaux, est recruté par Maisonneuve et se défriche une terre dans la petite colonie de Ville-Marie (Montréal). Âgé de 25 ans et arrivé en Nouvelle-France, dite Canada, depuis deux ans, il est maintenant officier de la garnison occupe un petit poste de commandement.

La situation n'est pas rose en 1660. La Nouvelle-France , communément appelée Canada, est au bord de la catastrophe. La population de la colonie ne dépasse toujours pas 1500 habitants dont 400 seulement à Montréal.

Les Iroquois multiplient leurs raids sanglants sur la colonie et les habitants de Ville-Marie vivent dans un état de siège presque constant. Les guerres iroquoises rendent la traite des fourrures presqu'impossible, les colons vivent à crédit et les marchands parlent de quitter le pays. Comme si ce n'était pas assez, une rumeur court selon laquelle les Iroquois s'apprêtent à donner le coup de grâce à la colonie française.

Autour de la personne de Dollard, il y a eu, pendant longtemps, de longues controverses.

Personnage mythique, ayant longtemps servi la cause nationaliste par sa résistance aux forces assiégeant la nation – donc un héros pour une génération de nationalistes – Dollard fut aussi récupéré par les autorités fédérales qui voulaient stimuler l’ardeur guerrière des Canadiens Français, des Québécois lors des deux grandes guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945) du XXe siècle


Dollard des Ormeaux (Adam Dollard, sieur des Ormeaux),
nommé Daulat dans l’acte de décès et Daulac par quelques historiens –, soldat, « commandant en la garnison du fort de Ville-Marie », est né en 1635 et est décédé à 25 ans, tué entre le 9 et le 12 mai 1660 par les Iroquois, au Long-Sault.

On ne connaît rien de l’activité de Dollard avant à son arrivée en Nouvelle-France, dite Canada, sinon qu’ « il avait eu quelques commandements dans les armées de France ».

Venu à Montréal comme volontaire, très probablement en 1658, il y poursuit sa carrière militaire.

En 1659 et 1660, il est qualifié « officier » ou « commandant en la garnison du fort de Ville-Marie », titre qu’il partage avec Pierre Picoté de Belestre. On ignore du reste quelle est sa responsabilité particulière. Dollard songe peut-être à s’établir.

À la fin de 1659, Chomedey de Maisonneuve lui donne une terre de 30 arpents. En 1661, on estimait à 79ª 10s. la somme que Dollard avait consacrée « À faire Travailler sur lad. Concession », « pour Cinquante Trois journées d’homme ».

À Montréal, Dollard jouit d’une excellente réputation. Les témoignages directs, il est vrai, en sont peu nombreux : la Relation le dit « homme de mise et de conduite » ; et Dollier de Casson, « garçon de cœur et de famille ».

Mais Dollard a mérité la confiance du gouverneur et l’estime de ses concitoyens. À qui connaît le climat social et religieux de Ville-Marie en 1660, faut-il meilleure recommandation ?

Il aurait été impensable, par exemple, que Maisonneuve promût commandant de la garnison un officier dont la conduite n’eût pas été irréprochable.

Lambert Closse l’aurait-il choisi pour parrain de sa fille Élisabeth (3 octobre 1658) ; aurait-on, vingt fois, réclamé sa présence comme témoin lors de la signature, devant Bénigne Basset, de conventions du toutes sortes, si Dollard n’avait été un homme parfaitement honorable ?

Maisonneuve, enfin, l’aurait-il laissé partir pour le Long-Sault, en avril 1660, s’il n’avait eu en lui la plus entière confiance ?

Certes, on a beaucoup médit de Dollard, voleur de fourrures et forte tête.

Ces accusations, toutefois, ne s’appuient sur aucune preuve documentaire et sont de surcroît contredites par les faits.

Mais la tentation était belle d’épiloguer :
Dollard « aurait été bien aise de se pouvoir distinguer, écrit Dollier de Casson, pour que cela puisse lui servir à cause de quelque affaire qu’on disait lui être arrivée en France ».

Quelles étaient la nature et la gravité de cette « affaire » ? Nous n’en savons rien.

Il serait peu raisonnable d’échafauder des hypothèses sur une donnée aussi fragile et qui a tout l’air de on-dit.

Qu’il suffise de constater que Dollard mene, à Montréal, une vie rangée et qu’il est bien vu de ses supérieurs et de ses concitoyens. Voilà donc cet homme qui, au printemps de 1660, prend la tête d’une expédition vers l’Outaouais.

Ses 16 compagnons étaient tous, comme lui, célibataires et Montréalistes.

Huit d’entre eux étaient débarqués à Ville-Marie en 1653 :

Jacques Brassier, 25 ans ;
François Crusson, dit Pilote, 24 ans ;
René Doussin, 30 ans, meunier et soldat ;
Nicolas Josselin, 25 ans, originaire de Solesmes, en Normandie ;
Jean Lecompte, 26 ans, bêcheur et bûcheron, de la paroisse de Chamiré-en-Charnie, au Maine ;
Étienne Robin, dit Des Forges, 27 ans ;
Jean Tavernier de La Forest, dit La Lochetière, 28 ans, armurier, originaire de Roëzé, dans le Maine ;
et Jean Valets, 27 ans, laboureur, de la paroisse de Thorie (al. Teillé), au Maine.

Les huit autres étaient arrivés en 1658 ou peu avant :

Christophe Augier, dit Desjardins, 26 ans ;
Jacques Boisseau, dit Cognac, 23 ans ;
Alonié Delestre, l’aîné des Dix-Sept, âgé de 31 ans, chaufournier ;
Simon Grenet, 25 ans ; Roland Hébert, dit Larivière, 27 ans ;
Robert Jurie, 24 ans ; Louis Martin, le cadet du groupe, âgé de 21 ans, vacher ;
et Nicolas Tiblemont, 25 ans, serrurier.

Du fait d’armes de 1660, il existe une version traditionnelle, bien que relativement récente. Au xviie siècle, le souvenir de Dollard et de la défense du Long-Sault s’était vite perdu.

Près de deux siècles durant, à l’exception du jésuite Charlevoix et de François-Xavier Garneau, qui lui consacrèrent chacun un bref paragraphe, historiens et chroniqueurs ignorent cet épisode de la guerre iroquoise.

Ce n’est qu’au xixe siècle, à la suite de la découverte du manuscrit de l’Histoire du Montréal de Dollier de Casson, que les abbés Jean-Baptiste Ferland et Étienne-Michel Faillon firent du combat de 1660 des récits circonstanciés où l’émotion et la grandiloquence – chez Faillon particulièrement – n’étaient pas absentes.

En 1912 et 1913, dans The Canadian Antiquarian and Numismatic Journal, É.-Z. Massicotte publiait de nombreux documents inédits sur Dollard et ses compagnons : pièces notariées, testaments, acte de décès des Dix-Sept, inventaires de biens, etc.

En 1920, dans la recension qu’il fait de la plaquette de Massicotte, Gustave Lanctot montre, en s’appuyant sur les documents qui y étaient présentés – et qui avaient manqué à l’historien William Kingsford qui s’efforçait de ramener l’« exploit » à de plus réalistes proportions, pour l’établissement de sa preuve –, que Dollard et ses compagnons ne croyaient pas aller à une mort certaine, qu’ils ignoraient l’imminence d’une invasion iroquoise et qu’ils n’étaient pas, par conséquent, les sacrifiés volontaires qu’on avait voulu voir en eux.

En dépit de la nouveauté et de la hardiesse de ces affirmations, l’article de Lanctot n’eut pas de répercussions immédiates. Mais, dans certains milieux, Dollard – que des campagnes publicitaires avaient mis à la mode – était déjà sujet de discussions.

En 1932, commença une vive polémique. Engagée dans les journaux, poursuivie dans les revues spécialisées et, bientôt, à la radio et à la télévision, 30 ans après, la polémique dure encore. Il est peu d’historiens qui n’en aient, un jour ou l’autre, attisé la flamme ; mais, phénomène qui mérite d’être signalé, le public – et la jeune génération surtout – est entré dans le débat qui, depuis longtemps, n’est plus la chasse gardée des historiens.

Il faut donc reprendre, point par point, le récit traditionnel et, par une analyse patiente et objective des sources, tenter de faire la lumière sur cet épisode de la guerre iroquoise, sans entrer pour autant dans les virulentes polémiques et les âpres débats auxquels il a jusqu’ici donné lieu.

Le but de l’expédition du Long-Sault, voilà bien l’aspect le plus difficile et le plus discuté de l’affaire Dollard.

Les Dix-Sept savaient-ils qu’une armée iroquoise s’apprêtait à envahir la colonie ; marchaient-ils, sacrifiés volontaires, à la rencontre de l’ennemi ? Et si, par hasard, ils ignoraient le projet des Iroquois, quel objectif poursuivaient-ils ?

Sur l’objectif de l’expédition, les sources présentent des témoignages concordants.

Le père Chaumonot, dont le récit fut reproduit textuellement par Marie de l’Incarnation dans une lettre à son fils du 25 juin 1660, écrit :

« Dès le mois d’avril 1660, dix-sept braves Français volontaires de Montréal, prirent le dessein de se hasarder pour aller faire quelque embuscade aux Iroquois... »

La Relation de 1659–1660 corrobore cette affirmation :

« Quarante de nos Hurons [...] partirent de Québec sur la fin de l’hiver passé, pour aller à la petite guerre, & dresser des embusches aux Iroquois à leur retour de la chasse. [...] Estant arrivez en suite à Montréal, ils trouverent que dix-sept François [...] avoient desia lié partie dans le mesme dessein qu’eux... »

Radisson donne aussi une version tout à fait semblable :

« Vous devez savoir que 17 Français prirent la décision avec quatre Algonquins de s’associer avec une soixantaine de Hurons pour aller et attendre les Iroquois dans le Passage au retour de la chasse avec leurs castors, espérant les battre et les anéantir facilement, étant dépourvus alors des choses nécessaires. Si l’un a son fusil, il n’a plus de poudre, et ainsi du reste. »

Enfin, Dollier de Casson ne s’exprime pas autrement :

« Sur la fin d’avril, M. d’Aulac [...] voulant faire ici quelque coup de main et digne de son courage, tâcha de débaucher 15 ou 16 Français [c.est-à-dire. de leur faire quitter leurs occupations habituelles] afin de les mener en parti au dessus de cette Isle, ce qu’on n’avait pas encore osé tenter. »

Les narrateurs du combat du Long-Sault auraient-ils omis de nous renseigner sur le dessein de Dollard, que nous aurions le témoignage de l’un des Dix-Sept : dans son testament, Jean Valets déclare qu’il est désireux d’
« aller en party avec Lesr. Dollard, cour sur les petittes bandes hiroquoises et nos Ennemis... »

Se peut-il souhaiter plus entière unanimité ?

Les documents établissent sans doute possible le caractère militaire de l’expédition du Long-Sault ; mais c’est une entreprise militaire à la mode indienne.

La « petite guerre » consiste pour un « parti » – quelques dizaines d’hommes tout au plus – à « cour sur les petittes bandes » ennemies et à leur « dresser des embusches », dans le but de les « anéantir » ou de faire des prisonniers.

Guerre de surprise essentiellement, où la patience et l’endurance doivent s’allier au courage et à la ruse ; guerre qui a ses exigences et ses lois. L’ennemi repéré, l’on se met à l’affût, attendant le moment de l’attaquer à l’improviste, si l’on est le plus fort ; si l’adversaire est supérieur en nombre, il est de règle de se dérober au combat. Véritable chasse au gibier humain, parfaitement adaptée aux forêts de la Nouvelle-France , dite Canada .—

Dollard partait pour la petite guerre ; mais il n’avait pas laissé au hasard le soin de tracer son itinéraire. Il pointa ses canots vers le Long-Sault, « passage infaillible [des Iroquois] au retour de leurs chasses ».

La guerre iroquoise, dont le combat du Long-Sault n’est qu’un douloureux épisode, était avant tout de caractère économique.

Les Iroquois avaient besoin de fourrures et n’en trouvaient plus dans leurs propres territoires (au sud du lac Ontario, près de New York). Ils étaient donc forcés de chasser dans le Nord de l’Outaouais et dans la région des Grands Lacs. Ils y passaient généralement l’hiver, revenant au printemps par l’Outaouais.

En 1671, le sulpicien Salignac de La Mothe-Fénelon décrivait ces migrations annuelles :

« Les Iroquois chassent par petites bandes fort éloignées les unes des autres et dispersées sur une étendue de près de 150 lieues. Ils reviennent de chasse en petites troupes, très embarrassés de leur butin fait de fourrures et de viande. Ce qui donnerait grande facilité aux Français de les attendre sur le chemin avec des canots débarrassés de toutes choses et chargés seulement d’hommes et d’armes. »

N’était-ce pas mettre en lumière, 11 ans après, le dessein de Dollard ?

En 1660, il y avait 20 ans déjà que les Iroquois agissaient ainsi et personne ne l’ignorait en Nouvelle-France, dite Canada.

« Au printemps, écrivait d’Argenson, les chasseurs [iroquois] ne sont point encore touts rassemblés et probablement ne sont pas beaucoup fournis de munitions de guerre parce qu’ils les ont employés dans leurs chasses de l’hiver... »

On croirait lire Radisson :

« Si l’un a son fusil, il n’a plus de poudre, et ainsi du reste. »

C’est en partie pour profiter de cette dispersion et de ce dénuement des chasseurs iroquois que Dollard jeta son dévolu sur l’Outaouais et s’arrêta au pied du Long-Sault, où la manœuvre des canots, particulièrement difficile à cause des courants, mettrait l’ennemi à sa merci.

Sans nier tout à fait l’objectif militaire de l’expédition, certains historiens le subordonnent à un autre but : la « capture », les armes à la main, des « profitables fourrures » des Iroquois.

Dollard, certes, ne pouvait ignorer que les canots iroquois seraient lourds de pelleteries ; il était normal et de bonne guerre qu’il rêvât d’un riche butin.

Mais la quasi-certitude qu’il en fût ainsi n’autorise pas pour autant l’historien à faire de la cueillette des fourrures iroquoises le but premier de l’expédition. Ce serait aller à l’encontre de tous les témoignages contemporains.

Dollard du reste ne s’attendait pas à n’affronter que des chasseurs. La présence de guerriers sur l’Outaouais, à cette époque de l’année, était trop bien connue pour qu’il se berçât d’illusions.

En quête de fourrures, les Iroquois avaient depuis longtemps imaginé d’intercepter les convois en route vers les factoreries du Saint-Laurent. Dissimulés dans les « passages », ils attendaient les canots, massacraient les équipages et raflaient les cargaisons.

Plus d’une fois le blocus de l’Outaouais conduisit la Nouvelle-France, communément dite Canada, à deux pas de la ruine. Le premier dans l’histoire de la colonie, Dollard se serait-il donné pour mission, en nettoyant les rives de l’Outaouais, d’assurer la libre navigation aux flottilles alliées ?

Radisson, particulièrement intéressé à cette opération, l’affirme expressément :

« Nos ennemis [les Iroquois] savaient que les voyageurs (nous qui étions montés aux Grands Lacs) étaient par là-bas et qu’ils ne manqueraient pas de descendre avec un parti, et que ce serait un brillant exploit et une action héroïque que de les anéantir tous, ce qui, par conséquent, jetterait la frayeur à la fois chez les Français et chez les Sauvages ;

car les uns ne pouvaient pas vivre sans les autres, les uns offrant leurs commodités, les autres leurs castors ; de sorte que les Iroquois, en vue de nous attendre dans le passage, s’y donnèrent rendez-vous. Les Français [les Dix-Sept] et leurs compagnons

Des 40 Hurons et les 4 Algonquins], voulant effrayer l’Iroquois et l’arrêter de venir en ces lieux si souvent avec assurance, résolurent de lui tendre un piège. »

Bien plus, il ne fait pas de doute que l’expédition de Dollard cherchait, entre autres objectifs, à protéger la descente des Outaouais – ou Nez-Percés – conduits par Radisson et Chouapt Des Groseilliers.

Seul le jésuite Chaumonot en parle, mais l’affirmation est sans détours :

« un capitaine Onnontageronon avança sans armes jusqu’à la portée de la voix pour demander quelles gens étaient dans le fort, et ce qu’ils venaient faire. On lui répond que ce sont des Français, Hurons et Algonquins [...] qui venaient au-devant des Nez-Percés. »

Dans le contexte des faits rapportés plus haut, cette déclaration projette une lumière crue sur ce qui pourrait bien avoir été l’objectif ultime des Dix-Sept.

Son projet ayant reçu « l’approbation et l’agrément de ceux qui commandaient », Dollard consacra vraisemblablement une partie de l’hiver à se préparer, recrutant des volontaires et s’approvisionnant « pour tout l’été ».

Lambert Closse, Charles Le Moyne et Pierre Picoté de Belestre auraient aimé se joindre à lui, si Dollard eût consenti à « différer son entreprise jusqu’après les semences » ; mais Dollard refusa, d’autant qu’il aurait dû céder « l’honneur du commandement ». Le départ fut fixé au 19 avril 1660.

À peine les canots eurent-ils pris le large, au jour dit, que des clameurs se firent entendre à l’île Saint-Paul, (l’île des Sœurs) en face de Montréal. S’y portant à la hâte, la troupe de Dollard força un parti d’Iroquois à se disperser dans les bois, trop tard cependant pour sauver les trois Français victimes de cette attaque : Nicolas Duval avait été tué et ses compagnons, Blaise Juillet et Mathurin Soulard, s’étaient noyés en tentant d’échapper à l’ennemi.

Confisquant le canot iroquois, Dollard ramena à Ville-Marie le corps de Duval et assista probablement aux obsèques, le lendemain. Au second départ, l’expédition comptait un dix-septième volontaire qui, après avoir manqué à sa parole la veille, venait de se raviser.

Parti de Montréal le 20 avril, Dollard ne fut au Long-Sault que le 1er mai (Chaumonot). En dépit de la présence de glaçons sur la rivière et du fait que
« leur marche se faisoit de nuit pour n’estre point découverts »,

Ayant atteint le pied du Long-Sault (1er mai), Dollard installa tant bien que mal sa troupe dans un fort abandonné que des Algonquins avaient construit, l’automne précédent, sur une petite hauteur.

Le lendemain, dimanche, des éclaireurs aperçurent quelques Iroquois, venant à la découverte, qui prirent aussitôt la fuite. L’annonce de cette rencontre créa un certain émoi parmi les Hurons, dont l’un insista même pour que l’on retournât incontinent à Montréal ; on convint finalement de « faire le jour suivant une contre-palissade pour fortifier celle qu’ils avaient trouvée ».

Mais l’ennemi, alerté par ses avant-coureurs, ne leur en donna pas le loisir :
la « hache à la ceinture », « le fusil à la pointe du Canot & l’aviron à la main », 200 (al. 300) Onontagués (tribu amérindienne iroquoise) débouchaient bientôt sur la rivière. « Surpris d’une si prompte et si reglée démarche »,
Dollard et ses hommes, abandonnant les préparatifs de leur repas, s’enfermèrent précipitamment dans le fort.

De part et d’autre, la fusillade éclata, sans même que l’on eût le temps de se reconnaître.

Après quelques salves, un capitaine onontagué s’avança, sans armes, pour savoir « quelles gens étaient dans ce fort et ce qu’ils venaient faire ». « Des Français, Hurons et Algonquins au nombre de cent hommes, lui fut-il répondu, qui [viennent] au-devant des Nez-Percés. »

L’Iroquois proposa alors une trêve, le temps de tenir conseil ; désireux de renforcer leur abri, les Français acceptèrent, à condition que l’ennemi se retirât de l’autre côté de la rivière. Mais, loin de gagner l’autre rive, les Iroquois se mirent à élever des palissades, cependant que les alliés s’employaient à se fortifier le plus possible.

Dollard et les siens n’avaient certes pas prévu pareille rencontre. Ils avaient espéré trouver, à l’ordinaire, de petites bandes éparses de chasseurs. Or, exceptionnellement, en 1660, les Iroquois s’étaient rassemblés sur l’Outaouais, au retour de la chasse, parce qu’ils avaient rendez-vous dans les îles du Richelieu avec 500 guerriers qui les attendaient pour se lancer à l’attaque de la colonie française.

C’était donc à un corps de l’armée d’invasion que Dollard se heurtait. Il n’était pas au bout de ses surprises.

Les alliés n’avaient pas fini de fortifier leur abri que déjà les Iroquois montaient à l’assaut. Un feu nourri les contraignit vite à reculer en désordre, en abandonnant sur le terrain des morts et des blessés. Quelques Hurons bondirent hors de la palissade, coupèrent la tête d’un capitaine onontagué et
« l’érigèrent en trophée au bout d’une pique sur la palissade ».

Furieux, les Iroquois firent une seconde tentative, attaquant les alliés par derrière, semble-t-il, pour les n-deux surprendre. Cette fois encore, ils furent si vigoureusement repoussés que, de l’aveu des Onontagués eux-mêmes, si les alliés
« les eussent suivis les battant en queue, ils les eussent tous perdus ».
Peut-être, en n’ordonnant pas une sortie, Dollard commit-il l’erreur qui lui coûta la victoire.

À la suite de ce deuxième échec, les Onontagués dépêchèrent un canot aux îles du Richelieu pour solliciter le secours des 500 Agniers (Mohawks en anglais, Maquas ou Maquois en hollandais, tribu amérindienne iroquoise)et Onneiouts (tribu amérindienne iroquoise) qui les y attendaient.

Ce renfort n’arriva que le cinquième ou le septième jour. Entre-temps, bien retranchés derrière leurs palissades, les Iroquois exerçaient une surveillance constante sur le fort des alliés, faisant feu chaque fois que quelqu’un tentait d’en sortir.

Enfermés dans leur étroit réduit comme dans un piège, manquant presque totalement d’eau parce qu’ils étaient sur une colline, les Français et leurs alliés se trouvèrent bientôt dans une situation extrêmement pénible :

« Le froid, la puanteur, l’insomnie, la faim et la soif les fatiguaient plus que l’ennemi. La disette d’eau était si grande qu’ils ne pouvaient plus avaler la farine épaisse dons les gens de guerre ont coutume de se nourrir en ces extrémités. Ils trouvèrent un peu d’eau dans un trou de la palissade, mais étant partagée à peine en eurent-ils pour se rafraîchir la bouche. La jeunesse faisait de temps en temps quelques sorties par-dessus les pieux, car il n’y avait point de portes, pour aller quérir de l’eau à la rivière à la faveur de quantité de fusiliers qui repoussaient l’ennemi ; mais comme ils avaient perdu leurs grands vaisseaux [abandonnés sur la plage à l’arrivée des ennemis], ils n’en portaient que des petits qui ne pouvaient fournir à la nécessité de soixante personnes, tant pour le boire que pour la sagamité (sagamité nf (sa-ga-mi-té) bouillie de farine de maïs dont se nourrissent diverses tribus sauvages de l'Amérique du Nord). »

Au surplus, les Hurons et les Algonquins se targuant de répondre à chaque décharge ennemie, les munitions commençaient à manquer.

Telle était la situation précaire du parti de Dollard quand arrivèrent les 500 guerriers du Richelieu. Dès lors, il n’y avait plus à se faire d’illusions sur la tournure du combat.

Aussi Annaotaha, le chef huron, proposa-t-il que, par le moyen d’un Onneiout « huronisé » de son groupe, l’on tentât d’obtenir « quelque bonne composition ». La suggestion acceptée, on chargea de présents l’Onneiout et deux Hurons « des plus considérables » et on les instruisit de ce qu’ils avaient à dire.

Pendant que ces parlementaires se dirigeaient vers le camp ennemi, leurs compagnons d’armes faisaient des prières « pour recommander à Dieu l’issue de cette ambassade ».

D’autre part, des Hurons « iroquoisés », qui faisaient partie de l’armée iroquoise, profitèrent de la trêve pour supplier leurs compatriotes du parti français d’abandonner un combat inégal pendant qu’il était encore temps, les assurant de l’accueil que leur réservaient les Iroquois.

Plusieurs Hurons – 24 ou 30 – franchirent la barricade et passèrent dans l’autre camp. Espérant que la troupe entière déposerait les armes, des Iroquois s’approchèrent du fortin « à dessein de se saisir de ceux qui voudraient prendre la fuite ».

Inquiétés par ce mouvement et peu confiants dans le résultat de l’ambassade, les Français ouvrirent le feu, renversant ceux qui s’étaient aventurés le plus près. Annaotaha reprocha vertement à ses compagnons leur précipitation :

« Ah ! camarades vous avez tout gâté [...]. À présent que vous les avez aigris, ils vont se ruer sur nous d’une telle rage que sans doute nous sommes perdus. »

Le chef huron avait raison : en rompant la trêve avant que les pourparlers n’eussent échoué, les Français venaient de commettre une deuxième erreur.

Ainsi que l’avait prévu Annaotaha, les Iroquois, exaspérés, se lancèrent à l’assaut du fortin. Accueillis par une grêle de plombs, ils ne tardèrent pas à revenir, protégés de
« mantelets [faits] de trois buches liées coste à coste, qui les couvroient depuis le haut de la teste jusqu’à la moitié des cuisses ».

S’abritant derrière ces boucliers de fortune, plusieurs purent s’approcher de la palissade et se glisser « au-dessous des canonnières », où ils travaillaient à ouvrir des brèches. Conscients de ce nouveau danger, les Français « [démontèrent] deux canons de pistolets qu’ils [remplirent] jusqu’au goulet », y allumant une mèche, et s’en servirent comme de grenades, mais sans grands résultats.

Ils songèrent alors à utiliser, de la même façon, un baril de poudre qui, heurtant un obstacle (haut de la palissade ou branche d’arbre), retomba en explosant à l’intérieur du fort. Profitant de cet accident, les Iroquois se saisirent des meurtrières et tirèrent de l’extérieur sur tout ce qui bougeait dans le réduit des Français.

Un de ces derniers,

« voiant que tout estoit perdu, & s’estant aperceu que plusieurs de ses compagnons blessez à mort vivoient encore, [...] les acheva à grands coups de haches, pour les delivrer, par cette inhumaine misericorde, des feux des Iroquois. »

Quand l’ennemi pénétra dans le fort, il n’y trouva vivants que cinq Français et quatre Hurons.

D’après Chaumonot, le combat du Long-Sault fut engagé le 2 mai ; il aurait duré sept jours selon Radisson et Chaumonot, huit selon Dollier de Casson et dix selon la Relation. Dollard et ses compagnons, si l’on excepte les cinq survivants tombés aux mains des ennemis, auraient donc péri entre le 9 et le 12 mai 1660.

Un des prisonniers français fut torturé sur les lieux mêmes du combat ; les quatre autres, distribués entre les Agniers, les Onneiouts et les Onontagués, subirent le même sort un peu plus tard.

Le 25 mai, à Montréal, Bénigne Basset procédait à l’inventaire des biens de Jacques Boisseau et, le lendemain, de René Doussin et de Jean Valets. Le 3 juinin, l’abbé Souart rédigeait l’acte de décès des Dix-Sept. La nouvelle du désastre arriva à Québec le 8 juin, « sur la minuit ».

Le 2 mai 1661, la terre de Dollard fut concédée par Maisonneuve à Pierre Picoté de Belestre, à condition qu’il remboursât à la succession de Dollard les 79ª 10s. Les biens de Dollard furent mis à l’enchère le 13 novembre 1661. La vente de 9 des 14 articles offerts rapporta 40ª 12s.

Par leur résistance et leur mort au Long-Sault, Dollard et ses compagnons ont-ils sauvé la Nouvelle-France, dite Canada ?

Les avis sont partagés, parce qu’on ne s’est pas entendu sur l’expression sauver la Nouvelle-France, dite Canada.

Si on l’emploie dans son sens absolu et si on affirme que Dollard a épargné à la colonie une destruction certaine et qu’il a définitivement maté les Iroquois, il est évident que les Dix-Sept n’ont pas sauvé la Nouvelle-France, dite Canada ;

mais si on donne à cette expression une signification relative et si on affirme que, dans cette circonstance particulière, Dollard a momentanément détourné de la colonie une grave menace, il ne fait pas de doute que les Dix-Sept aient sauvé la Nouvelle-France , dite Canada.

Il faudrait ajouter, néanmoins, qu’ils l’ont fait d’une façon involontaire et par hasard, puisqu’ils n’avaient pas prévu de rencontrer sur l’Outaouais un corps de l’armée d’invasion dont ils ignoraient l’existence.

Mais encore, si Dollard a sauvé – même involontairement – la Nouvelle-France , dite Canada, faut-il en donner la véritable raison.

Les pertes iroquoises furent-elles aussi importantes qu’on l’ont prétendu Dollier de Casson et Vachon de Belmont et Radisson qui ont bien dit qu’ils tenaient « pour certain que les Iroquois perdirent beaucoup d’hommes » ?

Deux documents relatifs à l’affaire Dollard permettent de fixer un ordre de grandeur : la Relation de 1660 et un rapport hollandais daté du fort Orange le 15 juin 1660. À la fin du combat, raconte la Relation, les Iroquois

« font le partage de leurs captifs : deux François sont donnez aux Agnieronnons, deux aux Onnontagueronnons, le cinquième aux Onneioutheronnons, pour leur faire goûter à tous de la chair des François, & [...] les inviter à une sanglante guerre, pour venger la mort d’une vingtaine de leurs gens tuez en cette occasion. »

Ce renseignement, le rédacteur de la Relation le tient de quelques Hurons survivants du Long-Sault. Dans le document hollandais, c’est la version des Iroquois eux-mêmes qu’on lira :

« Il n’est rien arrivé de nouveau au sujet des sauvages ici, sauf que les Agniers et les Iroquois supérieurs, au nombre de six cents, ont attaqué un fort défendu par dix-sept Français et cent sauvages ; [...] ils ont perdu quatorze personnes tuées ; dix-neuf furent blessés. »

Une vingtaine de morts, voilà un bilan beaucoup plus vraisemblable que l’hécatombe dont parlent Dollier de Casson et Vachon de Belmont.

Piètre connaisseur des Indiens, Dollier de Casson se trompe quand il impute à la terreur des Iroquois l’abandon de leur projet d’invasion. Ces derniers agissaient à l’ordinaire en rentrant immédiatement dans les cantons, ainsi que l’écrit Marie de l’Incarnation :

« c’est le génie de ces sauvages, quand ils n’auraient pris ou tué que vingt hommes, de s’en retourner sur leurs pas pour en faire montre en leur pays. »

La Relation n’explique pas autrement la décision des Iroquois :

« Après la distribution [des prisonniers] on décampe, & l’on quitte la resolution prise de venir inonder sur nos habitations, pour mener au plustost dans le païs ces miserables victimes, destinées à repaistre la rage & la cruauté de la plus barbare de toutes les Nations. »

Comme tous les primitifs de l’Amérique du Nord, les Iroquois obéissaient aveuglément à des lois séculaires. À l’automne de 1660, par exemple, ayant mis sur pied une armée de 600 hommes, ils marchaient sur la Nouvelle-France, dite Canada. En cours de route, quelques guerriers se lancèrent à la poursuite d’un cerf. Un coup de feu destiné à l’animal tua le chef de l’expédition. Tirant mauvais augure de cet accident, l’armée rompit son dessein et se dispersa.

Ce nouvel échec ne découragea pas les tenaces Iroquois : en 1661, ils semèrent la terreur dans la colonie, y tuant plus de 100 Français.

Grâce à un concours de circonstances, Dollard et ses compagnons ont donc, en 1660, détourné momentanément de son objectif l’armée iroquoise, permettant du même coup aux colons de faire la récolte et d’échapper à la famine, et à Radisson d’atteindre Montréal sain et sauf avec une cargaison de fourrures évaluée à 200 000ª.

La mort des Dix-Sept ne fut pas inutile. Et leur mérite est grand.

Les premiers, ils prirent l’offensive contre les Iroquois, en sortant des territoires habités pour détruire les bandes ennemies avant qu’elles ne frappent la colonie. Cette tactique était tout à fait nouvelle et, l’expédition du régiment de Carignan-Salières exceptée, elle ne fut reprise que beaucoup plus tard.

Il faut se garder, néanmoins, d’exagérer l’importance de cet épisode de la guerre iroquoise. Pendant les années héroïques de la Nouvelle-France , dite Canada, les affrontements étaient fréquents et les défenseurs de la colonie, valeureux.

Plusieurs faits d’armes, pour être peu connus, n’en sont pas moins éclatants que celui des Dix-Sept. Seules l’atmosphère dont on a entouré le combat du Long-Sault et les polémiques auxquelles il a donné lieu expliquent, sans les justifier, la place considérable qu’il occupe dans l’historiographie québécoise (aussi bien que la nature et la longueur des mises au point des études sur le sujet).

Dans le tableau du premier conflit franco-iroquois, on ne doit pas, au bénéfice de Dollard, reléguer à l’arrière-plan les
Claude de Brigeac,
les Jacques Godefroy de Vieux-Pont,
les Jean de Lauson (fils)
et surtout un Lambert Closse,
qui ne lui cédaient pas en courage et en détermination. À chacun il convient de reconnaître son mérite sans tenter d’ajouter à sa gloire.






Sources : André Vachon , © 2000 University of Toronto/Université Laval ; Mise à jour : 2005-05-02

On lira avec profit l’excellente biographie de Dollard faite par André Vachon au Dictionnaire biographique du Canada,

***
Groulx, Patrice, Pièges de la mémoire, Hull, Éditions Vents d'Ouest inc., 1998.
Au printemps 1660, Dollard des Ormeaux, seize autres Français, quarante Hurons et quatre Algonquins remontent l'Outaouais pour piéger les Iroquois. Ces derniers, au nombre de sept cents, les surprennent à leur tour, les capturent ou les tuent.
Relaté en détail par les contemporains, l'événement tombe dans l'oubli en une génération. Au milieu du XIXe siècle, les historiens francophones et anglophones s'en emparent pour construire une identité au Canada naissant. Récupéré par la littérature, les arts et les manifestations publiques, le «sacrifice» de Dollard devient un mythe persistant et se fige dans une mémoire qui nous piège à son tour...
Par un patient décryptage de la légende, Patrice Groulx nous éclaire sur les sources de notre intransigeance à l'égard des Amérindiens tout en jetant un regard critique sur la discipline historique et ses artisans. Son ouvrage s'adresse non seulement aux amateurs et aux professionnels de l'histoire, mais aussi à ceux qui s'interrogent sur les rapports du Québec de demain avec ses Premières Nations.
Patrice Groulx détient un doctorat en histoire de l'Université Laval, à Québec. Il est chercheur et consultant en histoire, en muséologie et en interprétation du patrimoine.




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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 janvier 2009

    En 1951 l'archéologue Thomas E. Lee met à jour les contours de la redoute de Dollard des Ormeaux à la Baie de Sauvages, située au pied de la première section du Long-Sault. Ses travaux seront soutenus par ses directeurs dont le docteur Jacques Rousseau imminent savant issu du Québec. Les vestiges archéologiques mettent en évidence les divers éléments du combat et sa location donne tout son sens au --passage infaillible. Le livre:La Vielle Dame, L'Archéologue et le Chanoine aux éditions de l'Interligne apporte d'importantes précisions aux textes des chroniqueurs.

  • Jacques Dubreuil Répondre

    12 janvier 2009

    J'ai beaucoup apprécié cet article sur Dollard de Ormeaux.
    J'aimerais ajouter que pour moi, Dollard représente la crème de la jeunesse héroïque, d'une part, et d'autre part, ajouter à votre article cette précision : quand Lambert Closse a demandé à Dollar de retarder son départ après les semences, Dollard a fait réponse que s'il retardait son départ après les semences, il n'y aurait ni semences à faire ni récoltes à espérer.

    Dollard savait donc ce qu'il faisait. Et je crois que son sacrifice ne fut pas consenti en vain.