Diluer la majorité

Chronique de Patrice Boileau

J’en ai marre de ces commissions qui enquêtent sur le peuple québécois. Leurs rapports s’additionnent depuis bientôt un demi-siècle sur les tablettes des gouvernements. Celle que viennent de terminer Gérard Bouchard et Charles Taylor héritera du même sort que les précédentes, à n’en pas douter.
Le traitement que subira cette dernière commission d’enquête n’est finalement pas une si mauvaise nouvelle en soi. Lorsque l’on conclut que les Québécois de souche ne doivent pas chercher à souligner aux nouveaux arrivants qu’ils entrent dans leur maison, vaut mieux en effet que le rapport aboutisse dans un lieu sombre et poussiéreux.
Si un nombre important d’enquêtes s’est penché sur le destin de la nation québécoise, c’est que sa situation démographique et politique unique la tiraille ponctuellement. Les Québécois forment-ils réellement une majorité lorsqu’observés à l’intérieur de leurs frontières, ou constituent-ils au contraire une minorité parmi les autres groupes culturels qui forment le Canada?
Les fédéralistes ont trouvé une bonne façon de noyer le poisson : ils modifient le discours au gré du climat politique. Ainsi, en période « d’inquiétude nationale », ceux-ci n’hésiteront pas à parler de la nation québécoise, laissant croire à une certaine prédominance d’un groupe qui partage la même langue, culture et histoire. À d’autres moments, on lui rappellera qu’elle habite une province chanceuse de pouvoir partager les valeurs canadiennes.
Jean Charest a démontré dernièrement qu’il maîtrise très bien ce discours ambigu. Depuis des mois, son gouvernement a prouvé que la langue française ne méritait pas qu’on la protège dans cette Amérique du Nord anglo-saxonne. Voilà maintenant que le gouvernement libéral achète de pleines pages des quotidiens québécois afin de laisser croire le contraire. L’effet recherché en est un de banalisation des mots. En utilisant des termes puissants qui réfèrent à l’existence d’un peuple, donc d’un groupe national habitant un État, on donne l’impression d’un pays du Québec. L’épisode de la reconnaissance de la nation québécoise par Ottawa en constitue le plus récent exemple.
Est-il plausible de croire que le Parti québécois participe, malgré lui, à cette confusion lexicale? Voir ainsi la formation souverainiste de Pauline Marois exiger la création d’une constitution québécoise risque-t-il de confondre davantage les Québécois? L’adoption de ce document fondamental qui caractérise habituellement les pays pourrait-elle produire l’effet contraire recherché par le PQ? Certes, les péquistes essaient désespérément de trouver un moyen de raviver l’intérêt général pour son article 1. Rallier les gens autour de son projet de constitution et de citoyenneté québécoise est ainsi l'une des pistes valables. Reste qu’un danger persiste : celui de voir les fédéralistes finalement y adhérer dans le but de canadianiser ces actions.
Voilà un risque qui pourrait aussi piéger Jean Charest. Le chef du Parti libéral a sûrement été tenté par cette idée de constitution proposée par les partis d’opposition. Son adoption, « à l’intérieur d’un Canada uni », lui aurait peut-être permis de torpiller la manœuvre des souverainistes. Reste que la démarche que supposent la préparation et la rédaction d’un texte de loi aussi fondamental, processus dans lequel la participation des indépendantistes aurait été incontournable, devenait une entreprise trop périlleuse. Ottawa a assurément interdit au chef libéral de souscrire à un projet aussi audacieux.
***
À ce compte, Stephen Harper est sûrement ravi de voir l’Action démocratique de Mario Dumont agoniser lentement, dans les intentions de vote. Voir le député de Rivière-du-Loup jouer avec le feu constitutionnel, comme il l’a fait dernièrement, devait l’agacer au plus haut point. Certes, il faut donner l’impression que les Québécois forment un groupe distinct en les autorisant à se qualifier à l’aide de mots qui ont été au préalable vidés de leur véritable sens. D’autres appellations politiques sont cependant plus difficiles à être aseptisées, voire lobotomisées de leur essence initiale. La ratification d’une constitution, non pas par Terre-Neuve mais bien au Québec, s’avère ainsi un geste politique trop percutant pour qu’il ne frappe pas l’imaginaire collectif des Québécois. Vaut mieux que ce dessein soit associé exclusivement aux souverainistes.
Le Parti québécois mise gros néanmoins avec son projet de doter le Québec d’une constitution. S’il devait former le prochain gouvernement et atteindre son objectif sans toutefois réaliser l’indépendance, aura-t-il malgré lui participé au processus de banalisation des symboles nationaux auquel les fédéralistes s’activent depuis quelques temps? L’initiative du PQ aura-t-elle à l’inverse déclenché un engouement général pour son option fondamentale? C’est à lui de trouver la réponse rapidement. Parce qu’en attendant, les francophones, à qui on répète qu’ils ne doivent pas s’inquiéter de l’érosion de leur groupe puisque « majoritaire » et « national », se diluent au contraire dans cet interculturalisme qu’on leur impose.
Patrice Boileau


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2 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    28 mai 2008

    Bonjour M. Boileau.
    Les indépendantistes du P.Q. sont facilement favorables à l'écriture d'une constitution québécoise. Ils y voient un signe d'affirmation nationale et, au plan de la tactique politique, une façon subtile et efficace de reprendre l'initiative, perdue il y a bien longtemps, dans la confrontation Canada-Québec. Peut-être ces indépendantistes pensent-ils que cela pourrait même être un puissant moyen permettant de reprendre le pouvoir par le P.Q. Très certainement, en tous cas, ce serait là un moyen de donner un croc-en-jambe à l'A.D.Q., qui se le serait bien mérité. Mais faut-il que le P.Q. cède à cette tactique apparemment si prometteuse ?
    Tous les différents gouvernements québécois qui se sont succédés depuis le premier référendum de 1980, aucun parti ne s’est jamais engagé, en campagne électorale, à rejoindre la famille canadian issue de la "constitution" de 1982.Cela n'est pas une pure bouderie ni un quelconque caprice « distinctif » de l’électorat.
    Mais ce n'est pas, non plus, parce que le Québec n'a pas joint la constitution de 1982 que celle-ci n'existe pas.
    Si le P.Q. perdait les prochaines élections (tout se peut... n'est-ce pas ?), s'il était une fois encore sanctionné par l'électorat, mais là, après avoir abondamment parlé de constitution québécoise : se pourrait-il alors que les fédéralistes, vainqueurs, se sentent légitimés de joindre la constitution canadian ? Après tout, constitution pour constitution, qui s'opposerait alors dans le camp fédéraliste actuel, à rejoindre cette constitution canadian de 1982 ? C'est le P.Q. lui-même—ayant remisé son référendum--- qui, ayant jasé constitution, viendrait de lui en fournir l'occasion historique. Tout cela, c'est sans compter qu'Ottawa reconnait maintenant, verbalement, notre nation mais dans le Canada Uni. Il suffirait alors au fédéral de trouver certains aménagements constitutionnels propres à satisfaire le Québec (c’est-à-dire l’électorat fédéraliste), et cela pourrait engager très fermement, et pour longtemps, l'avenir de la nation.
    À part que de bégayer, que pourrait bien faire alors tous ces indépendantistes du P.Q. ? Pas grand chose. Ils seraient piégés.
    Je crois qu'ils le sont déjà !

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mai 2008

    Bonjour,
    Malgré que j'appuie généralement silencieusement vos textes, cette fois, je voudrais signifier mon désaccord sur la fin de votre discours.
    Le fait de doter le Québec d'une constitution est, selon moi, un pas vers la souveraineté et aussi un autre élément qui viendrait différencier le Québec des autres provinces et peut-être même le sauver de l'assimilation si le projet d'indépendance s'avère impossible.
    De plus, selon moi, chaque petite chose qui différencie le Québec des autres provinces est une victoire et un pas vers la souveraineté. Plus on sera différent des canadiens, plus le sentiment d'appartenance au Québec sera fort et les indécis comprenderons qu'en raison de nos différences avec le reste du Canada, la séparation est la meilleure solution.