Des Etats-Généraux à un «Livre Blanc»

Chronique de José Fontaine

Les Etats-Généraux de Wallonie ont réuni 122 votants à Liège dont nonante se sont prononcés en faveur de la réunion à la France (un semi-échec). Il reste de cet événement les documents préparatoires, consciencieusement pensés. Pendant ce temps je visitais avec une amie québécoise le Grand Hornu monument de l’aube de la Révolution industrielle, unique au monde (avec une réplique française plus modeste). Pendant ce temps aussi, des syndicalistes, intellectuels, politiques et militants mettaient au point un Livre Blanc pour une Wallonie maîtresse de tous les leviers de son développement
La culture au centre
Les Etats-Généraux appartiennent à une autre branche du mouvement wallon que celle à laquelle j’appartiens (celle du Livre Blanc…) , plus soucieuse de formuler un véritable projet de société. A la façon de la plus grande partie du mouvement souverainiste québécois.
Ce qui m’a toujours frappé dans le Québec, c’est sa capacité à lier les questions de société et aussi d’identité. Certes – heureusement quand même ! – en Wallonie, les syndicats ne se sont pas exclus non plus de la question nationale, question politique par excellence.
Mais bien le monde culturel (et au-delà, l’enseignement) : il reste un peu à part.
La France n’est (parfois) qu’un prétexte en Wallonie
En 1983, pourtant, 75 intellectuels wallons signèrent le Manifeste pour la culture wallonne. Leur source d’inspiration principale c’était le Québec formulant ses requêtes politiques en affirmant son identité. Les écrivains en Wallonie vivaient alors, au contraire, d’une théorie appelée le lundisme, considérant que la Belgique française ne se différencie pas de la France, théorie rendant illégitime toute formulation d’une identité autre que française (ce qui est bizarre cela puisque l‘on n’est pas en France et que ces écrivains étaient – demeurent - parfois très attachés à l’unité belge). Le Manifeste wallon fut donc conspué, accusé de régresser vers le folklore et le régionalisme étroit (vers un mélange de Gilles de Binche et de cartes postales). C’est d’ailleurs toujours ainsi que la culture wallonne est vue : elle demeure une culture dominée comme le dit le chapitre du Livre Blanc consacré à la culture, l’un des chapitres les plus importants.
La référence à la France, fortement affirmée en 1937 par le Manifeste du Groupe du Lundi (d’où lundisme), disparut (par prudence) chez les écrivains continuant à s’exprimer trois ans plus tard sous l’Occupation allemande. L’idéologie du lundisme se révéla alors comme pouvant se passer de la référence à la France et comme un mouvement de l’art pour l’art, a-social, l’art étant considéré comme se dégradant s’il devait se colleter aux conflits et aux aspirations d’une société précise. C’est une tentation de toute démarche sociale. Syndicalisme, science, mouvements religieux ou philosophiques, école... veulent se distinguer de l’Etat (de la « politique »), mais aussi du mouvement même de la société civile. C’est là la tentation très claire du corporatisme, du poujadisme, du populisme : on est si bien entre soi, dans ses livres, ses écoles, ses handicapés, ses femmes battues et ses vieux ! Loin de la Cité humaine qui poursuit, au contraire, l’ambition que les êtres s’émancipent collectivement. Quand un pays est travaillé par une question nationale, ou bien les mouvements se lient les uns aux autres en un mouvement d’émancipation qui dépasse la simple agitation du drapeau. Ou bien ils reculent devant l’aventure qui consiste à aller ensemble à la constitution d’une société radicalement autre. Les mouvements sociaux renient alors leur propre nature et s’enferment dans leurs démarches isolées, notamment les écrivains et les artistes, mais aussi les éducateurs, les professeurs, les entrepreneurs etc. Et les nationalistes apparaissent alors, au dehors, comme de folkloriques et inutiles porteurs de drapeaux, à la façon des militants sincères - mais isolés - des Etats-Généraux de samedi passé.
Le chapitre du Livre Blanc sur la culture
Je tiens le chapitre culturel du nouveau Livre Blanc, Implications politiques d’une approche globale de la culture en Wallonie, comme l’un des plus intéressants. Le style du texte est un peu technocratique, mais c’est inévitable. Il insiste sur des choses importantes. Le titre lui-même laisse entendre que la culture, ce n’est pas que les arts et les lettres, mais qu’il s’agit aussi d’une participation à la construction des identités individuelles et collectives, d’élargir la démocratie, d’intégrer la culture à une logique de développement économique et social. Cela ne met pas la culture au service du Pouvoir ou des entreprises. Elle garde son autonomie. Mais elle est un levier puissant de développement. D’ailleurs, la réciproque est vraie et il y a corrélation entre les deux domaines. La culture est un secteur même de l’économie (plus d’emplois dans le secteur culturel en Europe que dans l’automobile, la plus grande part des exportations américaines sont des produits culturels, certes pas toujours pour le meilleur et souvent pour le pire). Et le développement économique a des implications dans la vie culturelle.
Ce Livre Blanc va se heurter d’abord à l’indifférence. Mais aussi au conservatisme, au corporatisme et à une Wallonie où la campagne électorale se résume à des coups bas de part et d’autre pour s’accuser de corruption (souvent bénignes et isolées, mais que l’emballement médiatique rend « graves »). On parle même de supprimer le Parlement de Namur (en Wallonie) en le fusionnant à un Parlement francophone à Bruxelles (là où siègent les machines électorales de partis) parce que- les Partis politiques fonctionnent comme des machines sur un espace francophone plus large que la Wallonie. Les présidents y ont tout à dire.
Particratie
Le seul impératif c’est donc que la machine à gagner des voix aux élections (le parti), garde sa cohérence et nie la Wallonie comme Bruxelles qui sont des espaces publics distincts, mais que les partis colonisent comme s’ils étaient identiques. D'où le sentiment, tant à Bruxelles qu'en Wallonie qu'on n'est pas gouverné par un Gouvernement qui soit le nôtre, ni représenté par un Parlement qui soit le nôtre. Contrairement aux Flamands, les Partis francophones (particratie), ne laissent pas les gouvernements wallon et bruxellois discuter avec les Flamands, mais s'arrogent le droit de contrôler le débat. Comme s'il ne pouvait avoir lieu entre les sociétés et que l'intérêt de la machine partisane était plus important que les peuples en cause.
La question de savoir si ce n’est pas essentiel qu’une ville comme Bruxelles soit gouvernée par elle-même, ou qu’une Région comme la Wallonie soit gouvernée par elle-même suscite des haussements d’épaules de la part de ces drôles qui ont oublié la phrase de Rousseau selon lequel « Lorsqu’un peuple promet seulement d’obéir, il se dissout par là même et cesse d'exister en tant que peuple. » D’où l’usage abondant par certains présidents de partis du mot « gens ». Ils sont au service des « gens », ils comprennent les « gens », ils étudient les intérêts des « gens ». Ne venez pas leur parler de Wallonie par exemple. C’est bien trop démocratique et bien trop citoyen, ça ! Ils s’en moquent. Et au besoin, ils vous diront, pour vous clore le bec, les tartuffes, qu’ils ne sont pas nationalistes, eux. Il y a même en Espagne un gouvernement du Pays basque se présentant clairement comme antinationaliste (antinationaliste basque) ! Imaginons que le maire d’une grande ville française (ou autre) prenne le pouvoir et commence par dire qu’il va lutter contre le trop grand attachement de ses concitoyens à la Ville dont il va devenir le premier citoyen. Tenter d'en diminuer les pouvoirs. Voilà un peu le programme du gouvernement basque et (presque, pas tout à fait!), le programme des partis démocratiques francophones et wallons.
Comme pour démentir cette orientation délétère, à la fin de notre visite du Grand Hornu avec François André et Andrée Ferretti, nous tombons sur, Laurent Busine, le directeur du Musée des Arts contemporains qu’il y dirige au cœur d’un Borinage qui fut la région emblématique de l’oppression capitaliste et nous explique qu’il va à une soirée de gala donnée en faveur de la recherche médicale. Comme il peut aussi animer avec les descendants des mineurs qui habitent encore les corons du Grand Hornu une recherche sur l’art contemporain. La culture ne peut se séparer des aspirations à la santé, à la liberté, à la citoyenneté, même si elle est une démarche distincte. La Modernité distingue les disciplines de l’esprit et différencie les démarches sociales. Il faut parfois, cependant, faire de tout cela une sorte de gerbe dont la Culture peut être le lien ou le liant.
José Fontaine

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 382 474

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé