Des élections historiques?

Québec 2007 - Résultats et conséquences



Je n'aime guère utiliser le terme «historique» pour qualifier toute situation qui sort à première vue de l'ordinaire. Les dernières élections au Québec méritent pourtant cette épithète spéciale. L'appui considérable reçu par l'Action démocratique du Québec n'exprime pas simplement la frustration circonstancielle ou la désaffection passagère de l'électorat à l'endroit du Parti libéral et du Parti québécois. Il témoigne de la capacité de ce parti et de son chef à canaliser et à catalyser une volonté de changement largement répandue dans la population.

La montée fulgurante de l'ADQ dans le paysage politique québécois cristallise la victoire du pragmatisme sur l'idéalisme comme idéologie dominante au Québec. Ce pragmatisme, qui n'est pas réductible au conservatisme primaire ni à la culture de droite, est associé à la présence et à la puissance grandissantes des classes moyennes et de la catégorie des 25-44 ans dans la définition des orientations politiques au Québec.
Les élections de lundi ont une signification qui n'est pas seulement conjoncturelle. Elles marquent l'entrée en scène politique d'une nouvelle génération. Elles témoignent du déclassement des élites bien-pensantes et des lobbys bruyants par ceux que Mario Dumont appelle, sans ironie et en exploitant le filon sémantique à son avantage, le «vrai monde». Les élections d'hier traduisent l'apparition retentissante, dans le décor politique du Québec, d'un mouvement social peu structuré ou homogène mais fort de sa masse: celui des «gens ordinaires».
Lecture adéquiste du Québec
On peut bien, avec hauteur ou condescendance, traiter le chef de l'ADQ de populiste ou d'opportuniste. Les résultats qu'il a obtenus lundi rendent compte de sa capacité à lire correctement les attentes (de moins en moins) sourdes de la société québécoise, ce que plusieurs commentateurs, pris dans de vieux paradigmes interprétatifs, ne sont à l'évidence plus capables de faire.
Dumont a compris qu'une bonne partie des Québécois refusait dorénavant de se laisser séduire par les belles rhétoriques ou les projets sociaux flamboyants, que ce soit celui de la souveraineté salutaire, celui du fédéralisme de conciliation, celui de la solidarité à tout crin, celui de la régulation socioéconomique mur à mur ou celui de l'altérité tous azimuts. À la place, il a proposé à l'électorat -- qui a apparemment apprécié l'offre -- un programme d'action essentiellement fondé sur la responsabilisation grandissante des individus envers leur destin personnel, sur la restauration des choix privés dans la dynamique générale de la régulation sociale, sur une pratique modérée de l'interculturalité et sur l'établissement d'un rapport de force optimal et constant avec Ottawa, ce qu'il a appelé l'autonomisme.
Puisque l'ADQ ne gouvernera pas directement le Québec, on ne sait pas quelle forme précise Mario Dumont aurait donnée à son programme d'action. Ce qui est sûr, par contre, c'est que Jean Charest ne pourra pas faire fi des attentes populaires incarnées et portées par l'ADQ au sein de l'Assemblée nationale. On peut s'attendre à ce que la gouverne québécoise prenne une orientation assez terre à terre au cours des prochains mois. Dans la mesure où elle répond aux inclinations d'une génération en puissance, celle des «post-boomers», cette orientation pourrait définir pour longtemps la donne politique au Québec.
Des questions laissées en plan
La place désormais acquise par l'ADQ dans le paysage politique tient à ce que certains choix délicats à faire pour définir le devenir prochain de la société québécoise n'ont pas été effectués, menés jusqu'au bout ou assumés par le PLQ ou le PQ. Peut-être parce qu'il n'aspirait pas au pouvoir, Mario Dumont, durant la campagne électorale, a posé certaines questions que ses adversaires n'ont pas voulu formulées clairement ni abordées directement, du moins jusqu'à la toute fin, de peur de perdre des appuis.
À ces questions -- faut-il, dans le contexte actuel du Québec, privilégier la solidarité sociale ou la responsabilisation individuelle? Faut-il être avec ou contre Ottawa? Jusqu'où favoriser la politique de la reconnaissance? --, bien des électeurs ont donné une réponse sans équivoque: il faut, sans jeter le bébé avec l'eau du bain, revoir les grands arbitrages sur lesquels le Québec des 40 dernières années s'est construit; il faut reconjuguer l'idée de la souveraineté-partenariat au temps du pragmatisme efficace et opérationnel, ce qui signifie de reprendre le collier de l'affirmationnisme décidé; il faut actualiser la culture québécoise au contact de l'«autre», bien sûr, mais en évitant de jeter au déversoir de l'histoire certaines traditions fondatrices de notre société.
On peut évidemment trouver que les questions portées par l'ADQ depuis sa création sont embarrassantes. On peut également penser que les réponses apportées par Mario Dumont et son équipe à ces interrogations sont mauvaises, voire hasardeuses ou fâcheuses. Chose certaine, les élections du 26 mars ont propulsé ces questions au coeur de l'actualité politique québécoise. Elles ne pourront désormais être évitées, ridiculisées, méprisées ou occultées. Il faudra les aborder franchement avec, en prime, l'espoir de leur trouver des solutions originales qui s'enracinent dans deux des terreaux les plus fertiles de la culture politique québécoise: le réalisme et l'empathie.
De ce point de vue, la perspective d'un gouvernement minoritaire n'est peut-être pas contraire à la découverte de trouvailles intéressantes et à l'élaboration de compromis porteurs d'avenir entre trois tendances fortes au sein de la société québécoise: le libéralisme, la social-démocratie et le conservatisme.
Jocelyn Létourneau, Professeur d'histoire à l'Université Laval et auteur de Que veulent vraiment les Québécois? (Boréal, 2006)


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