Que faire d'Octobre 70 ?

Quand la maladie se nomme "santé"... Complaisante résignation et savoir organique asservi au statu quo.


D'un côté, il y a [Pierre Foglia (La Presse, 2 octobre 2010)->31121] qui nous dit que de ressasser Octobre 70 ne sert qu'à nous embraser ou à nous embarrasser au présent; que, dans d'autres sociétés, le grave s'atténue souvent avec le temps, mais qu'ici, au contraire, le drame s'alourdit chaque décennie; et qu'il y en a marre de revenir sur un épisode qui n'en finit plus de produire ses fictions en même temps que ses vérités. Pour lui, passer à l'avenir est une nécessité.
De l'autre, il y a [Josée Boileau (Le Devoir, 4 octobre 2010)->31163] qui affirme que le trop-plein d'histoire n'est jamais atteint; que le savoir est une exigence de la démocratie; et qu'il est important de se raconter l'histoire pour mieux comprendre là où on est, c'est-à-dire au coeur d'un pays inachevé. Pour elle, Octobre 1970 doit rester un événement vivant par l'histoire.
Octobre 70 est un fait de l'histoire contemporaine du Québec qui ne peut être passé sous silence et que l'on doit analyser sérieusement. Le déchaînement médiatique et discursif des derniers jours a cependant donné à l'événement une importance et une signification qu'il ne possède pas et que le temps n'a pas modifiées en mieux ou en pis. Engraisser un fait d'histoire avec des interprétations à n'en plus finir, dont certaines n'ont de valeur que spéculative, ne vaut pas davantage que de jeter ce fait à la poubelle du passé.
Il est au Québec une pensée et un agir rebelles qui aiment bien confondre leurs traditions et histoires avec celles de la société dans son ensemble. À lire certains textes, à entendre certains discoureurs, on a l'impression que toute une collectivité était, en octobre 1970, au bord de l'insurrection, que son destin allait se jouer pour de bon et que, selon le résultat de l'opération (terroriste d'un côté, de terreur de l'autre), rien ne serait plus comme auparavant.
Dans chaque bémol du passé québécois, il faudrait cesser de voir une note historique décisive.
Non, la mort de Pierre Laporte, déplorable à tous points de vue, n'a pas marqué la mort de l'indépendance ni celle du mouvement nationaliste. Non, la Loi sur les mesures de guerre, condamnable par ses excès et abaissante pour une collectivité comme l'a dit René Lévesque, n'a pas muselé la société. Non, le Québec, malgré la déroute felquiste, n'a pas stoppé sa marche vers l'avant ni abandonné ses idéaux progressistes. Ce que certains acteurs de l'époque et quelques sympathisants d'hier et d'aujourd'hui aiment bien présenter comme un événement déterminant de l'histoire du Québec ne fut en réalité qu'un bruit du passé dont l'écho entretenu correspond mal à l'histoire vécue.
Octobre 70 est mémorable en ce qu'il rappelle surtout à quel point la société québécoise, depuis fort longtemps, fustige le radicalisme et reste de marbre devant l'extrémisme, l'utopisme ou le dogmatisme. L'événement est marquant en ce qu'il remémore éloquemment à quel point la primauté du politique demeure, chez les Québécois, une valeur et une vertu cardinale qu'ils ne sont pas prêts à sacrifier au brillant des terres promises. L'épisode est essentiel en ce qu'il expose explicitement, une fois de plus, à quel point la violence est un horizon dans lequel bien peu de Québécois ont envie d'investir, de glisser ou de se laisser entraîner.
Plus que tout, Octobre 70 fut une confirmation de ce qu'est fondamentalement le Québec par rapport aux représentations rapides et emportées qu'on peut en faire: une société pacifique où la temporisation et la circonspection l'emportent sur l'excitation et la précipitation.
Il importe de le redire au risque de déplaire: le Québec est une société paisible et tranquille qui se reproduit à l'intérieur d'un cadre général où le démesuré est désavoué et où le réservé est apprécié. Telle est la culture politique nationale. On sera ou non consterné par cet humanisme, il impose sa présence forte à toute tentative de saisir et de comprendre la condition québécoise dans le temps — y compris à l'époque d'Octobre 70.
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Jocelyn Létourneau - Historien et chercheur en visite à l'Institute for the Study of the Americas de l'Université de Londres


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