Il y a plus de 250 communes en Wallonie, plus de 300 en Flandre et 19 à Bruxelles. Proportionnellement, c’est moins qu’en France. Car dans les années 70, on a réduit fortement le nombre des communes. Elles étaient dessinées plus ou moins comme chez notre grande voisine au temps de la République et de l’Empire. Et en France, il en demeure 36 700, parfois de 100 habitants, ce qui n’est plus le cas chez nous (36 700 pour 65 millions d’habitants - avec l’Outre-mer - alors qu’avec 3,5 millions d’habitants la Wallonie en a 262). Il y a deux spectacles à voir et une réflexion à faire sur les élections communales du 14 octobre dernier.
Spectacle I : Le succès de Bart De Wever
Comme on s’y attendait, Bart De Wever a emporté le maïorat d’Anvers (maïeur est le mot de français régional pour dire bourgmestre ou maire), la plus grande agglomération du pays après celle de Bruxelles (et la plus grande commune, 500 000 habitants). Le leader du plus important parti flamand a lancé un appel au dialogue au premier ministre (le Wallon Di Rupo), qui dirige le pays sans majorité en Flandre (phénomène tout à fait exceptionnel et de fait anormal). En vue d’une Belgique confédérale. Une partie de l’opinion en Wallonie et à Bruxelles s’est aussitôt mise soit à diaboliser BDW ou à minimiser son succès qui est énorme. La presse étrangère parle d’une menace d’éclatement du pays que nous sommes de plus en plus nombreux en Wallonie à considérer comme l’hypothèse à ne pas faire, ni à court terme, ni à moyen terme. Pourquoi? Parce que l’appel au confédéralisme lancé par Bart De Wever est déjà une manière modérée de s’exprimer.
L’homme a toujours dit qu’il voulait l’indépendance de la Flandre, mais en la négociant avec les Wallons et les Bruxellois. Il est dommage, sur le plan de la clarté, qu’il parle d’un confédéralisme à venir, alors qu’il existe des traits déjà très importants de confédéralisme dans le fédéralisme belge. Je cite à nouveau le directeur du CRISP : dans le domaine de leurs compétences, les entités fédérées belges se gèrent comme des États indépendants. Je m’excuse de revenir tout le temps avec cela, mais les politiques n’utilisent pas les mots correctement. Ni les analystes (souvent quasi incorporés au monde politique, hélas!). Ainsi de Marc Uyttendaele qui donnait lundi passé la définition stricte du confédéralisme, soit une sorte de traité international qui laisse les parties contractantes libres d’agir comme le veulent. Or dire que la Belgique possède des traits de confédéralisme, ne signifie pas cela (que veut sans doute Bart De Wever).
Mais en est-ce si loin? On aimerait bien qu’un juriste écrive un article de fond pour nous dire ce qui se passerait au cas où, après que les transferts aux entités fédérées soient passés à plus de 60 % des compétences étatiques (les textes que prépare le gouvernement le prévoient), elles soient de par exemple 80 ou 90 %. Car on va vers cela. De Wever y poussera si, comme il est probable, il fait un nouveau tabac aux élections régionales et fédérales de 2014 (le calendrier fait par hasard qu’elles ont lieu en même temps).
Que resterait-il de l’État fédéral, s’il n’a plus que 20 ou 10 % des compétences? Voilà la bonne hypothèse à faire et les calculs en conséquence à réaliser.
En fait la Belgique ne peut éclater, c’est un ballon déjà à moitié dégonflé. Il y a des gens qui sont preneurs d’un élargissement des compétences aux entités fédérées en Wallonie, y compris dans les rangs syndicaux, même si BDW n’a rien d’un homme social ni de gauche (c’est cela qui est le plus inquiétant). Il a fallu qu’au Conseil européen, Di Rupo réponde sournoisement à De Wever en disant qu’il s’inquiétait des indépendantismes (la Catalogne, l’Écosse et la Flandre évidemment, mais nous aussi nous la voulons!).
Plusieurs militants socialistes lui ont répondu qu’il ne fallait pas qu’il les prenne pour des cons. Il est vrai que le Conseil européen est peu « indépendantiste » puisqu’il est en train d’asservir encore un peu plus les États souverains existants et leurs parlements à des organismes non élus. Et cela ferait de l’Europe un rempart contre le populisme selon certains (Le Soir d’aujourd’hui!). Le populisme est un mot creux qui ne veut rien dire et qui est une façon de diaboliser à nouveau tout mouvement populaire important, à même de bouleverser les institutions existantes (on dira qu’il est contre celles-ci qui incarnent la démocratie, ce qui est vrai, mais ne signifie pas qu’on ne puisse pas les changer!). De Gaulle a été considéré comme un populiste, André Renard, Mélenchon. Un populiste fait appel au peuple pour changer ce qui malmène les peuples contre les conservateurs qui dans maints pays ont installé un système qui les maintient au pouvoir.
Spectacle II : La bagarre à Bruxelles
La chaîne de télévision RTBF s’est consacrée entièrement lundi et mardi non à parler des élections en Flandre et en Wallonie, mais à la Région bruxelloise où, cependant, ne sont pas toutes les communes les plus importantes (si l’on prend la Wallonie et Bruxelles ensemble : les deux plus importantes sont les grandes villes wallonnes de Liège et Charleroi avec un peu moins ou un peu plus de 200.000 habitants). Certes, l’agglomération bruxelloise est la plus importante du pays. C’est peut-être pour cette raison que les trois Vice-Premiers ministres wallons ou francophones du gouvernement — fédéral! — s’y présentaient et pas comme des figurants à ces élections pourtant locales. Dans notre système électoral à la proportionnelle, les soirs d’élections communales ressemblent à des intrigues shakespeariennes quand aucun parti n’a la majorité absolue (je l’ai vécu de plus ou moins près à Dinant ou Rebecq par exemple). Il y a parfois des accords, mais qu’on renie en fonction des résultats. Tout se passe entre élus évidemment. Il arrive que les (deux ou trois) partis perdants fassent alliance contre celui qui manque la majorité absolue de peu, manière de le neutraliser et de perpétuer, même au niveau local, un système sclérosé.
Comme la Vice-Première ministre Joëlle Milquet se présentait à Bruxelles-Ville et que son partenaire PS y a « renié » la signature qui le liait au parti CDH de J.Milquet, celle-ci, qui est une femme de tête a terriblement mal réagi.
On a même cru (on ne prête qu’aux riches), qu’à cause de cela, d’autres coalitions prévues éclataient un peu partout dans d’autres communes bruxelloises. L’un des battus de ce drame shakespearien, c’est le leader bruxellois important Philippe Moureaux qui a fait savoir que, de ce fait, on entendrait moins sa voix. En quoi sa présence ou non à la tête de sa commune de 80.000 habitants lui donnait-elle plus à dire que celle des bourgmestres de Liège ou Charleroi? C’est difficile à expliquer, mais c’est cela l’étrangeté d’une préséance anormale de tout qui existe politiquement à Bruxelles.
On ne saura pas clairement ce qu’il en a été de toutes ces « trahisons » et « drames » avant un certain temps. Mais cela donne une idée des blocages que les partis wallons et francophones agrippés au pouvoir souvent depuis longtemps (un quart de siècle pour le PS!), peuvent perpétuer tout en se disputant. D’autant plus qu’ils ne se contentent pas du pouvoir fédéral (en déclin, mais encore important), mais tentent aussi d’occuper… tous les niveaux de pouvoirs. De sorte que plus personne ne sait qui est qui (sauf eux), et qu’ils peuvent en jouant à une sorte de jeu de chaise musicale (où personne ne perd sa chaise), tournoyer de l’État fédéral à la Wallonie et à Bruxelles, de celles-ci à telle ou telle grosse commune, puis de celle-ci à l’Europe, pour revenir encore ailleurs et ainsi de suite.
Indéfiniment. Plus personne ne sait qui est qui, je le répète.
Cela fait des vies bien remplies. Les Québécois seront sans doute surpris de savoir que les ministres les plus importants du gouvernement fédéral (mais aussi du gouvernement wallon), se battent dans des villages pour en devenir les maïeurs quitte à démissionner juste après avoir prêté serment, mais tout en en demeurant le vrai chef. Le recordman de cette ubiquité, c’est d’ailleurs le premier ministre lui-même, au pouvoir partout (directement ou non) : à Mons, en Wallonie, à la Communauté française, à Bruxelles, en Belgique, en Europe et dans le monde. Pas gêné pour autant et qui prétend que sa responsabilité est de faire ce qu’il appelle la « Synthèse » entre les diverses apparitions de l’Être, notion qui n’est pas loin de celle du « Savoir absolu » chez Hegel. Lui s’y retrouve. Les citoyens?
On peut certes comprendre ce jeu, mais le faire cesser?
Pas simple, car qui le dénonce?
Presque personne.
Une réflexion sur la Wallonie et sur le temps présent qui nous tue
En apparence, il ne s’est rien passé dans une Wallonie désertée par certaines de ses élites politiques comme Joëlle Milquet, Didier Reynders, Laurette Onkelinx qui préfèrent aller briller dans le Gouvernement fédéral et devenir des potentats locaux des gros villages bruxellois. Oui, je le sais, c’est très polémique. Mais…
On sait que la Wallonie devra s’en sortir seule d’ici 10 ans (les mécanismes de solidarité au fédéral seront supprimés et d’autres mesures du genre)? Et cela De Wever ou pas.
On est tout à fait certain que l’État fédéral va encore se dégonfler d’ici quelques mois et plus que probablement les années suivantes.
Que font donc tous ces Wallons à l’État fédéral? Et en ces hauts lieux que sont Uccle ou Schaerbeek où souffle l’Esprit? Ou Mons? Portent-ils en eux le souci d’une Wallonie malmenée en Belgique? Que font ces gens de gauche et ces démocrates en participant, de ce gouvernement fédéral, à : des mesures « belges » abjectes pour les chômeurs et les gens âgés; la honteuse destruction de la démocratie en Europe et peut-être même de sa civilisation asservie de plus en plus étroitement au fric?
Il est vrai que l’on n’a qu’une vie et que dans dix ans la plupart de ceux dont j’ai parlé seront sans doute à la retraite. Du coup il faut bien que l’on s’occupe encore d’un État fédéral dont le professeur Quévit a montré sur le long terme la nuisance pour la Wallonie. Je sais aussi que ce n’est pas si simple de s’inscrire dans le long terme, cela demande d’avoir des projets, des convictions sans doute, le sens de l’histoire, le sens des visions larges et unifiantes, ce qui fait que l’on n’oublie pas des gens comme de Gaulle, certes à l’échelle d’un grand pays, mais que l’on n’oublie pas à une échelle plus modeste — wallonne — des gens comme André Renard ou Guy Spitaels. Ah! oui!, des populistes. Populistes peut-être, et on s’en fout, mais des gens aussi comme Parizeau, comme Lévesque, nous aident nous, les sans-grade de la race humaine, à viser haut et à nous tenir droit comme le disait magnifiquement un magnifique écrivain, Thierry Haumont, qui, de toute notre histoire littéraire, est le plus grand.
En montrant que néolibéralisme (arrière-plan de tous ces jeux vides de sens), n’est que la formule idéologique de cette pensée creuse et mortifère qu’est le postmodernisme.
Des élections à grand spectacle
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
21 octobre 2012Les élections ne changent jamais grand chose, probablement pas davantage en Wallonie qu'au Québec.
Une campagne électorale est un spectacle qui arrange les riches car ils peuvent mettre le focus sur cette campagne plutôt que sur les vrais problèmes de société, ceux qu'une campagne électorale n'aborde jamais.
Et une campagne électorale, c'est tellement commode pour camoufler les vrais problèmes qu'on s'arrange pour qu'elle soit serrée jusqu'à la fin pour pouvoir inonder les médias mainstream avec ça le plus longtemps possible.
Il n'y a qu'à regarder chez nos voisins du sud la contre-performance louche du président Obama lors du premier débat, contre-performance qui a permis une remontée du challenger Romney, mettant ainsi les deux candidats nez à nez dans les sondages.
Les mêmes moyens sont utilisés un peu partout dans nos démocraties occidentales.
Vraiment déprimant tout ça. Pendant ce temps-là, il y a bien des vies qui continuent à être brisées par manque du nécessaire pour une vie décente.
Maudite politique-spectacle! Maudit spectacle!
Archives de Vigile Répondre
21 octobre 2012Les Québécois doivent trouver cela bizarre. Eux qui ont des partis différents suivant le niveau de pouvoir, et qui ne peuvent sauter d'un étage à l'autre sans devoir changer de parti (je ne pense pas qu'on puisse être membre du PQ et du BQ en même temps, si ?).
Au niveau local, ce ne sont pas les partis provinciaux ou fédéraux qui se présentent, mais les municipalistes. À Montréal par exemple, les partis s'appellent Vision Montréal ou Union Montréal. Autre exemple, Louise Harel, ancienne ministre du PQ, n'a rejoint la vie politique montréalaise que bien après son départ du PQ.
Pas question pour les Québécois d'avoir des "maires empêchés", ou des faisant fonction. Même pas de député suppléant. On siège ou on ne siège pas, auquel cas le siège reste vide.
Nous, Wallons, avons beaucoup à apprendre du système politique québécois.