Opiniâtre, le cardinal Ouellet est revenu à la charge pour réclamer de l'État qu'il offre un «espace aux Églises et aux groupes religieux reconnus afin qu'ils donnent des cours confessionnels qui soient conçus et rémunérés par eux». Ses arguments, on le constatera, ne tiennent pas la route.
Le cardinal invoque d'abord «le droit» des parents. Jusqu'en 2005, la Charte des droits et libertés du Québec leur reconnaissait effectivement «le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement publics, leurs enfants reçoivent à un enseignement moral religieux conforme à leurs convictions». Or, elle a été modifiée en 2005 et dit maintenant autre chose. Nous y reviendrons.
Aussi l'archevêque de Québec invoque-t-il plutôt un argument philosophique à l'appui de sa requête. Pour lui, le fondement du droit à l'enseignement religieux à l'école découle de la responsabilité première des parents dans l'éducation de leurs enfants. Mais ce raisonnement ne tient pas. En effet, si cette responsabilité parentale entraînait l'obligation corrélative des États d'offrir des enseignements confessionnels dans les écoles publiques, on devrait condamner la plupart des provinces du Canada, les États-Unis et la France et combien d'autres, qui ne le font pas.
En revanche, le droit international et le droit québécois reconnaissent aux parents «le droit d'assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs convictions [...]» (art.41 de la Charte québécoise des droits et libertés). Si l'État n'a pas l'obligation d'assurer lui-même l'exercice de ce droit, il doit cependant en permettre l'exercice. Soit qu'il le fasse lui-même, soit qu'il reconnaisse le droit des parents de choisir pour leurs enfants des écoles privées confessionnelles. Or ce droit est pleinement reconnu. Le Québec satisfait donc pleinement à ses obligations.
Suivre les traditions
Le cardinal invoque encore le respect de la «tradition québécoise relative à la transmission des connaissances religieuses à l'école». On quitte ici la sphère du droit. La réponse à cet argument a déjà été donnée dans le débat démocratique clos en 2005. Les importants changements qu'a connus le Québec depuis 50 ans, observables notamment à travers la sécularisation des citoyens et la diversité religieuse de sa population, justifiaient l'abandon de cette tradition ou plutôt son évolution.
Non pas vers une négation de l'univers religieux, mais plutôt par sa réappropriation, cette fois dans une visée culturelle, plurielle et patrimoniale. Le nouveau programme propose effectivement ce que souhaite le cardinal, soit «transmettre des connaissances religieuses», mais autrement et en accordant de surcroît la priorité à la tradition chrétienne
M. Ouellet pousse toutefois plus loin sa requête. Il voudrait «qu'au nom de la liberté religieuse de chacun, le cours d'éthique et de culture religieuse soit optionnel». Pourtant, la liberté religieuse n'est en rien en cause ici, car le cours dont il est question n'a aucune visée confessionnelle. Il ne prend parti ni en faveur d'une religion ni contre une religion. II vise essentiellement à faire «comprendre le phénomène religieux».
Ce faisant, le Québec satisfait aussi à ses obligations internationales. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, je le rappelle, reconnaît aux parents «le droit de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions» (l'article 41 de notre charte en est la réplique). Or le Bureau du haut-commissaire des droits de l'homme des Nations unies, chargé d'en formuler l'interprétation officielle, écrit que cette disposition «permet l'enseignement dans les établissements publics de sujets tels que l'histoire générale des religions et la morale, à condition qu'il soit dispensé d'une manière impartiale et objective, respectueuse des libertés d'opinion, de conviction et d'expression». C'est très exactement la visée du programme québécois.
Culture religieuse
Aussi faut-il rejeter comme irrecevable l'accusation du cardinal selon laquelle l'Assemblée nationale abuserait en imposant un programme d'éthique et de culture religieuse. Elle a plutôt bien fait son devoir en voulant former des citoyens cultivés en matière religieuse, tolérants et capables de dialogue.
Cela dit, il n'est pas impossible que des parents prétendent de bonne foi que ce programme porte atteinte à leur liberté religieuse, mais ils conservent le droit de tenter d'en convaincre un tribunal. S'ils devaient obtenir gain de cause, il appartiendrait de trouver un accommodement, telle l'exemption.
J'ouvre ici une parenthèse. L'indignation scandalisée du cardinal suscitée par le fait que le cours d'éthique et de culture religieuse sera aussi obligatoire dans les établissements privés catholiques n'a pas ému ceux-ci. En effet, dans une récente publication intitulée L'Aspect confessionnel du projet éducatif de l'école privée dans le contexte d'application du programme éthique et culture religieuse, la Fédération des établissements d'enseignement privés conclut que «loin d'être une cause de repli, ce virage donne accès à un défi extraordinaire d'ouverture et d'engagement».
Un arrangement à l'amiable
Enfin, le cardinal se retranche derrière un ultime argument. L'espace (et le temps) qu'il réclame aux écoles pour que les confessions puissent y dispenser «des cours confessionnels qui soient conçus et rémunérés par elles», constitue, a-t-il répété, un «accommodement très raisonnable». L'argument ici est pure rhétorique. En effet, il ne s'agit pas d'un accommodement raisonnable, car le fait de ne pas offrir d'enseignement confessionnel à l'école publique ne constitue pas une norme. On ne porte atteinte à aucun droit ni à aucune liberté.
Ce que réclame l'archevêque est plutôt un arrangement. Il lui apparaît en effet plus commode que les enfants puissent recevoir l'enseignement confessionnel à l'école plutôt qu'à la paroisse. On n'est plus ici dans l'ordre des principes, mais sur le terrain de la pratique comme deux voisins de bonne foi négocient l'usage de leur parking commun.
Je signale pour mémoire que le Groupe de travail sur la place de la religion avait recommandé en 1999 que la «Loi sur l'instruction publique précise que les conseils d'établissement peuvent mettre, en dehors des heures d'enseignement, les locaux de l'école à la disposition des groupes religieux désireux d'organiser un enseignement ou des services à l'intention de leurs membres qui fréquente l'école, et ce, à la charge de ces groupes». Il invoquait à l'appui de cette recommandation la mission communautaire de l'école.
La plupart des diocèses ont choisi d'assumer la formation religieuse des jeunes dans le cadre paroissial. Sans doute ont-ils jugé que cela valait mieux en vue de former de futurs chrétiens pleinement engagés dans leur communauté. Mais c'est là une question pastorale à régler en Église.
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Jean-Pierre Proulx, Professeur à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal
L'auteur a présidé le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école
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