Le temps des excuses

La Lettre du cardinal Marc Ouellet

Quand l'année se termine, il est de bon ton de faire son mea-culpa et de prendre de bonnes résolutions pour l'avenir.

Hier matin, les quotidiens étalaient en première page les regrets de deux hommes entre lesquels il aurait paru assez improbable de faire un rapprochement, si ce n'est que les prélats et les premiers ministres n'ont pas l'habitude des confessions publiques, même tardives.
Que ces gens soient à la retraite ou qu'ils portent la soutane, les excuses des politiciens sont rarement prises pour argent comptant. Celles de Brian Mulroney et de Marc Ouellet ont été accueillies comme elles le méritaient, c'est-à-dire avec une bonne dose de scepticisme.
Au moins, le cardinal Ouellet a signé lui-même la lettre ouverte adressée aux journaux, dans laquelle il reconnaît les torts causés par les «attitudes étroites de certains catholiques avant 1960», y compris «certaines autorités épiscopales», qui n'ont pas été à la hauteur de la doctrine sociale de l'Église.
Dans le cas de M. Mulroney, c'est plutôt son fidèle porte-parole, Luc Lavoie, qui a fait part de ses regrets persistants dans une entrevue accordée à Can West News Service. Sans doute était-il trop étouffé par le remords pour se confier lui-même. Pourtant, jusqu'à ce que l'affaire rebondisse, M. Mulroney semblait remarquablement serein et souriant. Rien ne laissait soupçonner qu'il avait perdu le sommeil.
À en croire M. Lavoie, l'ancien premier ministre reconnaît maintenant que le fait d'avoir accepté 300 000 $ comptant d'un homme d'affaires aussi louche que Karlheinz Schreiber, dont une première tranche de 100 000 $ alors qu'il était toujours député, a été «la chose la plus stupide qu'il ait jamais faite». Cela rappelle les larmes de crocodile que le président de Groupaction, Jean Brault, avait versées pendant les audiences de la commission Gomery.
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M. Mulroney semble avoir eu une (très) brève hésitation quand M. Schreiber lui a tendu une enveloppe bourrée de billets. «Pourquoi de l'argent comptant?», a-t-il demandé. «Eh bien, je suis un homme d'affaires international et je paie toujours comptant», a répondu l'autre. Fin de l'hésitation.
Une faute avouée n'est pas toujours à moitié pardonnée. Il y a aussi la manière. Brian Mulroney aggrave plutôt son cas. Déjà, cette sombre histoire avait énormément terni son image. Il aurait au moins pu nous épargner l'affront de nous prendre pour des valises.
Cette excuse du bon père de famille qui ne veut pas voir diminuer le train de vie de ses enfants n'émouvra personne. Il aurait dû laisser sa famille en dehors de ce merdier. Tout le monde souhaiterait en offrir davantage à ses enfants. D'ailleurs, à en juger par la collection de chaussures Gucci qu'il avait constituée à l'époque où il résidait au 24 Sussex, M. Mulroney avait lui aussi des goûts assez luxueux.
Il faut malheureusement apprendre à vivre selon ses moyens. Déjà, ceux de M. Mulroney semblaient très supérieurs à la moyenne. Au moment de sa première rencontre avec M. Schreiber, il attendait la fin des rénovations à la résidence dont il venait de faire l'acquisition à Westmount. La sénatrice Céline Hervieux-Payette a un peu exagéré en la comparant à celle de Pauline Marois, mais à ce degré d'opulence, c'est davantage une question de nuance.
De toute manière, cela laisse entière la question de savoir pourquoi M. Mulroney a reçu tout cet argent. Tant qu'à passer aux aveux, il aurait pu expliciter les démarches qu'il a faites en faveur de cette fameuse entreprise de pâtes. À ce prix, cela a dû laisser des traces.
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La sortie de M. Ouellet laisse également perplexe. La contrition est une belle chose, mais la sienne sent un peu trop l'astuce. D'entrée de jeu, sa lettre se veut une suite de son intervention controversée devant la commission Bouchard-Taylor, et il la conclut en réitérant sa proposition d'autoriser les diverses confessions religieuses à dispenser leur enseignement dans les écoles.
D'autres témoignages de repentance suivront à l'occasion du prochain carême, a-t-il annoncé. De son propre aveu, cette tentative de réconciliation vise à permettre au Québec de «se souvenir plus sereinement de son identité chrétienne et missionnaire».
Il est vrai que tout n'est pas noir dans le bilan de l'Église catholique au Québec et que les valeurs judéo-chrétiennes font partie de notre identité, mais l'insistance du cardinal à forcer les portes de l'école risque d'avoir l'effet inverse de celui qu'il recherche. «Je ne demande aucun retour en arrière», assure-t-il. Peut-être, mais la «mémoire blessée» qu'il évoque pourrait très bien confondre.
Au nom de qui M. Ouellet mène-t-il cette croisade? Il assure que sa lettre n'engage que lui, mais c'est «comme archevêque de Québec et primat du Canada» qu'il dit reconnaître l'effet néfaste du comportement de l'Église avant 1960.
Hier, le président de l'Assemblée des évêques, Martin Veillette, marchait visiblement sur des oeufs. Il a dit avoir été informé de la lettre du cardinal au moyen d'un courriel à la toute veille de sa publication. Le primat semble se comporter avec les évêques de la même façon que Stéphane Dion avec ses députés.
Même s'il ne s'agit pas d'excuses officielles, qui ne vaudront donc aucune compensation à ceux dont la vie a été brisée, cette reconnaissance des torts causés par l'Église est sans doute la bienvenue, mais pourquoi les regrets de M. Ouellet s'arrêtent-ils à 1960?
Il est vrai que les pires abus remontent à la «Grande Noirceur», mais on peut difficilement parler au passé de la discrimination à l'endroit des femmes alors que le sacerdoce leur est toujours interdit.
Puisque c'est le temps des excuses, à qui le tour? Jacques Chirac vient justement d'être mis en accusation pour une affaire de détournement de fonds qui remonte à l'époque où il était maire de Paris...
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mdavid@ledevoir.com


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