Dérapage vert

De Kyoto à Bali


Personne n'a été étonné de voir le ministre canadien de l'Environnement, John Baird, brandir un document pour démolir le Protocole de Kyoto. Ce qui en a surpris plus d'un, par contre, c'est l'énormité de la catastrophe économique suggérée. Nous sommes au beau milieu d'une manoeuvre politicienne. Elle vise à discréditer le plan des autres pour mieux préparer le terrain au sien. Disgracieux et fallacieux.
C'est John Baird lui-même qui a demandé à ses fonctionnaires de dresser la liste des conséquences économiques de l'application de cet accord au Canada. Il faut savoir que cette même équipe s'apprête à présenter son propre plan pour combattre les gaz à effet de serre.
Le "rapport d'impact économique pour les entreprises et les familles canadiennes" pouvait difficilement prévoir pire que la perte de 275 000 emplois d'ici 2009, qu'un bond de 50 % du prix de l'électricité ou qu'une hausse de 60 % du coût d'un plein d'essence.
Pour ceux qui ne comprendraient toujours pas l'ampleur du cataclysme dont les conservateurs prétendent nous sauver, l'étude révèle que le PIB national chuterait de plus de 4,2 %. "Cela serait comparable à la pire récession que le Canada ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale, soit celle de 1981-1982."
Premier problème : même lorsqu'elles sont validées par d'éminents économistes, comme c'est le cas ici, ces analyses sont toujours sujettes à caution. C'est aussi le cas de celle-ci, qui s'appuie sur des suppositions extrêmes que personne n'a même jamais proposées ! Certaines prémisses farfelues, comme celle taxant les émissions de carbone à 195 $ la tonne, contaminent toute l'étude.
Deuxième problème : les calamités dont il est question supposent une application bête et sans intelligence de Kyoto ; sans flexibilité dans les moyens ni dans le temps. Comme s'il n'y avait pas moyen d'agir avec finesse.
Troisième et plus grave problème : le document ne s'attarde qu'aux coûts. Il ignore volontairement les avantages économiques de Kyoto. Il fait fi du rapport Stern, qui prévoit, lui, un désastre économique si la communauté internationale continue de se traîner les pieds en matière d'environnement.
Ce que cette étude révèle par l'absurde, c'est que le Canada aurait dû s'astreindre depuis longtemps à répondre aux objectifs de Kyoto pour la première période d'engagement courant de 2008 à 2012.
Première vérité à tirer de ce débat qui dure depuis des années : l'application du Protocole de Kyoto a nécessairement des impacts économiques. Personne ne doit avoir la naïveté de croire qu'il n'y en aurait aucun. Mais tout le monde doit par contre évaluer le prix de l'inaction.
Deuxième vérité : il en va de Kyoto comme du reste. Plus on tarde à agir, plus il faut se dépêcher pour rattraper le temps perdu. Et plus on doit procéder rapidement - à quelques mois d'une échéance par exemple - , plus les impacts sont importants.
À force de tant d'inertie - celle des libéraux et des conservateurs - , à force de tant de mauvaise foi et d'aveuglement idéologique, il est bien tard pour ramener les émissions de gaz à effet de serre à 6 % en deçà des niveaux de 1990 d'ici 2012. Nous sommes passés à 35 % au-dessus ! La faute aux grands industriels, mais surtout au secteur du transport.
La transition aurait dû commencer il y a plusieurs années. Elle est là la véritable catastrophe. Elle est économique, sociale et environnementale.
John Baird dit plaider en faveur de "solutions équilibrées en matière de protection environnementale et de croissance économique". Il ne faudrait pas que cette formule devienne un passeport pour l'inaction perpétuelle. À lui maintenant d'agir de façon convaincante.


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