Il est un peu ironique que François Legault ait quitté la politique le jour de la mort de Michael Jackson. Dans la résignation et l’indifférence, comme lui-même le disait à propos de l’intérêt que les Québécois vouaient à la politique. Le lendemain, tous les journaux de Montréal, sauf le Devoir, consacraient leur une à Michael Jackson. Même le gourou de la Presse, André Pratte, un lucide tout comme François Legault, n’a signé un éditorial sur le sujet que le surlendemain, laissant le temps à l’onde de choc Michael Jackson de passer.
Cela ne fut pas sans me rappeler un autre épisode de politique québécoise où l’influence de Michael Jackson avait été manifeste. Je me souviens encore de cet été de 1984 où Gilles Baril lança son 45 tours intitulé Rock’n Rêve en compagnie de Raoul Duguay à la Disco Rouge, une réputée discothèque de Rouyn-Noranda où tournaient tous les soirs les disques de Michael Jackson. Alors qu’il était député à l’Assemblée Nationale sous la bannière du Parti Québécois, Gilles Baril avait fondé le groupe de réflexion des Conspirateurs de l’an 2000, à une époque où Michael Jackson régnait sans partage sur le monde musical. Même Raoul Duguay, qui n’avait jamais été réputé pour ses tenues vestimentaires, s’habillait comme le roi de la pop. À l'image de plusieurs Québécois, il arborait ce soir-là une veste de cuir rouge à large épaule, une réplique de celle que portait Michael Jackson dans son célèbre vidéoclip Thriller.
La politique s’est toujours accommodée de raccourcis. Parce que les jeunes aimaient Michael Jackson, il fallait faire comme Michael Jackson pour les atteindre. C’était manifestement le but de Gilles Baril. Intéresser les jeunes à la politique en affichant une image moderne qui se rapprochait le plus possible de celle de leur idole en y ajoutant un discours vaguement new age, celui des Conspirateurs de l’an 2000. Une vision idyllique de la société de l’avenir dans laquelle les jeunes de l’époque se projetaient. Déjà la consommation avait commencé à remplacer les idéaux des années 60 et 70 dans l’esprit de cette génération et de celles qui allaient suivre. Désormais, tout pourrait s’acheter, même les visions d’avenir.
On en est là aujourd’hui avec la politique, une simple question de consommation. François Legault, tout comme Lucien Bouchard et Joseph Facal, estime que les Québécois vivent au-dessus de leurs moyens, que nous ne produisons pas assez de richesses pour assurer l’avenir des générations futures. Il croit que la responsabilité de la situation incombe d’abord aux citoyens qui refusent de s’engager dans une démarche lucide de transformation de leurs habitudes de vie. Mais qu’a fait au juste François Legault pour guider les citoyens vers des sentiers plus responsables ?
Lorsque nos politiciens nous parlent de productivité, c’est d’abord de consommation qu’ils nous parlent. Le discours de François Legault sur les vaches sacrées et la tarification des services publics n’est rien d’autre qu’un discours sur la consommation des Québécois, alors qu'il propose que la hausse du coût des services publics puisse amener les Québécois à consommer différemment.
Un discours simpliste, lui aussi rempli de raccourcis. Pour que soient rationalisés les services de santé, les Québécois doivent les payer plus cher. Pour qu’ils consomment moins d’électricité, les Québécois doivent également la payer plus cher. Même discours pour les routes et les universités. Pendant ce temps, les entreprises devront payer moins d’impôt.
En somme, les Québécois recevraient trop de services en regard de l’impôt et des taxes qu’ils versent. Voilà la principale raison de notre déclin collectif.
Comment voulez-vous intéresser les Québécois à la politique quand vous leur dites qu’ils devraient payer plus cher des services publics qu’on devra privatiser pour enrichir quelques investisseurs qui paieront moins d’impôt afin de verser de plus gros dividendes à leurs actionnaires dispersés partout sur la planète? Je ne connais personne qui est prêt à travailler plus pour moins d’argent en plus de devenir locataire de services dont il fut jadis le propriétaire. Si c’est ça le projet de société qu’on nous propose, comment ne pas être cynique.
On pourrait certainement proposer aux Québécois de travailler mieux et de partager leur tâche avec des plus jeunes qu'ils pourraient contribuer à former. Comme disaient mon père et mon grand père, le calcul vaut le travail.
Il y a aussi cette obsession de nos élus de vouloir faire consommer à tout prix les contribuables pour soutenir l’économie, surtout des produits financiers. Pour sauver un peu d’impôt, les contribuables acceptent de placer les quelques économies qu’ils ont pu épargner dans des placements risqués qui frisent le vol. Pourquoi ne pas plutôt les inciter à investir leurs épargnes dans l’économie réelle ? Celle qui leur procure un emploi, celle qui leur garantit des services. Si le gouvernement accepte de garantir les prêts des PPP et des multinationales en faillite, pourquoi ne garantirait-il pas les placements responsables de ses citoyens dans des entreprises qui créent des emplois, respectent l'environnement et leur assurent des services dans leur milieu de vie, ce qu'on appelle le développement durable?
Je ne suis pas un génie de la politique, mais je sais que les politiciens se déconnectent assez rapidement de la réalité que vivent leurs concitoyens dès qu’ils deviennent députés ou ministres. Lors d’un récent souper d’adieu, notre ancien député défait à l’occasion de la dernière élection fédérale nous racontait candidement comme il allait s’ennuyer des dîners et des cocktails avec les lobbyistes et les diplomates qu'il côtoyait à Ottawa, ainsi que des missions à l’étranger qui lui avaient permis de voyager autour la planète jusqu’en Chine aux frais des contribuables. Après ça, les politiciens viennent nous dire que nous sommes cyniques. Il est assez étonnant de voir avec quelle rapidité nos élus perdent le goût de se battre, tant l’ivresse du pouvoir les grise.
Si nous reconnaissons tous que François Legault était un bon batailleur, nous savons aussi que le cœur n’était pas tout à fait là. C’est un secret de polichinelle que son épouse n’a jamais été entichée par la politique et l’indépendance du Québec. Comment aurait-elle pu alors vraiment le soutenir dans le projet de devenir chef d’une formation souverainiste ?
Je trouve tout simplement odieux le procédé par lequel François Legault impute aux citoyens son propre cynisme et son incapacité à faire cheminer ses idées au sein de la société québécoise, alors qu’il a refusé de s’engager plus avant dans un projet politique, celui de l’indépendance du Québec, où ils étaient plusieurs à vouloir le suivre comme chef, sachant que ce sont des raisons purement personnelles qui l’ont incité à reculer, même si elles étaient tout à fait légitimes. On ne peut certainement pas reprocher à une homme d'avoir choisi sa famille.
Le jour où les politiciens cesseront de prendre les citoyens pour des imbéciles à qui on peut faire avaler n’importe quoi, peut-être retourneront-ils voter ! En opposant lucides et solidaires comme il le fait, François Legault suggère que les Québécois refuseraient de se donner un pays pour des raisons essentiellement idéologiques. Il a oublié que nous étions près de 50 % à vouloir le faire ce pays en 1995. Ce n’est pas en parlant de coupures, comme son mentor Lucien Bouchard l’avait fait avant lui, que nous allons fonder un pays, mais plutôt en parlant d’investissements dans l’avenir. Pour reprendre une expression connue, parlez-nous un peu moins du verre à moitié vide et un peu plus de celui à moitié plein, la souveraineté, comme l'économie, est d’abord une question de confiance.
Si les Québécois se sont plus intéressés à la mort de Michael Jackson qu’à la démission de François Legault, c’est peut-être parce qu’il n’en a pas assez fait pour qu’ils s’intéressent à lui, incapable de partager sa vision avec eux, juste les rabrouer une dernière fois avant de retourner faire de l’argent et l’investir dans des entreprises productives dont on soupçonne qu’elles paieront le moins d’impôt possible, si l’on se fie à son discours d’adieu.
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Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
30 juin 2009Bonjour Monsieur Lapointe,
Vous avez écrit un excellent article qui synthétise l’un des graves problèmes que rencontre le PQ au moment de choisir ses candidats et représentants pour travailler honnêtement afin de faire du Québec un pays pleinement souverain. Votre analyse va tout droit là où se trouve la plus grande difficulté d’une organisation politique, comme la nôtre, vouée à éviter la disparition du peuple canadien-français comme entité nationale. Dénoncer ceux qui se servent de la politique comme moyen pour arriver à favoriser leurs propres intérêts au détriment de ceux pour lesquels ils devraient militer, démontre un haut niveau d’étique et requiert le refus des choses matérielles qui font perdre le nord et conduisent à la perte de la dignité. En politique, la dignité et l’étique sont des conditions rares qui assurent un comportement contraire à celui d’un tricheur et traître, conduite retrouvée chez ceux à qui on aura donné la confiance qui s’avère non méritée une fois qu’ils sont élus, d’où le comportement malhonnête et félon qui sert à arriver à leur fin.
JLP