Juillet 2018. L’Union européenne sanctionne Google pour avoir eu recours à des pratiques illégales pour consolider sa position dominante sur Internet. Sa sanction : une amende de 6,6 milliards.
Juillet 2019. Le couperet tombe : Facebook est déclaré coupable par le Bureau américain de la protection des consommateurs et est contraint de payer une amende de 5 milliards de dollars. Sa faute : ne pas avoir protégé adéquatement la vie privée de ses 2,7 milliards d’utilisateurs.
Avant-hier, Google est de nouveau accusée, mais cette fois par l’entremise de sa filiale YouTube. L’entreprise a collecté des informations personnelles sur des mineurs, ce qui est interdit, pour permettre des publicités plus ciblées auprès des enfants. Le même bureau américain leur contraint de payer une amende de 170 millions.
Tous ces cas récents ont une chose en commun : on ne peut pas laisser ces bêtes technologiques - qu’on nomme les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) - s’autoréguler.
Bien sûr, comme les défenseurs du libre-marché se plaisent à le défendre, ces entreprises évolueraient désormais dans un nouvel écosystème, et il ne faudrait pas légiférer pour ne pas nuire à l’innovation.
Toutefois, derrière ces arguments sans substance, ces entreprises ne sont pas différentes de celles qui les ont précédées : leur fonction première est le profit, et non le bien-être de la collectivité.
Que devons-nous faire ?
Maintenant, doit-on seulement applaudir les agences de protection des consommateurs de bien faire leur travail de régulateur ? Autrement dit, faut-il continuer d’imposer des amendes, aussi salées soient-elles, en espérant pieusement des changements de la part des GAFA, alors que leur modèle d’affaires est justement basé sur la collecte, l’exploitation et la vente de nos données privées ?
À mon avis, cette voie de la punition est insuffisante.
Il faut plutôt démanteler ces bêtes tentaculaires, une par une, et le plus rapidement possible.
Il faut que les divisions de Facebook (Instagram et WhatsApp) soient divisées en plusieurs compagnies distinctes. Idem pour Google et ses filiales (YouTube, Android, DeepMind, etc.), Apple et Amazon.
Leur pouvoir, leur connaissance du citoyen et leur portée sont devenus si hégémoniques, que le statu quo actuel est intenable. Autant pour nos médias, que pour notre économie et notre culture, comme l’a brillamment expliqué Philippe Lamarre, président d’Urbania, en commission parlementaire la semaine dernière.
Comment s’y prend-on ?
D’abord, nous savons déjà que le gouvernement canadien ne possède pas les leviers pour démanteler ces bêtes. Après tout, ce sont des entreprises à propriété américaines et ce sont nos voisins qui prendront la décision de les démanteler ou pas.
Cela dit, à l’occasion de la création du groupe d’examen de la législation en matière de télécommunications, dont son rapport et ses recommandations sont prévus pour janvier 2020, le prochain gouvernement pourrait recommander aux Américains d’opter pour la voie du démantèlement.
Cette voie à suivre, c’est notamment celle qui est préconisées par Lina Khan, l’égérie du mouvement antitrust des big techs et d’Elizabeth Warren, potentielle candidate aux primaires démocrates pour la prochaine élection américaine.
La première, Lina Khan, est juriste de formation et a seulement 30 ans. Elle fait déjà trembler les colonnes du temple du libéralisme économique américain. Son étude Le Paradoxe antitrust d’Amazon dresse tout le pouvoir qu’Amazon possède, du haut de ses 1000 milliards de dollars en valorisation boursière.
Dans une chronique percutante parue dans le New York Times en 2017, elle propose d’imaginer Amazon comme les portiers des chemins de fer au 19e siècle, qui reliait autrefois les consommateurs et producteurs. Ces portiers auraient maintenant le pouvoir de taxer les producteurs qui veulent prendre le train, les empêcher de monter à bord et même d’écouler leur stock sans qu’ils puissent être vendus.
C’est en effet la stratégie qu’Amazon a utilisée pour acheter et avaler les couches-culottes Diapers pour consolider leur monopole. L’histoire est plutôt simple : devant le refus de Diapers de vendre leur entreprise, Amazon a vendu pendant quelques trimestres leur propre couche-culotte à des prix dérisoires – perdant même une centaine de millions de dollars - pour creuser la tombe de l’entreprise Diapers. Fin des courses ? Amazon a avalé Diapers et a consolidé son pouvoir.
La deuxième, Elizabeth Warren, est certes connue pour être une des favorites pour devenir la candidate démocrate contre Trump en 2020, c’est aussi elle qui a participé à la création du Bureau américain de protection du consommateur, en plus d’être spécialisée en droit du commerce. Quand elle parle des GAFA, elle sait donc de quoi elle parle.
En effet, l’un des points les plus contestés dans sa plateforme politique est de briser le monopole des géants technologiques. Je la cite : « Ils ont trop de pouvoir sur notre économie, sur notre société et sur notre démocratie. »
Difficile de ne pas être en accord avec elle.
Dans un monde où Mark Zuckerberg possède 60% des actions votantes de Facebook, et donc le contrôle complet sur les décisions de l’entreprise, lui seul peut décider ce qui se trouvera sur votre fil d’actualité, ce que sont les discours haineux sur sa plateforme et peut même, s’il le désire, désavantager certains candidats.
Bizarrement, c’est arrivé avec Warren. En mars dernier, Facebook a en effet supprimé une annonce de la sénatrice du Massachusetts... une semaine après qu’elle ait appelé à défaire le monopole de Facebook et autres. Vous croyez à la simple coïncidence, vous ?
Je crois plutôt à une tape sur les doigts pour ses positions politiques anti-monopoles.
Si ces entreprises sont des bêtes, Mark Zuckerberg est sans contredit la créature la plus puissante et redoutable.
***
Vous trouvez que c’est une idée radicale ? Peut-être. Mais l’histoire américaine nous apprend que ces lois anti-monopoles ont toujours fait partie du paysage politique américain. D’abord, pour démanteler les entreprises de la Standard Oil de John D. Rockefeller en 1911, les entreprises d’American Tobacco aussi en 1911, et d’AT&T en 1982.
Ces entreprises, qui régnaient comme rois dans leur royaume, ont été démantelées pour laisser place à plus de concurrence et d’innovations. L’histoire nous a prouvé les bienfaits de l'application de ces lois antitrusts.
Il le faut, car comme le disait celui qui donna son nom à la première loi anti-monopole aux États-Unis, John Sherman : « Si nous refusons qu'un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu'un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. »
Ces nouveaux rois méritent de perdre un peu de leur pouvoir, pour qu’ils deviennent des bêtes un peu plus domptables.